Bonjour Corinne, comment nommerais-tu ton métier ?
Si je dis que je suis simplement chanteuse, certains vont croire que je chante de la variété ou de la pop. Aussi bien, je préfère dire chanteuse lyrique, comme ça, il n’y a pas d’ambiguïté. Quant au terme « cantatrice », il est réservé aux chanteuses qui ne se produisent qu’à l’opéra. Et encore, le mot est un peu désuet et connoté « Castafiore ».
Et comment devient-on chanteuse lyrique ?
J’ai un parcours à la fois classique et un peu original. A huit ans, en écoutant Maria Callas, je me suis dit « Je veux chanter comme elle » : c’est un peu un rêve de petite fille… J’ai commencé par jouer du hautbois, jusqu’à mon diplôme. En fait, je n’aimais pas plus que ça et je ne me considère pas comme très douée dans cet instrument. Je croyais à l’époque que cela pouvait m’aider à avoir du souffle pour chanter – en fait, ce n’est pas bon du tout, car en hautbois, on donne beaucoup de puissance d’un coup en pinçant les lèvres, tout le contraire de la voix.Après la mue, j’ai intégré le Conservatoire de la Roche-sur-Yon, qui m’a donné une formation musicale et une technique vocale solides. J’ai poursuivi mes études au Conservatoire de Bordeaux puis à celui de Toulouse où j’ai eu mon prix.
Mais paradoxalement peut-être, le Conservatoire ne suffit pas : un cours de chant par semaine, c’est trop peu. J’ai donc suivi d’autres formations, notamment en chant lyrique et en musique ancienne. Parallèlement, je me suis formée au jeu théâtral et à la mise en scène. Ce n’est qu’en 2007 que je me suis vraiment dit : ça y est, je suis chanteuse et c’est mon métier.
Et tu as commencé à travailler dans le milieu du baroque ?
Tout à fait. J’ai une voix aigüe et peu de vibrato, ce qui va bien avec la musique baroque. En plus, le baroque est à la mode, avec de nombreux ensembles. Ma voix n’était d’ailleurs pas encore mûre pour chanter à l’opéra : certaines chanteuses le peuvent dès 23 ou 24 ans. Ce n’était pas mon cas. J’ai donc chanté pour plusieurs chœurs, notamment le Poème Harmonique (Vincent Dumestre) ou les Eléments (Joël Suhubiette). Le rythme de travail est très particulier, on n’est jamais chez soi car on se déplace beaucoup, en France et à l’étranger. Et les voyages sont éprouvants pour la voix, il faut avoir une technique irréprochable pour les « encaisser ». En 2009, j’ai un peu freiné le rythme. Et puis le chant choral me plait, mais je voulais chanter en soliste. Le passage n’est pas évident : dans un chœur, on peut toujours se noyer dans la masse, alors qu’un soliste est très exposé. Il fallait donc que je poursuive ma formation et que je développe mon réseau. Depuis, et bien, je chante à l’opéra ou en soliste pour des ensembles vocaux.
Tu as chanté à l’opéra ?
Oui, j’ai notamment pu chanter le rôle de Susanna dans les Noces de Figaro, de Lakmé dans… Lakmé, de Frasquita dans Carmen ou de Vénus et Cupidon dans King Arthur. Il faut avouer que j’éprouve un grand plaisir à chanter sur scène.
– Extrait du répertoire français XIXe siècle, « Oui pour ce soir…Je suis Titania la blonde » de Mignon d’Ambroise Thomas, filmé à la halle aux grains de Toulouse
Justement, pourquoi aimes-tu chanter ?
Ouh, là, là, c’est une question difficile. Déjà, il ne faut pas s’écouter : soit j’écoute, soit je chante, je ne peux pas faire les deux. A mon sens, il y a deux aspects fondamentaux dans le chant : d’une part, le cérébral, l’intellect – connaître son texte, le mettre en scène, savoir l’interpréter, etc. mais cela ne suffit pas. Il faut surtout des sensations et du plaisir. Si tu n’as pas de plaisir, autant changer de métier. Surtout à l’opéra où l’implication personnelle est énorme : l’espace est plus grand et il y a un orchestre. Il faut aller chercher des ressources beaucoup plus profondes, je dirai même aller chercher « l’animal » qui est en nous. C’est éprouvant ! Et le soliste se met en danger car il se met à nu. En revanche, contrairement aux comédiens qui ont toujours le risque de franchir les limites de l’appropriation du personnage, les chanteurs ont une barrière : la voix. Et pour bien chanter, il faut parfaitement maîtriser son corps, ce qui est tout le contraire de la folie. Et puis, il faut avouer, honnêtement les livrets d’opéra ne sont pas des sommets de littérature et la distanciation avec le personnage que l’on incarne est assez aisée.
Et pour chanter à l’opéra, que faut-il de particulier ? Etre un bon acteur ?
C’est important en effet, mais ce n’est pas l’essentiel. Les chanteurs d’opéra sont des chanteurs qui jouent, pas des acteurs qui chantent. Pour chanter à l’opéra, il faut avoir de la puissance et des aigus solides. Après, il y a forcément des limites : pour caricaturer, au XIXe siècle, le chanteur est roi sur scène, au XXe siècle, c’est le chef d’orchestre, au XXIe siècle, c’est plutôt le metteur en scène. Et là, c’est parfois plus compliqué car on ne peut pas tout faire, chanter et sauter par exemple ou chanter en courant, ça va un peu, mais pas trop longtemps non plus…Sur l’aigu, cela peut surprendre, mais un aigu final peut déchaîner les passions, même à l’opéra où le spectateur est loin de la scène, on ressent très bien ce que ressent le public.
Et la passion doit-elle être toujours présente ?
Oui et non. Il est évident, que de temps en temps, on a la flemme d’aller travailler, comme dans tous métier. Après, si c’est trop fréquent, on doit se remettre en question. Plusieurs fois, j’ai eu envie d’arrêter car c’est un travail exigeant. En fait, le ressort est en toi, même si les autres peuvent aider à améliorer ta technique. L’objectif est de surmonter les blocages. De temps en temps, il faut savoir arrêter de se poser des questions : le geste vocal n’est pas intelligent, c’est de l’instinct animal. Après, évidemment, la raison canalise tout cela.
C’est un métier vraiment exigeant ?
Oui, je le pense. Passionnant aussi évidemment. Je travaille beaucoup. Et puis, je continue à me former, encore et toujours. Avec l’âge, il faut savoir guetter les signaux de faiblesses, après une maternité aussi (Corinne est maman d’une adorable petite Jeanne). Une chanteuse peut chanter jusqu’à 55 ans environ. Après, c’est très exceptionnel, comme Edita Gruberová qui chante encore très bien à 68 ans. En gros, entre 20 ans et 35 ans, tu travailles pour acquérir ta maturité, après, tu travailles pour ta longévité. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai acquis une certaine maturité : je connais mes limites, je fais attention et en même temps, j’ai confiance en ma voix et n’ai pas de problème d’endurance. Il faut savoir aussi accepter ses échecs : les auditions sont très éprouvantes, il faut séduire en trois minutes. Comme tous les chanteurs, même les meilleurs, j’ai échoué à de nombreuses auditions. Il ne faut pas baisser les bras. Il y a des moments où tout va bien et d’autres où rien ne marche…
– Les débuts de chanteuse…
Question bête, tu as un compositeur préféré ?
Non, beaucoup. Je suis très fan de l’opéra français du XIXe siècle, hélas peu joué, avec des compositeurs comme Léo Delibes ou Ambroise Thomas. J’ai aussi chanté Offenbach, qui n’est pas du tout facile contrairement à ce que l’on croit. En revanche, j’ai beaucoup de mal avec Rameau et Lully.
Et puis, outre les italiens (Verdi, Donizetti, Bellini, Rossini…) qui sont très agréables à chanter, j’aime beaucoup Mozart, mais que c’est difficile ! Il a une écriture instrumentale, avec peu de respirations, des vocalises à gogo, des sur-aigus et en plus du lyrisme. Pas évident du tout ! Un peu comme Bach, cela ne supporte pas la médiocrité. Quant à Wagner, il a une place à part : il faut une voix très puissante et une endurance à tout épreuve. C’est vraiment écrit pour des chanteurs particuliers, ce qui n’est pas mon cas. En revanche, je peux chanter du Debussy, du Poulenc ou du Ravel, c’est très intéressant.
Des projets ?
Oui, des rêves d’abord : pas forcément celui de chanter sur telle ou telle scène, mais plutôt d’obtenir des rôles tels que Lucia dans Lucia de Lammermoor ou Gilda dans Rigoletto. Après, à court terme, parmi d’autres projets, je vais chanter Blanche dans le Dialogue des Carmélites. J’en suis ravie !
Merci beaucoup Corinne !