La police va mal

Publié le 02 juillet 2015 par H16

On peut très bien être syndiqué, de la CGT, de la police, et avoir malgré tout des choses à dire, et, mieux encore, intéressantes. C’est ce que prouve une nouvelle interview Thinkerview de Alexandre Langlois, gardien de la paix et secrétaire général de la CGT Police.

Comme d’habitude, je vous recommande de prendre connaissance de l’intégralité de l’entretien qui permet de mieux saisir toutes les nuances qu’un petit billet d’analyse récapitulatif ne permet pas toujours.

Cette fois-ci, l’entretien se découpe grossièrement en deux parties, l’une sur le thème de la police et de son état actuel, et l’autre sur la loi renseignement. Je commenterai rapidement cette dernière (qui commence à peu près vers 24:40), puisque le gardien de la paix interrogé constate ce qui a finalement été déjà dit ailleurs et notamment dans ces colonnes.

Comme d’autres avant lui, il explique à raison que cette loi, en concentrant les moyens financiers et techniques sur les technologies de l’information et sur des méthodologies très larges, ne permettra encore une fois de ne capturer que les individus les moins bien organisés et les plus mauvais. Langlois rappelle en effet que la surveillance massive d’internet est maintenant largement prise en compte par les réseaux djihadistes et qu’en conséquence, ceux qui ont deux sous de jugeote se passent vite de téléphones portables et de comptes internet facile à espionner.

A contrario, cette Loi Renseignement pompe les moyens affectés précédemment aux méthodes traditionnelles comme le renseignement humain, les infiltrations de terrain qui sont coûteuses, longues, mais nettement plus efficaces. Comme ces moyens sont peu ou pas utilisés, cette Loi Renseignement vient en définitive trop tôt puisqu’ils n’ont pas été employés à hauteur de ce qu’on devrait pour en optimiser les résultats.

Détection des terroristes – cliquez pour agrandir

Enfin, Langlois note, là encore avec lucidité et comme l’avait remarqué d’autres intervenants lors d’une précédente interview que cette loi est à la fois d’un coût prohibitif en terme de libertés essentielles, en ce qu’elle ouvre la voie à des dérives potentielles profondes et évidentes, et parce qu’elle est écrite d’une façon particulièrement floue. En fait, non contente de légaliser des pratiques existantes en bordure de la légalité, elle donne un véritable blanc-seing à un contrôle de masse. Ce faisant, elle continue le mouvement général de séparation entre la population et sa police, qui devient de plus en plus dématérialisée pour le citoyen lambda.

Cette scission croissante entre la police et la population qu’elle entend, normalement, servir est ce qui ressort véritablement de l’entretien, et de la première partie notamment, dans laquelle le syndicaliste donne quelques chiffres et quelques éléments de réflexion sur l’état général de la police en France.

Et cet état n’est pas folichon, pour le dire gentiment.

Dès 6:02, Langlois nous rappelle ainsi que la police de renseignement est de plus en plus souvent utilisée à des fins politiques, quand bien même l’éthique personnelle des agents qui y travaillent tend à ralentir cette tendance de fond. Ainsi, il explique assez bien ce qu’on soupçonnait déjà, à savoir que les chiffres fournis par la police sont façonnés, retravaillés pour servir avant tout les desseins politiques, accompagner la politique du gouvernement, plutôt que refléter de façon exacte et précise la situation actuelle.

Si la discussion (vers 7:14) porte sur l’exemple des chiffres de la Manif Pour Tous, quelques éléments, plus tard dans l’interview, permettent de comprendre que ce sont toutes les statistiques policières qui sont ainsi triturées. Celle de la délinquance et de la criminalité ne sont donc pas épargnées. Je vous laisse en tirer les conclusions que vous voulez.

Ces bricolages plus ou moins subtils des statistiques ont un effet direct sur la population qui, lucide, voit un décalage entre ce qu’elle vit et ce qu’on lui fait passer pour la vérité. La confiance avec l’État en général et la police en particulier ne peut s’en trouver qu’amoindrie.

À ceci s’ajoute l’accroissement des traitements automatiques, informatiques et mécanisés (les radars n’étant qu’une partie de ces éléments), s’insérant habilement entre la police et la population. Encore une fois, en retirant la souplesse de l’interprétation humaine, le libre-arbitre du policier et en réduisant ses possibilités de rôle pédagogique, en diminuant le contact humain de la fonction policière, on accroît sensiblement ce divorce entre la société et le corps chargé d’en assurer l’ordre.

On retrouve ce même problème lorsque, vers 21:03, sont évoqués les éventuelles corruptions au sein de la police, et plus particulièrement lorsqu’on découvre toutes les entorses à la légalité dont elle est victime. Ainsi, lorsque le MEDEF demande à « passer au fichier » les temporaires qu’il emploie pour son université d’été (i.e. faire faire des vérifications de casier), c’est parfaitement illégal et un détournement privé d’une institution publique. Ainsi, lorsque des compagnies de CRS, de police ou de gendarmerie interviennent sur des événements privés (le cas du Tour de France est cité vers 23:50), on comprend qu’il y a une dérive de la mission policière, au détriment des contribuables et des citoyens.

Cette dérive, auxquelles s’ajoutent les politiques du chiffre et la gestion des ressources humaines, quasiment abandonnée aux syndicats, expliquent assez bien le malaise global de la fonction publique policière.

Enfin, à ces éléments déjà lourds, à cette coupure de plus en plus actée et profonde entre police et population, il faut ajouter une gestion des horaires difficile, qui entraîne des complications certaines pour la vie de famille des représentants de l’ordre.

Très concrètement, cela se traduit par des suicides. Langlois nous explique ainsi que depuis 1980, 1450 policiers se sont donné la mort, alors que sur la même période, 490 sont morts dans l’exercice de leur devoir, du fait de criminels. Autrement dit, un policier a trois fois plus de risque de mourir de suicide qu’à cause d’un criminel.

Si, bien sûr, on doit se rappeler que le policier, par nature, est confronté plus souvent que tout autre à ce que l’humanité a de plus noir, et si ceci permet sans doute d’expliquer que le suicide est toujours plus présent dans ce genre de professions qu’ailleurs, cela ne permet pas d’expliquer la tendance à l’augmentation des derniers mois.

En revanche, la perte de vocation, la perte de sens et du contact humain liée à la dématérialisation d’une partie des traitements policiers, la politique du chiffre et la traque de l’automobiliste, l’utilisation croissante des forces de l’ordre afin de soutenir un pouvoir qui apparaît de plus en plus décalé des réalités de terrain et des besoins de la population (le deux-poids, deux-mesures récent entre les chauffeurs Uber et les taxis en est une excellente illustration), tout ceci concourt de façon évidente à alimenter le ressentiment des gens contre les policiers, et poussera sans aucun doute les plus faibles à un acte définitif.

Cet intéressant témoignage donne une bonne idée d’où se trouve maintenant la police : il apparaît clair qu’en son sein, nombreux sont ceux à avoir pris conscience de la dérive possible que représentent les dernières lois, et l’utilisation de plus en plus politique de cette institution, en rupture avec la population. La direction prise est donc connue.

Reste à savoir si l’institution se laissera faire.

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