Troisième livraison dans cette série de gauchitudes, une suite de brouillons pour tenter d'imaginer ce qui pourrait être une gauche... comment dire?... moderne, sans être fade.
Pour une France fractale
A cette idée, celle de réduire, au nom de la démocratie, la distance entre l'instance de décision et ceux qui la subissent, il faudrait ajouter une autre, dans le même esprit. Malgré la force de l'idéologique qui revient à une égalité de façade, la France est un pays pyramidal. De fond en comble. Ou plutôt de comble en comble. Profondément pyramidal, sauf pour la partie profonde. Je ne parle pas seulement de nos cumulards politiques, qui mélangent allègrement les différents strates des institutions, mais aussi les responsabilités à l'intérieur des partis. Après il y a les hauts fonctionnaires qui trouvent si facilement à la tête des grands groupes industriels. Et ainsi de suite, car ces vieilles habitudes sont un peu partout. Je n'ai sans doute pas besoin de faire un dessin.
Ainsi, une gauche qui décentralise, qui dégroupe, qui fissure un peu la grande pyramide de L'État, doit d'abord prendre de soin que ce ne soient pas toujours les mêmes qui se présentent aux différents niveaux, comme autant de points de suture sur les lignes de fracture. L'anti-cumulardisme est devenu presque consensuel à gauche, du moins lorsque celle-ci est dans l'opposition. Il me semble important d'aller plus loin, d'abord en en faisant une valeur politique, à lire dans la grande narration de la lutte entre des faibles contre les puissants. C'est peut-être justement l'erreur du socialisme "responsable", celui qui est capable de gouverner : l'oubli de cette narration qui est pourtant le point commun de toutes les gauches, et l'oubli presque symétrique du fait que, même si on est de gauche, lorsqu'on accède au pouvoir on est dès lors un "puissant".
La seconde extension de la lutte contre le cumul est plutôt son élargissement, au-delà du domaine politique proprement dit. Je pense tout d'abord au système des Grandes Ecoles qui draînent des Universités nos meilleurs étudiants pour en faire un caste de dirigeants, tout en paupérisant ces mêmes Universités. Si je me souviens bien, Ségolène Royal et François Bayrou avaient fait des gestes dans ce sens pendant la campagne présidentielle. Il faudrait aller plus loin, et de façon plus concrète. Et ce n'est qu'un exemple du type de transformation nécessaire pour rebattre un peu les cartes sociales. (Il faudrait revisiter le thème de ce conservatisme social à propos de l'absence de redistribution : un système social trop redistributif risquerait de chambouler l'ordre social.)
Et une autre dimension de cette même lutte serait, idéalement (encore qu'il faudrait trouver les moyens pour y arriver), l'ouverture de nos chères élites à toute l'énergie et l'intelligence qui sont confinées à l'autre extrèmité de la pyramide, chez ses intouchables de la République que sont les jeunes dits hypocritement "issus de l'immigration", c'est-à-dire issus du colonialisme français. Je pense notamment à ceux qui, malgré leur réussite scolaire et universitaire, n'obtiennent d'entretien d'embauche que s'ils mettent un faux nom bien gaulois sur leur CV.
Bien sûr, il s'agit là de la connivence entre L'État, le capital et la structure de la société. Kevipui, ou kevin ici dans les commentaires, qui vient de lancer un beau blog, fait la distinction entre le marché et le capitalisme, ce dernier étant, si je peux résumer, une distorsion, très ancienne et plus ou moins inévitable, du premier.
La chasse au cumul économique et social devrait avoir pour but non pas de seulement donner quelques points de pouvoir d'achat aux ménages modestes, par exemple, mais de favoriser l'inclusion d'un nombre croissant des citoyens dans le jeu, rendant du coup le jeu plus légitime et plus juste.