J’ai déjà expliqué à mes lecteurs le vice fondamental de ce projet : bâtie à un endroit absurde pour complaire à un groupe privé, Unibail - qui il y a quelques années encore s’achetait des pages de pub dans le magazine de propagande d’Hidalgo - cette tour fait fi de l’intérêt général, à savoir la cohérence du «skyline» parisien. Une tour, dans une ville basse, se voit de partout. Il faut soigneusement en penser l’implantation et le faire en fonction de la morphologie urbaine. Ainsi, la tour Montparnasse est à peu près élancée vue de la rue de Rennes mais un désastre vue de l’Ecole militaire.Triangle veut s’imposer sans finesse dans la plupart des perspectives historiques du Sud Ouest parisien, y compris depuis la place de la Concorde et l’esplanade des Invalides. Pour ceux qui penseraient que je suis irréductiblement hostile à la «modernité» architecturale, concept assez flou au demeurant, je dirais que la tour du nouveau palais de justice en construction aux Batignolles, aussi haute que Triangle, n’abîmera aucune des vues filantes du Paris historique. Triangle est donc un affront spécifique qui n’est pas réductible au débat sur la hauteur des édifices en général.
Parallèlement, Unibail, comme aux Halles ou au Parc des expositions, a obtenu des conditions financières scandaleusement favorables de la ville de Paris. Si ce groupe le souhaite, il pourra installer son siège social dans un immeuble d’où, en Big Brother, il pourra toiser les Parisiens.
Qui a soutenu cette félonie ? Les élus socialistes et communistes godillots qui mangent dans la main d’Hidalgo n’avaient évidemment rien à dire, si ce n’est voter comme leur maîtresse leur ordonnait de faire. Mais cela ne suffisait pas et il fallait donc trouver des Iago parisiens, figure du traître d’anthologie.
Un discours ridicule sur le fait que ce bâtiment allait soudain transformer l’image et l’attractivité de Paris et relancer l’économie régionale fut bâti à la va-vite. Alors qu’Hidalgo, sans jamais être critiquée ou presque, vient de faire adopter un plafonnement des loyers qui, dans toutes les villes qui l’ont mis en oeuvre, s’est révélé un «tue l’amour» économique et qu’elle multiplie les taxes et les mesures entravant les déplacements, soudain, la tour Triangle est censée doper la ville ! Ridicule. Des élus dits de droite, sensibles aux sirènes des centres commerciaux, ont appuyé ce projet, sur le fondement d’un débauchage individuel comme pour les députés Lellouche ou Debré ou par pure animosité contre NKM comme Rachida Dati.
Mais la trahison massive vint des UDI proches de Jean-Christophe Lagarde, dont les élus écologistes nous ont appris qu’ils ont voté pour le projet dans un accord douteux avec les socialistes autour des présidences de la future métropole parisienne. Bon courage aux «Républicains» qui devront discuter avec les UDI en vue des primaires de la droite et du centre ! Il se dit même que le président du groupe UDI au Conseil de Paris, Eric Azière, rêve de Sénat et se verrait bien y remplacer un autre UDI, Yves Pozzo di Borgo, lequel est resté fidèle à son opposition à la tour.
Azière n’a même pas pris la parole lors des débats sur le vote. C’est beau l’affirmation de convictions profondes et inébranlables ...
Un dernier mot au sujet de la presse, presque uniment favorable à ce projet. Les journaux et télévisions propriétés d’hommes d’affaires, c’est à dire la plupart d’entre eux, ont naturellement soutenu le projet, présentant ses opposants comme des passéistes et des ringards et se gardant bien de fourrer leur nez dans le montage peu ragoûtant qui, porte de Versailles comme aux Halles, fait les choux gras d’Unibail. La palme sera décernée à Libération, où l’hidalgolâtre de service, Sybille Vincendon, qui a perdu tout sens critique au contact de Laurent Joffrin, n’a eu de cesse d’éviter les questions qui fâchent la mairie et d’épouser servilement la doxa du grisbi, présentant cette misérable manipulation comme une victoire de la modernité et de ses héros de la «gauche»parisienne.
Au fond, Triangle, est la matérialisation dans un immeuble de grande hauteur de l’avilissement de nombre d’élus en France, le symbole de la transformation des choix politiques en un sous-produit d’enjeux financiers, un terrain d’exercice pour la manipulation de l’opinion. Paris peut continuer à s’enlaidir de la laideur de ses dirigeants du moment.