La Isla Minima
Un film de : Alberto Rodríguez
Avec : Javier Gutiérrez, Raúl Arévalo, María Varod, Antonio de la Torre, Perico Cervantes, Jesús Ortiz, Nerea Barros, Salva Reina, Manolo Solo, Jesús Castro, Jesús Carroza
Deux flics que tout oppose, dans l’Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie pour enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au coeur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.
Veritados detectives
Nul doute que si le réalisateur ne s’était défendu d’avoir commencé à rédigé son scénario – avec Rafael Cobos, son compère de toujours – il y a maintenant quatre ans, on pourrait sans en douter l’accusé d’un plagiat éhonté de la première saison de la série True Detective. Même postulat de départ : Un crime glauque mêlé à des traditions locales sordides. Même développement narratif : Une enquête menée par des citadins confrontés à la loi du silence et à la corruption des autochtones. Mêmes décors : de vastes étendues marécageuses et des plaines embrumés. Et surtout mêmes personnages : deux policiers, radicalement opposés par leur idéologie et leur mode de vie. Alors, le public espagnol est-il passé à côté de la série de Nic Pizzolatto pour ne pas s’être aperçu de cette étrange similitude ou La Isla Minima leur a-t-il offert suffisamment d’innovation pour mériter son succès ? Bizarrement, la première hypothèse semble la plus plausible… Quoiqu’il en soit, sa razzia au Goyas fait de ce film un objet filmique qui mérite d’être étudié.
Derrière la peinture, le vide
Dès le générique d’ouverture, Rodriguez nous fait découvrir l’atmosphère quasi-mystique des décors des marais du Guadalquivir, nous plongeant dans un univers visuel assimilable à une variation méditerranéenne du Southern Gothic américain. Grâce à une sublime photographie, cette ambiance solaire et oppressante est palpable du début à la fin. C’est l’arrivée des deux policiers dans ce village qui va en perturber le vernis exotique et révéler le déséquilibre socio-culturel qu’a pu la transition démocratique espagnol dans les zones rurales les plus reculées. Un processus dramaturgique éculé dans le domaine du polar, tout comme peut l’être celui du buddy-movie qui, ne serait-ce que dans le cinéma américain, de 48 Heures à 21 Jump Street en passant par Mississippi Burning et Seven, a toujours réussi à pousser deux caractères contradictoires à s’unir face à l’adversité. Ici, il s’agit d’un jeune inspecteur tout droit sorti de l’école de Police, interprété par Raúl Arévalo – acteur popularisé en Espagne par sa prestation musicale dans Les amants passagers, la dernière folie gay-friendly de Pedro Almodovar – et un ancien agent de ce que l’on qualifie de la « gestapo franquiste », interprété par Javier Gutiérrez, connu pour ses participations à des comédies potaches et que l’on avait vu dans un tel rôle dramatique. Mais, hormis le fait qu’ils représentent à eux deux l’opposition entre l’idéalisme républicain et le retour vers l’autoritarisme qui déchirait la population espagnole à l’époque, que sait-on de ces deux individus ? Strictement rien. Et des personnages secondaires, on n’apprend rien de plus. C’est là que le film s’effondre. L’écriture ne développe rien de ce qu’il aborde.
Un scénario tarabiscoté qui ne tient aucune de ses promesses
Pire que la caractérisation de ses personnages, ce que l’on aurait aimé voir plus abouti c’est bien entendu, l’enquête policière elle-même. Là encore, on se croirait revenu devant la première saison de True Detective dans la façon dont le duo de détectives va devoir se fourvoyer sur plusieurs fausses pistes avant de résoudre leur affaire. Mais le film d’Alberto Rodríguez durant quatre fois moins longtemps, aucune de ces digressions narratives n’atteint son but. Jusqu’à la fin, tout ce que le scénario entreprend ne fait que se mêler dans un grand imbroglio qui ne parvient jamais à nous impliquer dans une quelconque intensité dramatique ou suspense qui font le fruit de tout bon thriller. Mû par son obsession d’ôter tout manichéisme à son écriture, le réalisateur ne réussit pas non plus à rendre captivants les enjeux de son film. Sans empathie ni intrigue palpitante, on se retrouve devant cette petite histoire de meurtre qui ne réussit jamais à rendre pertinent son discours socio-politique et dont la résolution parait si bâclée que l’on en vient à se demander si l’on a saisi qui est vraiment le coupable. Le sentiment dominant que l’on ait à la fin du visionnage de La Isla Minima n’est pas tant ce sentiment d’inachevé que la profonde déception, qu’avant Rodriguez, aucun cinéaste espagnol n’ait su faire du charme post-apocalyptique du Guadalquivir le décor d’un grand film. Comment alors expliquer son succès commercial et critique en Espagne ? Quelque chose qui nous échappe, sans doute la joie de voir un polar – un genre rare là-bas – aux ambitions de reconstitution d’une période délicate de leur Histoire ainsi que de voir deux acteurs populaires dans des rôles à contre-emploi. Pas de quoi trouver son public en France donc.
Nos attentes pour la sortie Blu-ray
Un making-of qui nous ferait profiter des difficultés qu’a dû impliquer un tournage au cœur des zones marécageuses. Éventuellement, un documentaire qui, lui, saurait nous faire ressentir l’état d’esprit des espagnols vivant loin des villes lors de la transition démocratique.
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