Aux antipodes l’une de l’autre par certains aspects, mes deux dernières lectures offrent pourtant de troublantes analogies dont se repaîtront ceux et celles qui ne croient pas au hasard.
Dans un premier temps, disons que je n’ai pas choisi ces livres qui m’ont tous les deux été prêtés. J’ai terminé le premier, Les Grandes Espérances de Charles Dickens, en voyage et j’ai découvert le second, La liste de mes envies de Grégoire Delacourt, dans le fond de mon sac de voyage. Il s’était égaré dans une pochette intérieure du dit sac à la suite d’une précédente escapade. C’est donc de manière fortuite que j’ai enchaîné la lecture de ces deux romans.
Mais plus important encore que ces contingences, le parallélisme de leur thème central, construit sur trois temps (identifiés par Sylvère Monod, dans la préface des Grandes Espérances), est confondant : « visions, illusions, désillusions ».
Les Grandes Espérances
À mesure qu’il grandit, Pip, le héros de Dickens, sent croître en lui l’insatisfaction du milieu dont il est issu. Un enchaînement d’événements fera en sorte qu’il sera choisi par un bienfaiteur anonyme pour être l’héritier de sa fortune, propulsant notre apprenti forgeron de son modeste village à la prestigieuse ville de Londres où il doit dorénavant acquérir les codes de conduite du mode de vie qui lui est promis, celui de gentlemen, c’est-à-dire, d’homme nanti et oisif. Viendra pourtant le jour de la grande désillusion et de la leçon de vie qui veut que le bonheur tienne peut-être davantage à la fidélité envers les êtres chers qu’aux mirages de la richesse.
La liste de mes envies
Dans ce roman au style littéraire très actuel, l’auteur met en scène un couple demeuré uni malgré l’usure du temps et les épreuves qui ont marqué leur quelque vingt ans de vie commune. Ce qui n’exclut pas une part d’insatisfaction de chacun d’eux et des rêves parfois inaccessibles. Or une soudaine espérance de richesse chez l’héroïne vient bouleverser l’ordre établi et fait briller de mille feux ses espérances tout comme ses possibles effets pervers. Elle hésite entre l’assouvissement de ses envies et la protection de ses relations (mari, enfants, amis) qu’elle sent menacées par cette manne inattendue. La désillusion sera également au rendez-vous dans le mouvement final de ce court roman, éclairant brutalement les repères de l’essentiel. Trop tard? L’auteur laisse la question ouverte.
Aux antipodes
Le roman de Dickens se conjugue en 741 pages d’un récit touffu plein de rebondissements, de personnages nombreux et parfois excentriques, d’un style littéraire fleuri de métaphores et d’humour. Du grand art! J’ai pourtant mis du temps à me plonger dans le genre 19e siècle des Grandes Espérances, tout comme dans la façon de traiter des émotions et des sentiments.
L’œuvre de Delacourt se lit d’une seule traite. Commencée le matin dans la salle d’attente d’une clinique médicale, je l’ai terminée dans la même soirée, happée dès les premières lignes. On parle ici de moins de 200 pages aérées et d’une plume vive, concise, efficace. Les personnages en nombre réduit sont tout ce qu’il y a de plus normaux et ordinaires, nous permettant de nous projeter dans la situation qui nous est présentée et de nous demander comment nous composerions avec le miroir aux alouettes que le destin leur tend.
Charles Dickens, Les Grandes Espérances, Folio classique, 1999, 741 pages
Grégoire Delacourt, La liste de mes envies, JCLattès, 2012, 186 pages