Il y a 3 ans, dans ces colonnes, nous vous parlions d’un mot qui aujourd’hui encore ne manque pas de nous impressionner : mamihlapinatapai. Cette merveille de 7 syllabes désigne, en yaghan (langue de Patagonie), l’instant très particulier, entre réticence et désir, qui précède le premier baiser.
Ce mot, outre sa beauté, a la particularité d’être intraduisible, de ne pas avoir d’équivalent dans une autre langue et c’est pour cela que nous l’avions mis à l’honneur en 2012.
Eh bien, le revoilà ! En image cette fois, dans Lost in translation, le livre d’une jeune Anglaise, Ella Sanders, qui s’amuse avec talent et poésie à « croquer » 50 mots réputés intraduisibles, dont le fameux mamihlapinatapai.
A chaque fois, l’artiste les illustre en dévoilant leur sens. C’est beau et cela nous donne l’occasion d’en découvrir de nouveaux, présentés là comme des stars pour mettre en valeur leur singularité.
Ainsi, ce wabi-sabi japonais, le fait de trouver belles les imperfections laissées par le temps, en particulier sur le corps.
Car c’est cela leur secret : ramasser en quelques lettres l’ordinaire, le récurrent ou l’indicible.
On trouve encore le mot keralu, moins philosophique mais tout aussi charnel, que l’on utilise en langage tulu (Inde) pour évoquer les traces que laissent des vêtements trop serrés sur la peau.
Chacun de ces mots est une humeur, une sensation, un vertige.
Razlioubit, par exemple, permet aux Russes de donner un nom au sentiment doux-amer que l’on ressent lorsque l’amour s’en va.
Etonnant aussi ce trepverter, en yiddish. Littéralement, « mots en escalier ». Ce sont en fait les mots auxquels nous pensons après coup, ceux que nous aurions souhaité utiliser dans l’action, lors d’un échange verbal mais qui sont désormais inutiles (« j’aurais dû dire ça ! »).
Car c’est ça le secret des « intraduisibles », ramasser en quelques lettres l’ordinaire, le récurrent ou l’indicible. Ella Sanders, maligne, les dessine. C’est encore le meilleur moyen de les apprivoiser.