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Faut-il être rimbaldolâtre, selon l’appellation de Jean-Michel Djian (Les rimbaldolâtres, Grasset, 2015), pour exhumer un texte d’Isabelle, sœur d’Arthur, où il n’est quasiment pas question de celui-ci ? Nommé trois fois au passage, c’est tout. Arthur Rimbaud est mort depuis plus de vingt ans quand Isabelle, en août 1914, se trouve placée devant le danger : la guerre est déclarée et elle se trouve, avec son mari, à Roche, en Ardenne, très près, trop près d’un front qui ne tarde pas à se constituer.
En cinq livraisons du Mercure de France, de juillet à septembre 1916, elle donne les souvenirs de son exode. Dans les remous de la bataille a été publié en volume l’année suivante, celle de sa mort, traduit en anglais en 1918 et complété de passages censurés (nous les reproduisons entre crochets et en italiques) dans un volume de Reliques paru en 1921. Depuis, ce texte semble ne pas avoir été réédité. Nous n’en avons du moins pas trouvé d’autre trace plus tard. Il était temps de rendre accessible, dans la collection de la Bibliothèque malgache consacrée à 1914-1918, ce qu’André Salmon pensait être « l’un des plus beaux livres de guerre », ajoutant : « et qu’on ne cite jamais. »
Certes, ce ne serait pas l’avis du chroniqueur qui rendit compte de l’ouvrage dans la Revue Militaire suisse. Il ne comprend pas en effet comment on peut s’intéresser « à Nelly, à Émilie, à Hélène, ou même à la bronchite de Pierre, alors que nous ignorons ces personnages, que nous savons d’eux seulement leurs hésitations à agir ». Il ne voit que de rares passages à sauver : « Ici et là, quelques lignes décrivent de façon vivante un convoi d’émigrés, une entrée de troupes françaises à Reims. »
Bien sûr, s’il cherchait des récits de bataille et une vision stratégique, ce lecteur est resté sur sa faim. Louis des Brandes, dans Études, perçoit l’ouvrage tout autrement : « Ce qui est vraiment neuf, dans ce volume, et rendu avec une simplicité pleine de force, c’est le récit des jours tragiques qui précédèrent et suivirent, à Reims, la victoire de la Marne. » Il y trouve des pages viriles et, s’il déplore le passage de la censure, il conclut avec enthousiasme : « Ce petit volume l’emporte de beaucoup sur la plupart des ouvrages similaires : c’est un document rédigé par un témoin dont les convictions profondes non seulement n’altèrent en rien, mais aiguisent la lucidité. »
Les « convictions profondes » auxquelles il est fait allusion rapprochent, il est vrai, l’auteur de l’article et Isabelle Rimbaud dans une foi chrétienne commune.
S’il faut trancher, sans les réconcilier, entre l’odeur de la poudre et celle de l’encens, on laissera le dernier mot au rédacteur anonyme d’un article qui suivit de peu, le 1er mai 1917 dans La Nouvelle Revue, la publication de l’ouvrage :
« Madame Isabelle Rimbaud nous apporte le récit le plus intéressant, le plus sincère, le plus vrai qui ait, jusqu’à ce jour, paru sur les tragiques événements d’août-septembre 1914 ; récit entièrement digne, par la simplicité et l’élévation de la pensée et de la forme, du nom que porte la sœur du grand poète Arthur Rimbaud.
« Bien que cet ouvrage affecte la forme d’un journal, il ne s’en construit pas moins selon la courbe et le rythme d’une œuvre de premier ordre ayant pour centre et principal personnage la cathédrale de Reims. Madame Rimbaud a vécu, comme elle le dit elle-même, dans les remous de la bataille. La guerre la trouve dans les Ardennes d’abord, et l’entraîne avec nos armées en retraite. À Reims elle voit passer le flux puis le reflux de l’invasion, et c’est la joie du retour de nos troupes, vite balayée par les terreurs du bombardement. Le sacrilège enfin se déchaîne ; la cathédrale, dont la beauté domine le livre comme la ville, est blessée à mort.
« D’un bout à l’autre de ce livre, les impressions et les visions sont notées dans un style très simple, très pur, très net, qui atteint parfois tout naturellement le ton de l’épopée. Le lecteur est saisi, se passionne, halète devant ces tableaux inoubliables du drame sans précédent qui fait trembler la Terre. »
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