Evo Morales Ayma, Mi vida, de Orinoca al Palacio Quemado, 2014.
Ne plus rien avoir à lire, c'est encore pire que d'avoir le frigo vide ! C'est alors qu'on se lance à contrecoeur dans une exploration archéologique, voire spéléologique de sa bibliothèque, et qu'on y retrouve des reliques achetées il y a bien longtemps et dont on avait retardé la lecture pour des raisons diverses et variées. Et puis, faute d'autre nourriture intellectuelle à se mettre sous l'oeil, il faut bien se rendre à l'évidence : c'est ça ou rien. Dans ce cas précis, "ça", c'est l'autobiographie du président bolivien Evo Morales. Deux raisons à cette relégation au rang des livres de dépannage. D'abord, le film était très bien fait, complet, fallait-il y rajouter des mots ? Ensuite, j'avais parcouru quelques lignes il y a un certain temps et je me suis encore retrouvée face à cette fameuse plume bolivienne : des fautes de frappes, d'orthographe, de syntaxe... Le genre d'erreurs récurrentes dans la presse et les essais, et qui me hérissent la grammaire. C'est ce sur quoi, à la reprise de l'ouvrage cette semaine, j'ai dû intentionnellement fermer les yeux. A partir de là, j'ai pu me concentrer uniquement sur l'histoire. Passionnante, romanesque, que la vie de ce premier président indigène d'Amérique Latine. Une vie de cinéma, inimaginable dans la réalité. L'ascension d'un gamin aux pieds nus d'Orinoca, au beau milieu de l'hostile altiplano aymara, et qui, par l'unique force de sa volonté apprend, s'instruit, progresse. Jeune homme, il s'installe dans le Chaparé, la région tropicale de Cochabamba, où il commence à travailler avec son père Dionisio, figure patriarcale essentielle, aux côtés des producteurs de coca. C'est à ce moment précis que le personnage, le lieu et le contexte social entrent en contact pour révéler le leader qu'il sera ensuite. Evo écoute d'abord beaucoup, s'interroge, analyse. Petit à petit, il prend à sa charge la défense de la production de la feuille de coca, mise à mal depuis des décennies par les gouvernements successifs, autoritaires et à la solde des Etats-Unis. Le témoignage d'Evo Morales, tout en modestie et en justesse, retrace ces années de lutte sociale puis politique aux côtés de son peuple. Combien de menaces, d'emprisonnements, de tortures, de violences ont-ils dû endurer ? Combien d'assassinats a-t-il évité ? C'est incalculable. C'est à se demander comment il a pu survivre à tout cela, sans jamais céder ni au chantage, ni à la colère face à l'entreprise de décrédibilisation organisée dont il a été victime. Sans autres armes que sa volonté, sa confiance profonde en la démocratie et en son peuple, Evo Morales arrive enfin au pouvoir en 2006. L'épopée, qui semble toucher à sa fin, ne fait alors que commencer.Malgré une écriture à la qualité plus qu'aléatoire, je me suis laissée emporter par ce témoignage passionnant. J'y ai retrouvé la manière de parler d'Evo, sa détermination, son intransigeance et sa droiture, ce pourquoi nous avons cru et nous croyons toujours en lui en Bolivie. Je me suis replongée dans l'histoire récente du pays et dans les manoeuvres politiques que j'avais étudiées, et dans ces moments de troubles intenses et de violences qui avaient précédé l'accession au pouvoir d'Evo. Je me revois en 2003, lors des événements dits de la "guerre du gaz", lorsque nous écoutions à la radio la répression militaire, les civils morts pour n'avoir fait que demander la nationalisation de leurs hydrocarbures, la démission du dictateur "Goni" (Gonzalo Sanchez de Lozada) et sa fuite en hélicoptère vers les Etats-Unis. Des sacrifices injustes, intolérables, mais dont on sait maintenant qu'ils étaient nécessaires, au regard de ce que devient ce beau pays aujourd'hui : un état libre, en changement permanent, vivant et enfin souverain.