Dans la foulée des attentats londoniens, j’avais lu Black Album D’Hanif Kureishi, qui prenait la poussière sur ma bibliothèque depuis des années. Je ne sais pas pourquoi je m’étais subitement décidé de le lire. Je ne me rappelais même plus de quel sujet il traitait. Et je fus surprise de découvrir au fil des pages le parcours de jeunes anglo-pakistanais qui s’engagent sur la voie de la radicalisation. Ce roman, écrit 10 ans avant les attentats londoniens de juillet 2005, anticipait le parcours de ceux qui ont semé la terreur un matin de juillet. Hanif Kureishi avait également approché ce sujet sensible dans des nouvelles comme Mon fils, le fanatique (adapté au cinéma par Udayan Prasad), mais d’un coup, par un simple hasard de lecture, son propos est devenu étrangement prémonitoire et entre en résonance avec la réalité.J’ai un peu eu la même impression en lisant Underground d’Haruki Murakami.Le 20 mai 1995, la secte Aum libère du gaz sarin dans le métro tokyoïte, causant de nombreux morts et blessés. Un an après cette attaque, Haruki Murakami, qui désirait explorer la société japonaise, ressentit le besoin de donner la parole aux victimes. Il trouvait que le traitement de cette tragédie les avait laisse de côté. Il a entrepris de rencontrer plusieurs victimes et de les interviewer, gardant en mémoire qu’il n’était ni sociologue, ni journaliste. Il n’est qu’un écrivain. Les témoignages restent donc bruts, sans être “exploités”. Mais cette qualité les rend précieux sur le plan humain. Nous découvrons cette tragédie de l’intérieur, découvrons les dégât et en filigrane les faiblesses de la société japonaise.
Arrivé au terme de ses entretiens, Murakami s’est rendu compte que le problème face à ce genre de tragédie, c’est qu’on en vient à les considérer d’une manière manichéenne. Devant l’horreur des actes commis, la grille de lecture qu’on y applique se résume à une dichotomie entre deux camps complètement hermétiques l’un à l’autre.Si l’attaque relève du mal, c’est que les victimes de l’attaque, la société japonaise, était le bien.Les assaillants sont donc le mal, nous sommes le bien.Eux contre nous.
Mais à l’analyse, cette grille de lecture ramène cette situation à un affrontement simpliste, sans s’intéresser à ce qui a amené à cette situation. Comment dès lors en tirer les enseignements? Comment ne pas sombrer dans une apathie confortable, persuadé de n’avoir rien à voir avec “eux”, et de ne pas se demander si, finalement, il n’existe pas un élément dans notre société qui a contribué à ce que cette horreur puisse se dérouler ?
Et j’ai pensé à Charlie Hebdo. A “Je suis Charlie”, qui est devenu un credo auquel il fallait adhérer sans réserve. Une impression d’union sacrée contre “eux”, contre “le mal”, qui ne souffrait aucune contestation.
shoko asahara, le leader d'Aum
Murakami s’est alors demandé s’il y avait une clé à trouver. Il est alors parti à la rencontre de membres d’Aum. Il n’est pas allé à la rencontre des leaders ou des membres qui ont trempé dans ces attentats mais des membres parmi d’autres, certains ayant tourné le dos à la secte, d’autres y étant encore membre jusqu’à un certain point. Murakami y dirige plus les entretiens, désireux de comprendre comment des personnes en sont arrives à se laisser embrigader dans Aum, comment ils n’ont rien vu venir, comment ils continuent d’avoir des difficultés à faire le lien entre ce qu’ils ont retiré de l’enseignement de Aum et les horreurs qu’Aum a commis. Encore une fois, Murakami n’a pas le prétention d’être un sociologue. Il ne tente pas d’apporter une réponse définitive, mais de dégager des pistes, de donner la parole à des personnes que l’on a jamais entendu et qui ont aussi quelque chose à dire.Le résultat est dérangeant, parce qu’on ne peut ignorer dans les récit la dérive de Aum, tout en comprenant pourquoi appartenir à Aum a été une expérience jugée comme positive par certains. Pour beaucoup, ce ne fut qu’étude et vie en communauté… un choix de vie qu’on peut ne pas comprendre mais que l’on peut difficilement condamner. Ce qui amène Murakami à une conclusion assez sombre. Aum existe toujours, contre vents et marées, mais s’est désolidarisée de Shoko Asahara, son fondateur et gourou. Et de nombreuses autres sectes existent au Japon. Sont-elles dangereuses ? Et qui va les rejoindre ? N’importe qui, selon les circonstances, selon la pression que la société exerce sur lui…De la tragédie du métro, le Japon ne semble n’avoir rien appris, se contentant de débusquer les coupables et de passer quelques lois. Mais s’est-elle livrée à l’auto-critique nécessaire pour éviter que les conditions qui ont menés à cette attaque soient de nouveau en place?
Et nous, l’avons-nous fait?
La formidable couverture de l'édition Vintage International, 2001