Et c’est donc une belle sortie de route à laquelle nous avons assisté en fin de semaine dernière pour un pays pourtant piloté par la fine fleur de l’intelligentsia de gauche collectiviste : malgré un programme politico-économique cuisiné aux petits oignons à base d’improvisation et de fuite en avant, à l’étonnement général, la Grèce se retrouve en fâcheuse posture, à quelques heures d’une échéance de remboursement trop importante pour ses finances exsangues.
C’est ballot. Alors que la plupart des observateurs s’étaient déjà largement détendus et prévoyaient un retour à la normale avec un plan de sauvegarde (encore un) pour éviter au pays de sombrer au premier juillet, badaboum, c’est la déroute. Avec une finesse stratégique un peu difficile à décrypter, le premier ministre grec Tsipras est reparti chez lui en envoyant paître ses créanciers.
Comme prévu, les marchés — qui ont bien évidemment toujours su anticiper tout cela avec un flegme quasiment britannique — ont réagi avec quelques petites sautes d’humeur. Du reste, on ne pourra s’empêcher de noter le timing impeccable de ces innovations grecques puisqu’elles interviennent alors que l’indice de Shanghai subit des petits passages à vide ces derniers jours.
Comme prévu, les Grecs ont continué de se ruer sur les distributeurs automatiques, pour sortir autant de liquide que possible dans l’hypothèse d’un gel des capitaux. Hypothèse qui s’est révélée très raisonnable et logique puisqu’il n’a pas fallu longtemps pour que le gouvernement ordonne une fermeture d’une semaine de toutes les banques du pays, et une restriction des retraits aux distributeurs. On peut à présent s’attendre à ce que cette situation dure quelques jours encore.
Comme prévu, on assiste aussi à une ruée sur l’or, et comme prévu, les cours du métal précieux montent descendent comme il faut dans ce genre de marché transparent et honnête. Parallèlement, le Bitcoin a pris une dizaine de dollars en une journée. Ce n’est pas une coïncidence.
Ceci dit, on ne pourra s’empêcher de féliciter Tsipras pour son idée de référendum. Certes, quelle qu’en soit l’issue, les problèmes économiques grecs ne seront pas résolus par une réponse par oui ou non à une question politique, mais pour le premier ministre grec, c’est finement joué : qui, à part quelque dirigeant européen vraiment pas doué en communication, pourra en effet lui reprocher de demander au peuple la direction qu’il veut prendre ?
Et puis, soyons lucides deux secondes : peu importe effectivement la réponse qui, on s’en doute, servira bien plus d’exutoire au peuple que de solution réelle à ses soucis.
S’il répond oui (et qu’il accepte donc le compromis qui avait été décidé il y a quelques jours), ce qui serait pour le moins surprenant compte-tenu de la façon dont ont été présentées les choses par l’actuel gouvernement, cela ravira peut-être les dirigeants de la zone euro qui pourraient dans ce cas desserrer leurs sphincters et relâcher un « ouf » de soulagement en imaginant pouvoir trouver, peut-être, une issue sinon heureuse du moins contrôlée à la sortie de route grecque. Mais le peuple aura mangé son pain blanc. Désavoué, Tsipras partirait peut-être, pour être remplacé par … On ne sait pas qui. Si le meilleur est possible, il est assez peu probable, au contraire du pire.
S’il répond non, on rentre en terre inconnue, parsemée d’hypothèses rigolotes comme le retour à la drachme (qui irait immédiatement à la poubelle ou presque), une économie rapidement délabrée par l’impossibilité totale du gouvernement à se financer, et une austérité pratique et complète impossible à amoindrir pour le peuple … qui aura mangé son pain blanc. Tsipras aura bien du mal à rester vu le grabuge qui aura toute latitude pour s’installer.
Vous avez noté que, dans les deux cas, le peuple grec prend cher. C’est triste, mais n’oublions pas que l’ensemble de la situation n’est pas non plus arrivée complètement par hasard. Les dix, vingt, trente dernières années d’empilement de décisions catastrophique, d’État-bien-trop-providence, de laxisme budgétaire total et décontracté, tout ça a été mis en place tant par le peuple que par les dirigeants qu’il s’est choisis. Certes, l’euro a accru les problèmes (comme le montre cet intéressant graphique ici), mais il ne les a pas créés en premier lieu.
Cependant, parallèlement à ces considérations relativement peu réjouissantes, on se doit de noter que les Grecs, pas tous fous (loin s’en faut), ont réussi à sortir une somme assez coquette du système bancaire avant que celui-ci ferme son rideau. Et si on peut supposer que la baisse des fonds bancaires disponibles, quasi-continue depuis 2009 et qui se monte maintenant à plus de 60 milliards d’euros et atteint son plus bas depuis 10 ans, n’est évidemment pas entièrement due à un retrait des dépôts (l’appauvrissement du pays étant en soi une assez bonne raison), il n’en reste pas moins que depuis septembre 2014, 33 milliards ont été retirés des banques :
On peut raisonnablement penser que cette somme ne peut pas être entièrement imputée à l’évaporation de la richesse grecque. Autrement dit, les Grecs ont un bas de laine de plusieurs milliards d’euros en petites coupures, et il sera fort intéressant de voir comment ils vont s’en servir, surtout si le pays voit réapparaître une monnaie locale dont on imagine sans mal qu’elle ne pourra pas rivaliser avec l’euro. Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de penser que les Grecs, pour disposer d’une telle somme, ont depuis longtemps compris ce qui les attendait, et qu’ils n’accordent en définitive qu’une confiance très modeste à leur gouvernement.
Devant cette situation, on ne peut trouver qu’étrange la réaction immédiate du valeureux Gouroutoumou président français lorsqu’il déclare que la France n’a rien à craindre de la situation. Ce genre de déclarations péremptoires, faites par quelqu’un qui a plusieurs fois déclaré la crise finie, le chômage en baisse et la croissance de retour, devrait normalement déclencher une nervosité maximale chez tous ceux qui se rappelleront donc l’historique du pépère en matière de franchise, d’exactitude et de clairvoyance. Si les autres éléments ne vous ont pas fait paniquer, ce dernier est décisif pour passer en mode « danger immédiat ».
D’autant qu’on doit y ajouter les déclarations consternantes d’un Juncker encore une fois au top :
« Un ‘non’ voudrait dire, indépendamment de la question posée, que la Grèce dit ‘non’ à l’Europe. (…) Je demanderai aux Grecs de voter ‘oui’, indépendamment de la question qui leur est posée. (…) Il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort. »
Répondre sans tenir compte de la question, un non au compromis qui veut immédiatement dire une sortie de la zone-Euro et de l’Union en tant que telle, et un final sur un dicton qui nous ferait presque regretter les haïkus de la serpillère belge, ah, franchement, y’a pas à tortiller, le Juncker a fait très fort.
Voilà en effet qui met les Grecs au pied du mur en transformant ce qui ressemblait encore de loin aux âpres transactions « normales » de gouvernants « responsables » à un ultimatum même pas voilé. Politiquement, peut-être le président de la Commission Européenne a-t-il cru bon de forcer le peuple contre un Tsipras devenu fort encombrant, mais c’est un jeu dangereux dont on voit mal qui pourrait sortir gagnant. Quelque part, cela en dit long sur la lucidité de nos élites. Cela en dit aussi très long sur ce qui attend la France.
Tout ceci n’est vraiment pas rassurant.
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