J'en ai déjà plus qu'assez des burgers, je laisse Auckland derrière moi.
Ma nouvelle étape porte lo nom de Rotorua. Avec des sonorités comme celles-ci, ça fleure bon la culture maori. Si j'ai choisi Rotorua comme première étape dans l'île du nord, c'est que la ville figure tout en haut de la liste des sîtes où l'activité géo-thermale brasse les plaques techtoniques. D'ailleurs, lorsque le bus m'y dépose, l'odeur ambiante ne vient en rien contredire mes attentes. Le vent souffle fort ici et par moments, il véhicule les senteurs printanières issues du souffre comme à Ijen mais heureusement dans une moindre mesure... Ils sont frais mes oeufs, ils sont frais. Beurk!!
La Guest House ici a des accents germaniques. Tous les occupants ou presque, du touriste à l'homme de ménage, prononcent les "r" sous leur forme la plus guttural. Pour un peu on se croirait en Bavière! Heureusement, l'endroit est hospitalier au possible. C'est une grande maison avec tout ce que cela comporte : une salle à manger, un salon et une cuisine équipée, une première dans mon voyage. C'est que la Nouvelle-Zélande, comme son nom l'indique ce n'est pas le Laos ou la Thailande. Ici, le plus économique n'est pas la gargotte ou les brochettes le long de la rue, ça n'existe pas, c'est encore de faire la cuisine soi même, constituant pour ma part un immense décallage avec le passé étant donné que je n'ai pas cuisiné depuis plus de treize mois, situation dont je m'accomode jusque là parfaitement bien.
Et qui dit cuisine, dit supermarché, c'est la mort dans l'âme que j'y vais y faire mes achats.
Des pates par ci, des fruits par là. Il n'est pas encore arriver le moment où je vais passer quatre heures derrière les fourneaux!
Cette heure de fièvre aux accents de caddies plus tard, il faut que je me retrouve. L'après-midi de ce 14 novembre est déjà bien avancée et pour l'instant, tout ce que j'ai à mon actif durant cette journée, c'est quatre heures de position assise dans un bus et une heure à hésiter entre deux marques de salami ou si l'offre de "deux barquettes de fraises pour le prix d'une" est vraiment une affaire.
Ne comptant pas en rester là, et apercevant à chaque coin de rue les fumées qui s'échappent de piscines chauffées naturellement, je décide moi aussi qu'il serait au moins agréable de patauger dans des eaux bouillonnantes ne serait-ce que pour lutter contre le froid qui s'installe dès la lumière du soleil fermée pour cause de nuit. L'été austral n'arrive que dans un mois et manifestement pas une minute plus tôt.
A la réception de l'hotel, je déniche une brochure vantant les mérites du Polynesian Spa. Une dizaine de bassins offrant une vue imprenable sur le grand lac bordant la ville, à la lecture de ces quelques lignes, je suis déjà conquis!! Dans mon sac, une serviette, un maillot de bain. Plaisir du bain, canard en plastique ou pas, me voilà. La marche pour arriver au Spa ne me prend que quelques minutes, seulement c'est déjà suffisant pour aller d'un bout à l'autre de la ville présentée dans le LP comme le principal lieu de tourisme en NZ. Or, j'ai beau traversé la ville et surtout on a beau être samedi après-midi, Roturua ressemble plus à une ville fantome qu'à un pole d'activité. En dix minutes à fréquenter les plus grandes artères de la ville, je croise une dizaine de piétons. Peut-être que le souffre a eu raison des autres...
Arrivé à l'entrée des piscines, je n'ai pas l'intention de monnayer un rein contre un forfait tout compris. Pour moi, ce sera la formule de base merci.
A l'intérieur, je n'ai pas à m'en plaindre. Creusées en escalier, les bassins se s'échelonnent les uns derrières les autres. L'eau arrive des profondeurs dans la piscine du dessus où je regrette de ne pas avoir emporté mes pates tant elle est brulante. Ensuite plus on s'en éloigne, plus la température a le temps de décroitre. Chacun peut donc trouver le bon niveau de mercure pour son thermomètre. De 42° à 36°, faîtes votre choix et dégustez pendant que c'est chaud! Au coeur de cette marinade, je mijote à feu doux pendant deux heures durant lesquelles ma peau se fripe de ravissement. C'est que la "chaleur" tombe rapidement en Nouvelle Zélande. Dès que le soleil se blottit derrière les montagnes, le mercure plonge ailleurs que dans mon bain brulant rendant mes ablutions autrement plus agréables qu'à Coron, où j'avais oublié de préciser qu'il y avait aussi des sources chaudes. Seulement à Coron, de jour comme de nuit la chaleur est étouffante transformant une expérience potentiellement ragaillardissante en un ton sur ton de moiteur.
Mais pas de ça ici... Ici c'est revigorant comme un verre un lendemain de cuite sans passer par la case "mal à la tête".
Au terme de ma mutation en ragout, je quitte l'endroit, m'empressant de rejoindre la GH. La nuit est d'argent, mon sommeil est d'or.
C'est en compagnie nuageuse que je sors de ma chambre autour de 8h du matin. Ce n'est pas de gaité de coeur mais il faut bien que je m'active car Lady Knox n'attend pas. Lady Knox n'est pas une beauté vertueuse tout droit venue d'Outre-Manche mais un phénomène bien local. Peu après l'entrée du parc de Wai-O-Tapu, elle est responsable de l'accueuil, uniquement si on daigne venir la visiter à 10h15, sous la forme d'un geyser pétaradant.
Le parc thermal est à une trentaine de kilomètres de Rotorua. Deux options sont envisageables pour le ralier : la navette à 20$ ou le stop. N'ayant aucune forme de problème pour lever le pouce, je m'efforce de rejoindre la route aussi tôt que possible pour ne pas voir mes chances d'admirer la Lady fondre comme glace dans jacuzzi. Ce sera le stop ou ne sera pas.
Sur le bas côté, je regarde les voitures filer à vive allure. A mon crédit, la route est le chemin direct vers Wai-O-Tapu. Dégainant des sourires à tous les pares-chocs qui me passent, je n'ai pas à poireauter longtemps pour trouver baquet à mon derrière. Une quinquagénaire au volant d'un pick-up rutilant fait chauffer ses freins quelques centimètres après m'avoir dépassé. La portière avant gauche s'ouvre. Elle ne veut pas que je conduise, juste que je m'installe sur le siège passager, les kiwis étant les héritiers routiers des sujets de sa majesté, la reine d'Angleterre. Conduite à gauche pour tout le monde qui ne fait rien comme le reste du monde!!
Déposé à deux kilomètres de l'entrée, je presse le pas pour ne pas manquer une goutte de la fontaine des profondeurs, quoi qu'intrigué par l'horaire à la programmation quotidienne de son éruption.
Je prends alors place dans un amphithéâtre déjà bien garni. Lady Knox affiche presque complet. Devant la foule impatiente et derrière une barrière protectrice, un monticule s'offre au regard. A son sommet un trou.
Vient 10h15.
Là, un membre du staff enjambe la barrière et entame un discours présentoir. On apprend tout de l'histoire des lieux, des raisons de l'activité géo-thermale et tout le tremblement. Puis, le pseudo-scientifique sort de sa poche un simple morceau de savon dont il entreprend d'extraire des morceaux, les jetant ensuite dans l'ouverture. Comme on obtient une canette dans un distributeur, cela accouche du geyser. En quelques secondes, une réaction chimique s'opère, le geyser prospère.
Dans un signe avant coureur, des bulles de mousse affleurent de terre à fleur de terre (oh oh!).
Puis l'eau remplace la mousse. D'abord un maigre jet pour atteindre finalement une colonne haute de plusieurs mètres. C'est que Lady Knox en a dans le ventre. Elle est assise sur un réservoir de millions de litre, la cachotière!!
Ca dure comme ça pendant une heure. Pour ma part, j'aurais bien envie de la nourrir de kilos de savon entier pour décupler le procédé mais non. Je n'avais pas prévu le coup...
Regarder un jet d'eau sortir des profondeurs, c'est un spectacle efficace, du moins pour un temps. C'est que Lady Knox ne possède pas énormément de mots à son dictionnaire et qu'à la longue, on se lasse.
Cela dit, point de misérabilisme, Wai-O-Tapu a bien plus à offrir que la princesse qui se gargarise. En avant.
Wai-O-Tapu, cela signifie "eaux sacrées" en Maori. En Braïce, ça signifie plutôt "belle ballade entre les lacs multicolores et les cratères menaçants où la baignade est interdite même dans le cas où Mitch la surveille".
Le sol est constellé de trous. Dans chacun d'eux, un concert sulfureux se joue. Non, Lady Knox ne s'y baigne pas toute nue, ce n'est pas du language imagé quand je parle de sulfureux. Les flaques boueuses dans lesquelles se succèdent des bulles grisâtres n'ont rien d'une fontaine de Jouvence, c'est même tout le contraire avec des accents cyanurés!
Puis, c'est autour des lacs de sortir du bois dans cet environnement forestier. Et là, malgré la couverture du nuages qui, aujourd'hui, prive les visiteurs des effets trascendant du soleil sur les couleurs comme une bonne lessive, un festival chromatique commence.
Du jaune au rouge en passant par le vert, c'est comme si le peintre fou avait préféré s'attaquer à des étangs plutôt qu'à une toile.
Même quand la pluie laisse filtrer quelques gouttes à travers les nuages, la seule réflexion que cela inspire c'est "qu'importe", le spectacle éclipsant toute forme de mécontentement.
Le seul problème que cela m'inspire, c'est que si je suis trempé d'eau jusqu'aux os, je deviens tout de suite moins aguichant pour qui daignerait réfléchir quant au fait de me prendre en stop. Me mettant à leur place, je comprend bien qu'aider c'est sympa jusqu'à ce qu'on doive charger une éponge dégoulinante. Là, c'est non. Il ne faut pas confondre hospitalité et allité à l'hospice.
Je prends donc mon mal en patience sous un refuge posé le long du sentier exactement à cet effet, la météo néo-zélandaise n'ayant que ceci de prévisible qu'elle est imprévisible. Puis vers 15h, ayant plus que pris mon temps pour m'extasier du moindre centimètre carré, je franchis la sortie en m'amusant de toutes les daubes dont on peut se porter acquéreur à la boutique de souvenirs. Au même moment, un couple coupe la ligne d'arrivée. Hep Taxi!!!
De retour chez les germains, je tente vaguement de me fondre dans le paysage en sympatisant avec quelques "locaux". Mais comme on me pose des questions auxquelles j'ai déjà répondu un bon millier de fois (Tu viens d'où? Depuis combien de temps tu voyages? Mais comment tu fais? Et les cuisses de grenouilles, ça ne te manque pas trop?), je finis par me coller le nez dans l'écran pour n'en sortir que assouvir des besoins vitaux comme le Burger King ou les toilettes jusqu'au moment où je suis déjà le dernier debout. Il est minuit et demi. C'est mon tour de lever le camp.
Le 16 novembre, paradoxalement, le calendrier a beau affiché en gros "lundi", ça coincide avec ma première grasse matinée chez les kiwis. Il y a bien une jeune fille qui vient nettoyer le dortoir dans lequel je dors sans crainte des représailles quand elle passe l'aspirateur, mais il en faudrait plus pour que je me secoue. Il est déjà 11h, le bus vers Taupo, objectif à moyen terme, est déjà parti, nous voilà bien engagé pour une journée active...
Vers midi, de nouveaux locataires arrivent. Ne se doutant de rien de ma présence camoufflée sous une couette avenante, ils papotent en s'installant. C'en est trop, je sors de ma torpeur. Au premier mouvement, une des filles nouvellement débarquée hurle n'ayant rien vu venir.
Si on fait le compte sonore de cette journée à peine entamée, entre l'aspirateur et les hurlements, j'ai comme envie d'aller prendre l'air!!!
Je fais alors le tour des options qui s'offrent à moi.
En engouffrant un mélange de petit et de grand déjeuner, je jète mon dévolu sur l'option cycliste plus à même que son pendant piéton d'aggrandir mon rayon d'action dans la ville que je ne peine déjà pas à connaitre comme mon 80 litres.
Je loue donc pour la demie journée un fier destrier bien décidé à explorer une foret située à quelques tours de roues de là. Si tout fonctionne, c'est à dire si je ne me perds pas en route, je devrais sur place avoir à disposition quantité des chemins spécialement aménagés pour la pratique sportive du deux roues. Me voilà donc à pédaler face au vent, prenant garde à ne pas me tromper de sens en rejoignant la route principale. Puis viennent les premiers arbres. Dans un coin du ciel, le soleil revanchard commence à se tailler la part du lion.
La lisière de forêt atteinte, je commence à entrevoir ce que je pense être la principale difficulté de la randonnée : des montées à n'en plus finir.
Mais bon vaille que vaille, je me lance. Et comme je ne suis pas tout seul, j'essaye au minimum de faire bonne figure c'est à dire que je me garde bien de poser pied à terre tant que quelque autre coureur est dans les parages immédiats. Seulement, le résultat consécutif à toute cette témérité physique, c'est que, vulgairement parlant, j'en chie des ronds de chapeau!!! Car c'est bien beau de gravir des montagnes semelles au sol, mais dès qu'il s'agit de faire la même chose les semelles calées sur des pédales, ces même semelles de vent se muent vite en semelles de plomb.
Déjà à mi-pente, j'ai le souffle qui crie famine, les cuisses qui démissionne, la critique sur le dopage beaucoup moins acerbe. Dès que je suis tout seul, je déchausse et poursuis en poussant/tirant ma charrue de vélo bien décidé tout de même à ne pas en rester là. Pendant ce temps, je suis doublé par quelques kiwis qui ont tout compris puisqu'ils se font déposés en voitures équipés de galeries tout en haut, là où mes muscles me dirigent aveuglément malgré tous les signaux de détresse qui parcellent mes jambes.
Et là haut, au bout de l'effort, le souffle si court que ce n'est plus qu'un fin fil d'Ariane qui me sépare de la suffocation, le chemin marqué de traces de pneus de voitures s'interrompt, je pénètre dans une immense clairière, point de départ des multiples chemins de descente, donc d'amusement, qui s'offrent à mes roues cramponnées.
Mais une chose à la fois. D'abord, il s'agit de profiter de l'instant présent en se laissant lamentablement tomber sur un lit d'épines de pin, doux matelas pour mes membres douloureux.
Une demie heure passe pendant laquelle je ne bouge que pour me nourrir d'abricots secs, pour, pour une fois, boire de l'eau, et fumer une cigarette qui n'est jamais meilleure qu'après l'effort.
Après ce menu de réjouissance, ce que je pense être la récréation commence.
Les tracés de descentes sont classés, en anglais dans le texte, de "grade 1" à "grade 6". Seulement, dans mon esprit déconfit, impossible de dire à quoi de 1 ou de 6 correspond le plus difficile. J'ai beau être habitué à circuler dans Paris à vélo, la conduite au milieu des platanes et de leurs traitresses racines n'a pas grand chose à voir.
Un peu au hasard, je pars sur un itinéraire classé "5".
Après quelques mètres de plat et de pente douce, l'angle vire de bord, la largeur du chemin rétrécit au lavage, je ne suis pas au bout de mes peines. L'évidence me plante comme une lame, mon choix compte tenu de mes capacités ne s'avère pas courageux mais suicidaire. Les ponts de bois larges comme une paire de skis se succèdent loin au dessus du plancher des crashs. Les sauts encouragés par des bosses surdimensionnées et d'autres passerelles qui s'achèvent sur du vide sont autant d'occasions de se fractionner la colonne vertébrale en osselets sur les arbres qui poussent de part et d'autre à la manière d'épés de Damoclès végétales.
Comme une évidence malgré mon assurance rapatriement nouvellement renouvelée, mes pieds sont bien plus souvent ancrés au sol que je ne le voulais. Les kiwis ont beau me montrer la voie quand il me double à cent à l'heure me forçant littéralement à déchausser, je n'en emmène pas large! Ces gars et ces louloutes là ont un nombre de vies supérieur à 1 comme dans un jeu vidéo ou ont-ils tous subi une ablation de la rate, je ne vois pas d'autre explication.
Arrivé en bas, je me laisse encore une chance.
Pour cette deuxième prise, j'ai compris ma douleur la première fois, je remonte tout à pieds. Et une fois de retour au sommet, on ne me la fait plus non plus, je me lance sur un parcours "grade 2", bien plus adapté à ma confiance embryonaire vacillant dans l'oeuf entre la vie et la mort.
Là, tout va mieux. Si la descente en niveau 5 se faisait sur trois ou quatre kilomètres, celle en niveau 2 s'étire longuement en tournoyant autour de la colline adrénaline. Cette fois-ci, le plaisir est là.
Les arbres me vouvoient de loin plutôt que de me donner de grandes tapes dans le dos. Chacun chez soi, et les vaches seront bien gardées!
Une fois en bas, il est déjà 18h, parfait prétexte pour esquiver une troisième ascension.
Je retourne chez le loueur cette fois-ci avec le vent dans le dos. Profitant de l'élan, dès le retour en Germanie, je réserve mon billet pour Taupo pour le matin suivant; en bus, c'est mieux.
Sachant maintenant que mon séjour à Roturua tire à sa fin, je profite de cette fin de journée où le soleil austral ne se couche que tard le soir à l'approche de l'été qui arrive pour déambuler une dernière fois sur les rives du lac du même nom, parfait préambule à un dîner mille fois mérité au regard de mes canes qui sifflent.
Une fois la peau du ventre aussi tirée que mes traits, je retourne dans mon antre.
Quelques dizaines de minutes d'écriture plus tard, je tombe de sommeil. De bonne augure pour monter en pleine forme dans le bus qui m'emportera vers la capitale mondiale du saut en parachute si on en croit les brochures, Taupo.