Magazine Journal intime

Taupo, le Tongariro Alpine Crossing et Mount Doom. Confiture sur déconfitures.

Par Simplybrice

On va voler, sous une voile et sous un bombardier.
On va voler et puis sauter d'très haut.
En s'assurant qu'c'est pas un sac à dos,
Que j'ai dans le dos!!
Revigoré par une nuit de plume, je salue Roturua.
Mes jambes sont encore sous le coup des franchissements de cols de la veille mais ça pourrait être pire. Aujourd'hui, l'étape n'a pas lieu sur la selle mais au sein de la caravane. En bus, je ne crains rien. En trois heures de trajet, les moutons ne se comptent plus. Entre les collines, derrière les fils barbelés servant à canaliser cette vermine à poils laineux, ils paissent tranquillement, tous fraichements tondus, signe que l'été approche.
Seulement pour l'instant l'été n'est qu'une notion fantasmagorique. Sûr que les méchouis sur pattes auraient bien besoin de leur manteau d'hiver pour se protéger du vent qui souffle en provenance directe des quarantièmes rugissants et de la pluie glaciale qui noie les collines derrière un rideau flouté signe que ça barde à l'extérieur.
Moi qui me trouve à l'abri, je ne m'en porte pas plus mal, mais pour ce qui est du saut en parachute, ça sent la déconvenue.
Débarqué à Taupo, rien a changé. Une pauvre centaine de mètres me sépare de ma nouvelle pension et c'est déjà assez pour que j'ai besoin de courir derrière ma casquette qui refuse de rester en position géostationnaire sur ma tête préférant s'envoler au gré des bourrasques.
La GH est très accueuillante. Tout s'y passe au premier étage à l'exception de l'espèce de petite piscine chauffée qui n'a pas grand intéret quand il suffit de mettre le nez à la fenêtre pour être mouillé. Il y a un grand salon à côté d'une cuisine, les deux donnant sur une terrasse panoramique avec une vue imprenable sur le lac. Avec un minimum d'imagination, je suppose qu'il doit y faire bon vivre quand le soleil est de la partie.
En attendant, le plus grand lac de Nouvelle-Zélande me nargue. Je ne trouve rien de mieux à faire que de ne rien faire, dans ces conditions, la contre-attaque est vaine.
Le lendemain, comme le chante l'Antéchrist, c'est la même chanson. Il pleut, il mouille, c'est la fête à la grenouille. Pour la deuxième fois de suite, je suis bloqué dans ma retraite dorée sans possibilité de déployer mes ailes comme il conviendrait de le faire si la météo était plus favorable aux cigales.
Seulement, en allant faire un tour non pas dehors mais sur internet, tous les sîtes météorologiques sont unanimes : entre aujourd'hui et demain, le baromètre va faire le grand écart au risque de se craquer les adducteurs, le soleil arrive, pour 24 heures... C'est déjà ça...
Il convient alors de s'interroger sur la marche à suivre. S'il ne devait y avoir qu'une décision à prendre, quelle serait-elle?
La chute libre, certes c'est tentant. Mais on est en Nouvelle-Zélande et le moins que l'on puisse en dire, c'est que le pays n'est pas radin en opportunité de s'envoyer en l'air. Si ce n'est pas demain, La Palice ne me contredira pas lorsque je dis que c'est pour un autre jour.
Que nous reste-t-il donc d'unique en ces lieux immédiats?
Une visite à la réception prodigue en renseignements aura vite fait de m'ouvrir les yeux.
A quelques kilomètres de l'autre côté du lac de Taupo s'effectue un des treks les plus fameux de Nouvelle-Zélande : le Rongariro Alpine Crossing. Celui-ci s'effectuant en plus en une journée, c'est comme si la providence s'invitait à table. Je fais alors le tour de tous les touristes que la pluie a rendus sédentaires et leur demande s'ils ont déjà foulé le trek du pied. Les réponses positives ne se font pas attendre, c'est un plébiscite en faveur du "oui".
Aussi sec, inversement au temps qui ne s'est guère arrangé, je retourne assiéger la réception ayant remplacé les questions par des certitudes. Demain, quoi qu'il arrive, je rechausse mes bottes de sept lieues et m'attaque à la terre kiwi en version pentue.
A priori, la marche ne représente pas de difficultés particulières. Il suffit de s'acquitter de 18km, facile pour un jeudi.
Seule épine dans le pied de ce programme finement huilé, une navette passera m'intercepter à la GH à 5h40 du matin, véritable crime de guerre en temps de paix. Mais qu'importe, Tongariro, prépare tes obstacles, je radine!!
Sûr de mes capacités, je me couche vers 1h du matin après avoir partager quelques rasades avec d'autres locataires. Avant de poser la tête sur l'oreiller, je fais un rapide détour par la terrasse qui m'assure enfin que le ciel est partiellement dégagé, des centaines d'étoiles m'en étant témoins.
A 5h15, le réveil sonne. Dans ces cas-là, comme je dors en dortoir, la meilleure des choses à faire est encore de se lever le plus vite possible et de quitter la chambre pour n'y revenir que bien plus tard afin de ne pas faire profiter outre-mesure à mes colocataires du non-sens que de se lever avec le soleil.
La douche saura donc attendre mon retour. A la place, je m'active à préparer quelques sandwishes qui devront me tenir d'attaque tout au long du parcours. Ceux-ci s'accompagnent intelligemment d'abricots secs, parfait remède contre les coups de mou et d'une bouteille d'eau.
A 5h40 sonnantes et trébuchantes, le minibus est là, je suis loin d'être seul. A l'intérieur, toutes les places sont occupés sauf une, la mienne. Je m'installe et maintiens la pression en écoutant de la musique plutôt que de retomber dans des abysses somnolentes qui ne feraient pas bon effet à l'heure de se dégourdir les jambes. En arrivant, le chauffeur prend la parole pour prévenir la foule des marcheurs que le dernier transport retournant à Taupo partira de la fin du parcours à 16h30 que tout le monde soit là ou pas. Personnellement, n'ayant pas particulièrement envie de me lancer dans ces 60km là en usant mes semelles, j'en prends bonne note.
A 7h, en ce qui concerne le bus, le frein à main est bloqué; en ce qui me concerne, les vitesses de la première à la cinquième sont enclenchés. C'est qu'il n'y a pas qu'un minibus pour déverser son flot de marcheurs patentés. Au moment de poser le pied au sol, une file indienne de centaines de personnes est déjà formée, serpentant lentement jusque dans les hauteurs.
Je tombe des nues. Certes c'est la première fois qu'il ne pleut pas depuis des jours, certes le sentier est particulièrement réputé jusqu'à être qualifié "d'une des meilleures marches d'une journée au monde" par le LP et toutes les brochures détaillant l'itinéraire, mais bon, ce n'est pas une raison... Pourquoi faut-il que tous les Kway de la terre se soient donnés rendez-vous aujourd'hui me remplissant les oreilles de couinements résultant des frottements entre les bras et le corps de ceux qui les portent???
Quand je marche autrement que pour aller faire les courses, j'ai envie de communion avec la nature, envie d'entendre le chant des oiseaux, pas l'accent allemand.
Schnell!! Schnell!!
Ne reste plus qu'à doubler un à un tous ces pique-assiettes de l'effort. Même si je dois me bruler les ailes dans les premiers kilomètres en marchant plus vite que la raison ne voudrait l'indiquer, je me dois de les laisser derrière moi coute que coute!! Que l'esprit de Békélé m'emplisse, en avant!!!
Les premiers bornes sont plats et sans difficultés majeures. Si je dois laisser derrière moi les promeneurs du jeudi, il faut que j'en mette un coup d'entrée. Au lieu de faire des petits pas, j'avance à grandes enjambées; au lieu de marcher, je trotine ne perdant que de rares secondes à faire quelques clichés quand même car j'ai oublié de vous dire que partout autour c'est volcagnifique!
Au terme de cette première presque ligne droite et plate, l'objectif est partiellement atteint. J'ai beau avoir doublé des compagnies entières, il y en a toujours plus devant! Les flaneurs se sont donnés le mot pour coloniser la montagne!!! Heureusement quand même qu'il reste les marches optionnelles dont ceux-ci ne daignent pas se surcharger.
La première prend une petite demie-heure aller-retour vers une cascade de taille correcte. Le sol pour l'atteindre est gonflé d'une eau qui coule sans lit propre. Ca patauge, ça boit par en dessous dans mes Adodos achetées 5$ à Pékin et dont j'espère qu'elles dureront au moins jusqu'aux Etats-Unis même si elles sont déjà dans un état encore plus lamentable que mes originales laissées précédemment en Chine.
De retour sur le chemin principal, en plus de faire des bruits d'éponge qu'on essore à chaque pas, je retrouve les visages de ceux que j'avais laissés sur le carreau voilà trente minutes. Donc, deuxième manche. On prend les mêmes et on recommence, je me remets la tête dans le guidon (au figuré, merci bien Ronan).
Là, je profite de la première difficulté de la journée pour remonter au classement. Ce sont les "devils staircase" que l'on pourrait traduire par escalier du diable, rien que ça!! Et sur cet escalier, quand on porte des adodos de 300g et qu'on a l'oeil du tigre, ceux qui portent de vrais chaussures de marches de plusieurs kilos ne voient que vos fesses pendant quelques secondes avant que vous ne soyez plus pour eux qu'un vague souvenir. Dans la montée, je détale tel Bip-Bip fuyant les coyotes.
J'ai beau être le nez dans les nuages et, par endroits, ne pas voir ou presque où je mets les pieds, je cavale tant et plus.
Une fois les escaliers derrière moi, il est temps que vous sachiez.
Depuis le début du trek, sur la droite se dresse le Mont Ngauruhoe, un volcan splendide parfaitement symétrique que les fans de septième art sauront reconnaître puisqu'il a servi la trilogie du Seigneur des Anneaux comme décor pour représenter le Mont Doom.
C'est l'itinéraire bis par excellence! Impossible de ne pas s'y frotter, si Frodon doit y jeter l'Anneau, je dois m'y jeter aussi!!!!!!!!
Cependant ce n'est pas chose aisée, du moins si on en croit la brochure qu'on nous a donnée dans le bus :
"Il n'y a pas de sentier délimité pour gravir la montagne, donc l'ascension ne doit être tentée que si le temps est totalement clair et si le vent n'est pas trop fort. Cette marche optionnelle est extrèmement difficile et ne doit être hasardée que par ceux qui ont trouvé le "devils staircase" facile et qui, en plus, ne souffrent pas de vertige. La montée devrait vous prendre deux heures alors que la descente s'effectue en 30 minutes.
Si au milieu de votre effort, vous sentez que c'est trop difficile ou trop long, faîtes demi-tour et redescendez, vous ne devez pas rater le bus de 16h30. Vous aurez aussi besoin de chaussures montantes qui vous tiennent la cheville afin de vous protéger contre les roches aiguisées. Si vous ne suivez pas ce conseil, vous pourriez vous retrouver en sérieux danger.
Les chutes de roches conjuguées à une mal chausse sont un risque sérieux. La prudence est recommendée."
Voilà pour la mise en bouche couchée sur papier.
Inutile de vous dire qu'avec le vent qu'il fait et mes ersatzs de chaussures de salle ne caressant mes chevilles que du regard, c'est du tout cuit!! Et puis, dans le livre comme dans le film, Frodon il fait ça pieds nus, alors!!!
J'abandonne le sentier principal. Au dessus de moi sur la pente abrupte du volcan, deux autres varappeurs, pas plus grands que des têtes d'épingles, me servent de points de repères.
Par terre, la surface est sablonneuse. Dès que la grimpette commence, comme aux plus grandes heures des dunes égyptiennes, chaque fois que je fais un pas, celui-ci rétrécit charriant le sable qui me supporte. Le millier de mètres de dénivelé qui me sépare du cratère n'est plus qu'une notion abstraite. Afin de me faciliter un tant soit peu la tache, la meilleure méthode consiste à trouver des rochers à escalader, un sol acéré mais solide valant mieux qu'un sol mou et fuyant.
Cette phase dure une heure pendant laquelle je m'astreins à quelques pauses. Comme tout se fait en montée, il n'y a pas de plat ou de descente pour se reposer les cuisses. De plus, l'inclinaison changeant sans cesse, il est la plupart du temps impossible de voir le sommet ce qui permettrait au moins de se faire une idée de la distance restant à parcourir.
A mi-hauteur, le sable n'est plus, dommage...
Pour le remplacer, ce sont des cailloux de tailles variables qui se mettent en travers de la bonne marche des évènements. Ce pourrait être une bonne nouvelle mais non. Ce sont des roches volcaniques presque aussi légères que de la pierre ponce. Elles ne sont en aucun cas soudées à la paroi entrainant glissades et pertes d'équilibre à tire larigot.
Quand je glisse ici, la déclivité est telle que je pourrais aussi bien dévaler jusqu'en bas sans autre forme de procès. Qui plus est, avec mes chaussons de danse, les pierres que j'emporte avec moi me massent les chevilles comme le ferait un marteau piqueur. Tout est affaire de contrepoids et de stabilité ce qui ne suffit, malgré tout jamais, me forçant aussi à m'égratigner la paume des mains quand je dois me raccrocher comme je peux à un bout de montagne qui traine plutot qu'à un bout de caillou qui détale.
Logiquement, les pauses se multiplient encore quand c'est encore possible.
Heureusement quand même que plus je progresse et plus je me rapproche de mes compères partis plus tôt qui ont déjà atteint le sommet. Car, il est là, droit devant à m'aimanter.
L'ultime effort arrive.
A mesure que la crête se rapproche, comme si cela ne suffisait pas, la glace fait son apparition!!! Pauvre de moi!!!
Cela dit aussi plus les distances se resserrent et plus lorsque la roche affleure sur quelques centimètres carrés, je peux m'y appuyer sans craintes, encore que. La pente est plus vertigineuse que jamais, le vent l'épouse dans des noces extravagantes.
A un moment, je suis coincé à quatre pattes sur mes appuis. Dès que je bouge le moindre muscle, la terre se dérobe caillou par caillou sachant que lorsque tous auront foutu le camp, la gravité fera son travail et m'envoyera valser des dizaines de mètres plus bas dans le meilleur des cas, dans des conditions que je ne préfère même pas imaginer. La trouille gagne du terrain. Quelques contorsions plus tard, je m'en sors quasi miraculeusement.
Ne reste que quelques mètres. Je touche la cime du doigt. C'est une image, tant pis. Encore un petit effort.
Je n'ai plus d'autre alternative que celle de visiter le pan glacé. Ce n'est pas que ça me fait plaisir mais tout le pourtour du cratère en est recouvert. La glace est dure et, pour bien faire, glissante comme une patinoire. Ca tombe d'autant mieux qu'à cause du vent polaire je ne sens déjà plus mes doigts.
Intégralement en rampant, je parachève le tour de force.
Derrière moi, la pente menace de m'avaler à chaque seconde.
Devant moi, le cratère est encore pire. Ca tombe à pic sur des dizaines de mètres sans qu'au fond il n'y ait la moindre possibilité d'en sortir. C'est stagne ou crève, le tout dans des rafales qui doivent dépasser les 100km/h, sachant que c'est difficile à dire dans ces conditions, sachant en plus que je n'ai pas un anémomètre caché dans le derrière!!!
Pour bien faire, il faut que je me décale d'une dizaine de mètres à droite vers la seule zone solide du périmètre qui ne doit pas faire plus de 2m².
Complètement à plat ventre, je me contortionne, tenant dans mes mains le pourtour de la couronne glacée, voisine directe de la chute potentiellement dantesque décrite plus haut. Si je fais une traction, c'est le grand saut. Si je lache, le vent me ramène dans la vallée. Je ne suis alors concentré que sur mes prises quand je ne "pleure" pas la sensibilité de mes mains désormais disparue. Puis, c'est la libération momentanée. Je suis assis à mi-chemin des deux précipices, les fesses, les pieds et les mains ancrés comme ils peuvent. La vue est à couper le souffle, le sifflet et le reste aussi. Je domine une mer de nuage à tel point que j'ai l'impression d'être en avion avec la climatisation boostée au nucléaire. Par endroit, des trouées permettent de distinguer lacs et vallées. A 150km à l'ouest, la canopée enneigée du Mont Taranaki me fait de l'oeil. Seulement, le temps d'en profiter est réduit au minimum.
La première des priorités est alors de me réchauffer les mains.
Les poches? Non, trop fines.
La seule solution est d'enfiler mes mains dans mon caleçon, dernier endroit gardant ma chaleur corporelle. Les orphelines peuvent bien partager leur pré carré, ce n'est pas un exercice, c'est une procédure d'urgence!!!
Ensuite, il faut encore faire un film. Cependant, impossible de tourner sur moi-même, c'est un coup à tourner un snuff movie!! Peinant ne serait-ce que pour trouver les boutons au toucher, je m'acquitte de ma tache tant bien que mal.
Je suis alors rejoint par deux israëliens. Les gars sont équipés comme au pole, la preuve, ils ont des gants les salauds!! A leur arrivée, tout le monde se congratule, se les gèle, redescend quelques mètres plus bas, le cul dans la glace à la merci des bourrasques, se mettre à l'abri autant que possible derrière un rocher paravent.
Là, on continue les réjouissances par une cigarette que je ne peux même pas allumer moi-même, les doigts trop engourdis avant de prendre les dernières photos avant la descente qui s'annonce au moins aussi rock n'roll que la montée.
Avant de repartir, je me souviens encore du Mont Merapi dont la retour m'avait bien rapé de partout.
Ici, compte tenu de l'aller, j'ai mal d'avance...
Mes mains ne sont plus au sein des saintes. Si je marche les mains coincées dans le futal, ça équivaudrait à marcher sur un fil les yeux bandés. Non merci, peut-être une autre fois. Sécurité avant tout.
Mes paluches servent autrement mieux en étant rivées au sol à s'accrocher à tout ce qui passe. Car un exercice de voltige se joue. Que je le veuille ou non, plutôt non, je ne peux éviter d'être entraîné en aval plus vite que la musique que j'aimerais être une musique de chambre. Mes pieds glissent à tout va. Sous mes semelles, j'entraine avec moi des bouts de montagne. C'est d'autant plus emmerdant que dans l'autre sens, des dizaines de grimpeurs prennent part à l'ascension et que si l'un d'entre eux vient à embrasser un caillou dont j'aurais provoqué la chute, je ne vous raconte pas la tuile, la tache d'huile sur la toile!!
Dans le même temps, ce sont mes chevilles qui entament des ébats passionnés avec les Rolling Stone. Ca fait un mal de chien mais l'important est que je me rapproche du bout du toboggan incontrolable puisque le sable me tend les bras.
En l'atteignant, je dévalle, c'est comme descendre une dune.
Fatigué quand même par l'exercice et me rendant compte que j'ai fait le plein d'avance par rapport à tous ceux qui grimpent dans la direction opposée, je me vote une première pause sur le chemin du retour. Un gros rocher bien confortable par rapport à ma situation quelques trentes minutes plus tôt me sert de banc. Comme un bonheur ne vient jamais seul, la chape de nuage laisse maintenant filtrer les rayons solaires. Le thermomètre s'excite, j'enlève des couches.
C'est également le moment idéal pour immortaliser sur carte mémoire le paysage d'en face que je domine toujours malgré mes dégringolades. L'appareil photo. Il est où? Dans les poches de mon jean? Rien. De mon blouson? Rien. Dans mon sac? Bordel, c'est pas possible!!!!!!!!!!!!!
Je vide le satané sac de tout son contenu. Que dalle, zénèb, prout... Rien de rien...
J'enlève tout et me retrouve torse nu, l'ensemble de mon équipement répandu à terre.
L'appareil photo toujours invisible. La dépression me guette, la malédiction a encore frappé, encore plus précoce que d'habitude puisque ce dernier Lumix n'a qu'un peu plus d'une semaine!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Un flot d'insanités roule alors sur la montagne, sur la Nouvelle-Zélande toute entière!!!!!! Tout le vocabulaire injurieux y passe, l'auto-flagellation est à son paroxisme, la crise de nerfs est proche.
Alors, comme on se relève après avoir été mis KO par Mike Tyson, on remarque deux catégories de personnes : celles qui raccrochent les gants aussi sec et celles qui n'ont qu'une envie, remettre ça.
Cet enfoiré d'appareil, et je pèse mes mots, doit être quelque part entre le sommet et ici. Avec un peu de chance (beaucoup de chance?), soit je parviens à remettre la main dessus en chemin vers le cratère, soit quelqu'un d'autre finira bien par le retrouver. La seule solution qui s'offre à moi si je ne veux pas m'écraser sciemment la tête contre Mount Doom (NDLR : le "Mont Malédiction" en anglais), remettre mon bleu de travail et repartir une deuxième fois à l'assault du volcan, cette saloperie de volcan!!!
Mon blouson de retour sur mon dos, je tourne les talons. Connaissant maintenant la difficulté, je me jète à corps perdu dans cette folie ascensionnelle. Les seules interruptions que je m'accorde ne sont que lorsque je croise à présent les personnes qui avaient du retard sur moi et qui comptent maintenant deux heures d'avance étant donné qu'elles descendent et que j'ai les trois quarts du volcan à gravir!! A chaque fois, je les interpèle sans coup férir.
- "Excusez-moi. Je reviens du sommet sur lequel j'étais il y a plus d'une heure et je me suis rendu compte que depuis, mon appareil photo manque à l'appel. L'auriez-vous aperçu par hasard, ça m'enlèverait du pied une épine aux proportions stratosphériques!!"
Mais à chaque fois, j'ai la même réponse en retour :
- "Votre appareil photo? Ah ben c'est vraiment pas de bol!! Non, je suis désolé mais je n'ai rien vu."
Ouais... Moi aussi j'suis désolé... Alors je repars. A fond les ballons.
- "Excusez-moi... Non?"
Non. Je passe alors mon temps à doubler. Peu importe si je me casse la figure dans tous les sens, j'ai beau tomber, je me relève en serrant les dents et poursuis de plus belle.
- "Non?"
Je suis de retour aux environs glacés. Le soleil brille maintenant fort et le vent est quasiment retombé. Ceux qui parachèvent la montée pour la première fois ne connaissent pas leur plaisir, ni ne le boude.
Arrivée moi aussi là-haut, je commence par aller faire l'inspection de notre coin fumeur du temps où je prenais ma pause avec les israëliens. Le rocher à la forme caractéristique n'est pas compliqué à retrouver. Seulement, j'ai beau en faire le tour une fois puis deux, l'essentiel manque toujours.
Je complète alors ma deuxième boucle en m'adressant à l'emporte pièce à la vingtaine de personnes qui s'alanguissent, surplombant le cratère, profitant d'un calme météo irréel étant donné ce qu'on a vécu deux heures plus tôt. Dépourvu de toute patience, j'hurle de telle sorte que je n'ai pas à poser la question une vingtaine de fois :
- "ALORS? VOUS L'AVEZ VU OU QUOI????"
- "Non, toujours pas..."
Dégouté, le Braïce. Résigné, le Braïce.
Je suis venu, j'ai vu, j'ai perdu.
Veni, Vidi, Parti.
N'ayant alors plus la moindre soif pour le contentement, je pars de là sans même prendre la peine de profiter de la vue. Le sentiment d'accomplissement est grand d'avoir gravi Mount Doom deux fois mais pour l'instant, c'est bien bien bien à l'intérieur...
Je redescend toujours en travaillant autant mes notes artistiques que techniques à chaque fois que je dégringole à durée indéterminée. Je pourrais sincèrement et légitimement avoir peur de me casser le squelette en mille morceaux mais non, j'ai autre chose à penser qu'à penser à panser mes plaies... D'ailleurs mes chaussettes au niveau des chevilles se parent de quelques gouttes de rouge. Pas grave...
Peu avant le retour au niveau où le sable reprend ses droits, je croise un énième gars, un polonais.
Exactement au moment où mes yeux se posent sur lui, je remarque qu'il est arrêté en train de regarder au sol. La seconde suivante, je le vois se pencher, il ramasse quelque chose au sol dans le foutoir rocheux. Comme un réflexe nouvellement acquis, je commence à l'interrompre pour lui poser la même sempiternelle question.
- "Excusez-moi..."
Mais, qu'est ce donc? Non... C'est pas possible... Je suis au beau milieu de ma phrase quand le type se redresse et exhume du sol un petit boitier noir dont la ressemblance avec vous savez quoi est confondante. Il ne peut en être autrement. Je cours. Je tombe. Je re-cours. Si, c'est bien ça, ce n'est pas un rêve.
ALLELUIA!!!!!!!!!!!!!!!
Aussitôt, je propose au bonhomme de lui baiser les pieds ce qu'il a le bon gout de refuser. Je me saisis de l'engin et l'allume. Ca fonctionne!!!! Incroyable!!!!!!!! L'écran est un peu rayé mais ça fonctionne!!!!!!!!!!!!!!!!! Le couvercle de sombres pensées se lève aussitôt, remplacé qu'il est par une vague gigantesque d'enivrement, de plaisir. A compter d'aujourd'hui c'est clair, la malédiction est levée pour de bon, il ne peut en être autrement. Il s'est passé trop de choses pour que ça se reproduise, le charme maléfique est rompu, ma sérénité seulement troublée par une excitation d'ampleur planétaire!
Je refais un film juste pour le plaisir et reprend cette ultime descente du Mont Ngauruhoe en réfléchissant aux circonstances qui ont entraînées la perte finalement momentanée de l'appareil. Le jury tombe d'accord sur cette version définitive : au cours de mes trop nombreuses roulades au cours de la première descente, le Lumix a glissé de la poche lattérale de mon blouson sans que je ne m'en rendes compte, et là, c'est le drame. Finalement provisoire.
Je salue une dernière fois mon sauveur et achève de parcourir de long en large cette montagne qui aura laissée des traces indélébiles au pas de charge.

Arrivé en bas, je rejoins enfin le parcours principal qu'il faut que j'achève de sillonner. Il me reste une grosse douzaines de bornes avant de pouvoir enfin poser mes gaules. J'en ai plein les jambes ce qui n'a rien à voir avec le fait que j'ai les pompes pleines d'un kilo de sable.
D'ailleurs, en parlant chaussures, la paire que je porte dont j'espérais qu'elle me tienne encore trois semaines est plus sur le point de rendre l'âme plus que jamais. La semelle inférieure est maintenant trouée en de multiples endroits et lorsque que je regarde mes pieds chaussés, je peux sans aucun doute voir mes chaussettes qui dépassent ici et là. Pour mes godillots aussi, le bout de la route sera vraiment le bout de la route. Je repars la démarche mal habile en faisant le constat qu'il n'y a plus personne devant. Sans doute suis-je le dernier, et le bus de 16h30 dans tout ça...

Il est pas loin de midi et si l'on en croit la brochure, la fin du clavaire est à cinq heures de marche sans interruptions. Et m...

Je n'ai donc plus rien dans les chaussettes et ne peux me permettre aucun repos.
Si je dois boire, c'est en marchant. Si je dois manger, pareil. Une gorgée par ci, un abricot sec par là, c'est mon seul luxe dans ce calvaire sur piste qui pour l'instant n'en fini toujours pas de monter.
Quand même, dans ma douleur, Mère Nature ne me laisse pas choir puisque dorénavant le soleil ne me quitte plus, irradiant de lumière les autres sommets que je contourne et magnifiant les couleurs partout présentes des cratères et des lacs. D'ailleurs posés au bord d'un lac couleur émeraude, je retrouve mes deux israëliens qui finissent leur pause déjeuner. Il ne comprennent rien à ce que je fais seulement là et quand je leur raconte mon épopée c'est par des "ohh" et des "ahh" qu'ils ponctuent chaque phrase. Cette rencontre a le mérite de me faire m'arrêter cinq minutes pendant lesquelles je pense surtout à ne plus marcher, pas à manger.
Ces cinq minutes passées, nous repartons groupés au moins pendant cent mètres qui auront servis à me faire me rendre compte que je suis cuit et que je n'arrive pas à suivre leur rythme effreiné. En se séparant, ne souhaitant pas être un boulet, je les charge quand même d'une mission. S'ils voient mon bus, qu'ils leur racontent ce qui m'arrive, ça devrait suffire à les faire patienter jusqu'à mon arrivée au port...

Une gorgée, un cliché, un abricot sec.

J'en chie comme pas possible. Chaque kilomètre s'effectue au mental. A chaque pas, je me persuade que Mme Lomière me poursuit avec des chèques dont il faut que j'additionne les montants. J'accélère. Une dernière montée...

Une gorgée, un cliché, un abricot sec.

Vient la descente. Interminable. Je suis quand même conforté par le fait que je rattrape les retardataires dont certains étaient dans le même bus que moi ce matin.
Si je ne grimaçais pas, on pourrait croire que je souris.
La végétation revient. De la terre nue des volcans enneigés, j'arrive au maquis avant d'entamer la dernière ligne droite forestière. Plus que quelques kilomètres, c'est parfait. C'est parfait sauf que dans l'aridité, on devine la suite donnée à chaque virage, mais dans la forêt, chaque virage peut être le dernier et le dernier, il n'arrive jamais ou presque.

Complètement à bout, je rejoins finalement le parking à 16h25 avec vingt minutes d'avance sur les derniers que le chauffeur attend malgré l'heure couperet. Si j'avais su, j'aurais au moins déjeuné...

Dans le trajet routier du retour, je dors satisfait du travail accompli. Sur la masse des marcheurs aperçu le matin même, pas un n'a crapahuté autant que moi, c'est un fait. Ca m'aura couté des plaies multiples aux chevilles, une paire de chaussures déjà agonisante, une (des) trouille(s) bleue(s).
Mais l'honneur est sauf, même Frodon n'a pas été foutu d'accomplir ce que j'ai accompli!!

A Taupo, je me complais dans la larvitude la plus totale.
Demain c'est sûr qu'avec le retour de la pluie, je vais aller à l'encontre des courbatures.
Quite à passer la journée à récupérer, autant que ça se fasse dans un bus. A la réception, qui n'en croit pas ses oreilles quand je leur décris mon équipée, je réserve un billet simple pour Wellington, convaincu que la journée à rouler ne sera rien de moins qu'une fantastique berceuse.


PS : Je n'étais pas d'humeur particulièrement littéraire à l'heure de me pencher sur le clavier. Tu vois le résultat...

PPS : Les photos et les vidéos sont sur le point ou presque d'être en ligne, un peu de patience (24h tout au plus), ça vaut la peine!! En attendant, il faut que je dormes!!

PPPS : Les résultats de notre grand concours "Le jeu d'Ijen" a rendu son verdict. Merci à tous de votre participation. J'enverrais un message dédié plus tard pour dévoiler le nom du vainqueur ainsi que la photo gagnante. Le suspense court toujours.

PPPPS : J'ai procédé il y a quelques jours à une campagne massive d'auto-inscriptions à la newsletter. Merci à ceux qui y ont répondus favorablement, j'essaierais de ne pas vous décevoir. Bienvenue à vous. Mi casa es su Casa.

PPPPPS : Ne te reste plus qu'à laisser un commentaire, je viens de passer dans les 300 minutes à écrire, il ne t'en coutera que cinq ou plus si le coeur t'en dit.


Retour à La Une de Logo Paperblog