Fenêtre sur crime de Linwood Barclay 3,5/5 (12-06-2015)
Fenêtre sur crime (458 pages) est sorti le 24 avril 2014 chez Belfond et le 15 avril 2015 chez J'ai Lu (539 pages).
L'histoire (éditeur) :
Illustrateur de trente-sept ans, Ray doit abandonner sa vie de célibataire et ses activités professionnelles pour retourner dans la maison familiale suite au décès accidentel de son père. Il y retrouve Thomas, son cadet, et du même coup toutes les difficultés qu'il pensait avoir laissées derrière lui. Thomas, atteint de schizophrénie, vit reclus dans sa chambre et passe ses journées sur son ordinateur, devant un programme de cartes interactives baptisé Whirl 360. Convaincu de l'imminence d'une attaque terroriste, Thomas s'est donné pour mission de mémoriser les plans des grandes villes de la planète afin, le moment venu, de venir en aide aux agences de renseignement. Mais aujourd'hui, Thomas est plus agité que d'ordinaire. En explorant virtuellement Manhattan, il pense avoir surpris une scène de meurtre...
Mon avis :
Après une petite déception avec Cette nuit-là, j’ai voulu profiter de la rencontre avec Linwood Barclay pour retenter l’expérience, d’autant qu’en règle générale tous ses titres sont bien notés et suffisamment plébiscités par les lecteurs pour que je me dise qu’il ne s’agissait surement que d’une erreur de parcours.
Bonne pioche avec Fenêtre sur crime, car même si c’est un roman long avec une intrigue lente, j’ai été captivée et surprise par la tournure des événements.
A la mort de son père, Ray Kilbride, illustrateur de 37 ans, retourne dans la maison familiale pour gérer les formalités de succession et pour prendre en charge son frère Thomas, un schizophrène de 35 ans, passionné (le mot est faible) de cartes. Ce dernier aime et passe ses journées à se promener virtuellement dans le monde via Whirl360.com (un autre Google Street View) et assimiler chaque détail de chaque rue. Il est capable de décrire minutieusement une rue d’Australie, d’Inde, d’Ecosse, de France…sans jamais y avoir mis les pieds (avec ses commerces, ses devantures d’immeubles, ses balcons…), grâce à un don incroyable de mémorisation. C’est ainsi en travaillant sur Manhattan (parce qu’il est persuadé d’exercer une profession reconnue par les hautes autorités américaines, telles que la CIA et Bill Clinton, avec qui il est régulièrement en contacte), qu’il tombe sur une étrange photo. Au bacon d’une fenêtre il pense voir une femme se faire tuer. Pour calmer son frère Thomas, Ray profite d’un rendez-vous professionnel pour aller voir et lever ses angoisses. Il ne trouve rien mais sa présence sur place est le début d’un engrenage fatal où justement de hautes autorités vont être mêlées.
Plusieurs histoires s’entremêlent ici, ce qui permet au final aux longueurs de ne pas jouer plus que ça sur le ressenti. Le rythme est finalement soutenu et l’implication du lecteur bien présente. Il y a beaucoup de questions qui viennent à l’esprit pendant la lecture qui devient comme un puzzle haletant que l’on tient absolument à finir de construire.
L’auteur faut le choix de ne pas s’attacher aux décors mais davantage aux personnages (même ceux qui finissent par mourir au bout de 15 pages). Ils sont pour la plupart travaillés et même ceux qui ne sont que de passage ont une histoire. Je n’ai pas trouvé que cela alourdissait le texte mais au contraire que ça apportait quelques surprises au lecteur qui ne voit pas venir la disparition de certains.
Pour les surprises, Linwood Barclay en réserve quelques-unes et l’histoire se révèle au final bien plus soignée que le début ne le laissait penser. On est loin de l’histoire un peu simpliste et classique de crime découvert par hasard par un handicapé mental qui devient une cible facile. C’est effectivement un peu ça (on comprend rapidement qui sont les principaux acteurs cachés derrière le crime) mais il y a plus d’un retournement de situation qui permettent de ne pas s’ennuyer.
Bon, même si une partie de la fin fait un peu téléfilm, Fenêtre sur crime m’a plu dans son ensemble. Ce roman m’a tenue en haleine et j’ai beaucoup apprécié la relation entre Ray et Thomas (pas facile évidement) qui apporte un dynamique à l’histoire.
En bref : Je regrette sa longueur et sa fin mais reste tout de même sur une bonne impression car Fenêtre sur crime est un agréable thriller qui mêle des personnages attachants et un intrigue au suspens et aux coups de théâtre bien présents.
Retour sur la rencontre avec l’auteur le 18 juin 2015 (par Charlottebabelio)
Jeudi 18 juin dernier, 30 lecteurs ont eu l’occasion de rencontrer Linwood Barclay pour échanger avec lui autour de son roman Fenêtre sur crime paru chez J’ai Lu, grâce à l’interprète Fabienne Gondrand. Dans ce thriller haletant, Ray doit retourner dans la maison familiale suite au décès de son père. Il y retrouve son frère Thomas, atteint de schizophrénie et qui s’est donné pour mission de mémoriser les plans des grandes villes grâce à un programme de cartes interactives baptisé Whirl360. Pensant avoir observé une scène de meurtre sur les plans de Manhattan, Thomas n’a de cesse que de harceler Ray pour qu’il aille vérifier sur place. Ray s’y rend donc, déclenchant malgré lui une spirale tragique…
De Google Street View à Hitchcock
Arrivé le jour même du Canada, la fatigue n’entame en rien l’enthousiasme de Linwood Barclay qui commence par répondre aux questions des lecteurs sur les origines de son roman. Parti de l’idée d’un meurtre vu sur un site comme Google Street View, l’idée du personnage de Thomas a ensuite fait son chemin progressivement : il lui fallait un personnage qui puisse vraisemblablement tomber sur ces images et les remarquer. Linwood Barclay s’est alors inspiré de son frère, schizophrène, pour construire Thomas. A l’instar du frère de l’auteur, obsédé par l’étude des langues, Thomas est obsédé par l’idée de voyager de manière virtuelle.
Interpelées par les références cinématographiques présentes dans Fenêtre sur crime, plusieurs lectrices en profitent pour interroger l’auteur sur ses inspirations : si le pic à glace ne fait pas référence à Basic Instinct, l’auteur était juste « fatigué des armes à feu » et trouvait l’idée du pic à glace « cool et vicieuse », la référence à Fenêtre sur cour d’Hitchcock était quand même plus explicite. Mais l’auteur nuance : si Fenêtre sur cour est un de ses films préférés du réalisateur, il n’a remarqué les similitudes entre les deux que pendant l’écriture. Le lecteur attentif remarquera quand même une citation tirée du film : « tell me everything you saw and what you think it means ». A l’inverse du titre français, le titre anglais du roman, « Trust your eyes », ne fait pas particulièrement penser à Hitchcock. Titre que l’auteur s’empresse d’ailleurs de déprécier : « je déteste ce titre. C’est mon agent qui l’a choisi, je voulais l’appeler The Traveller mais ça faisait trop science-fiction. »
Des rebondissements comme règle d’or
Alors que Linwood Barclay explique aux lecteurs qu’il a comme règle d’or de mettre le plus de rebondissements possibles dans ses histoires, une lectrice le questionne sur la chute brutale du livre (que nous ne dévoilerons pas ici), à la dernière ligne de la dernière page. « J’ai toujours voulu le faire », explique l’auteur canadien, « je voulais laisser le lecteur sur une touche désagréable, dans l’indécision. ». Peut-on alors envisager de retrouver ces personnages dans un prochain livre ? Non, il aime revenir à ses personnages mais ne veut pas retourner à ceux-là : « ce qui leur arrive est trop unique. Je préfère laisser l’imagination faire son travail. »
Le discours technologique étant très présent dans le thriller, l’auteur explique qu’en tant qu’ancien journaliste, il est sensible à l’effondrement de la presse écrite et à son incapacité à s’adapter à internet. La nouvelle réalité créée par internet et abordée dans ce roman « Nous sommes surveillés », c’est une nouvelle réalité qu’il constate dansFenêtre sur crime mais sur laquelle il ne pose pas de jugement.
Des héros ordinaires dans des situations extraordinaires
Concernant les personnages de Fenêtre sur crime, l’auteur explique qu’il préfère que ses héros soient des gens ordinaires. Qu’ils soient enseignants, vendeurs de voitures ou paysagistes, ils n’ont ni l’expertise ni les connaissances nécessaires pour faire face aux méchants. Les lecteurs s’identifient facilement à eux et la tension en est d’autant plus palpable. Tous ses personnages ne sont pourtant pas communs : la tueuse présente dans le livre est tout sauf ordinaire. Médaillée d’argent aux jeux olympiques, elle connaît la frustration de la seconde place, ne décrochant pas les sponsors accordés à la première place. « Si on ne peut pas décrocher Nike, autant devenir une tueuse. Je l’adore ! »
Habitudes et processus d’écriture
Curieux, les lecteurs interrogent ensuite l’auteur sur son processus d’écriture. Pour écrire, Linwood Barclay n’a besoin que d’une structure grossière, explique-t-il : d’abord, il lui faut l’accroche (ici : le meurtre). Ensuite, il se demande comment on en est arrivé là, de là découlent des personnages et le dénouement de l’histoire. Il commence à écrire une fois qu’il a réuni tous ces éléments, laissant ainsi la porte ouverte à l’imprévu. La scène où tous les personnages sont réunis et où ils reçoivent un appel d’un homme qui se présente comme Bill Clinton, par exemple, n’était pas du tout prévue ! S’il a choisi d’écrire une histoire qui se déroule aux Etats-Unis, c’est d’ailleurs parce que la politique y est plus intéressante que celle du Canada, son pays d’origine, poursuit l’auteur. « Si c’était le premier ministre canadien qui appelait Thomas, ce serait moins intéressant », plaisante-t-il. La touche d’humour présente dans Fenêtre sur crime a d’ailleurs particulièrement interpelé les lecteurs : en mettant ses héros ordinaires dans des situations extrêmes, Linwood Barclay veut alléger l’histoire et utiliser l’humour pour adoucir la tension propre à un thriller, en veillant à jamais ne la désamorcer totalement.
Le choix de Ray comme narrateur s’est fait assez simplement : il est dans la meilleure posture pour raconter l’histoire. L’histoire ne serait pas la même si elle était racontée du point de vue de Thomas, qui souffre de schizophrénie : « le livre ressemblerait plutôt au livre Le Bizarre incident du chien pendant la nuit ». S’il écrit à la première personne du singulier, Linwood Barclay utilise aussi un narrateur externe pour raconter son histoire afin de ne pas « poser de limite et ne pas empêcher de convoquer d’autres points de vue ».
Le polar comme genre de prédilection
Lorsqu’on l’interroge sur ses auteurs favoris, Linwood Barclay cite immédiatement Ross Macdonald, l’auteur de la série mettant en scène le détective Lew Archer. Stephen King et Mary Roach font également partie des nombreux auteurs qu’il aime lire « heureusement qu’il ne faut pas être aussi talentueux qu’eux pour être publié » plaisante-t-il. Le polar est définitivement son genre de prédilection : « ce que j’aime avec le policier, c’est que ça exige une intrigue. L’intrigue fait avancer l’histoire, donne naissance à des personnages et rend possible un commentaire social ». Ayant été peu rejeté par des éditeurs, le canadien ne se considère pas comme un auteur malchanceux. Si les livres qu’il a écrit étant jeune ont été refusés, tous ses romans ont été publiés : « mon premier roman n’a du se vendre qu’en six exemplaires, mais il a été publié. »
Avant que les lecteurs ne fassent dédicacer leur livre, la rencontre se termine sur une dernière boutade : comme son personnage fanatique de cartes, serait-il capable de reconstituer mentalement le trajet entre l’Hôtel du Pont Royal et le musée du Louvre, décrit avec précision dans le livre ? « Oui », avoue-t-il au milieu des rires des lecteurs, « J’ai passé 15 jours dans cet hôtel en 2010, coincé à Paris à cause du volcan islandais ».