L’attentat en Isère, ou la confirmation des évolutions du terrorisme global

Publié le 30 juin 2015 par Vindex @BloggActualite
-Le drapeau de l'Etat Islamique en Irak et au Levant-
Bonjour à tous,
Les attentats qui ont encore récemment touché la France (mais aussi la Tunisie et le Koweït) focalisent une nouvelle fois l’attention montrant que la menace terroriste persiste. Si les deux ayant eu lieu en Tunisie et au Koweït ont fait beaucoup de dégâts (et nous nous joignons à la douleur des pays et familles concernés), celui qui occupe le plus notre attention, ayant eu lieu à Saint-Quentin-Fallavier le 26 juin dernier, n’a fait qu’une seule victime. Une de trop évidemment, et paix à son âme. Mais de ce fait, cet événement, concomitamment au motif en partie professionnelle de ces exactions, jette le doute sur la véritable nature du terrorisme. En d’autres termes, cet acte relève-t-il du terrorisme ou de la vengeance personnelle ? Si la réponse ne semble pas faire de doute, elle ne doit pas nous interdire de redéfinir ce qu’est aujourd’hui le terrorisme, et surtout les évolutions profondes de ses manifestations. C’est tout l’objet de cet article.
Définir le terrorisme
La première chose à faire est bien sûr de définir ce qu’est un acte terroriste. Et ce n’est pas évident car cela dépend du point de vue selon lequel on se place. Ainsi, les résistants de la 2nde Guerre Mondiale (sans doute l’exemple le plus connu de la complexité) étaient considérés comme des résistants par les français mais comme des terroristes par Vichy et l’occupant allemand. De la même manière, beaucoup de dirigeants ont eu un passé de terroriste, mais leur arrivée au pouvoir à glorifié cette action. On peut prendre l’exemple de Yasser Arafat ou d’Haschim Thaçi (premier ministre du Kosovo).
Le mot terrorisme a pour racine le mot « terreur ». C’est donc une action visant à susciter une émotion parmi la population. Il s’agirait d’une forme de chantage ayant la terreur pour moyen d’action selon des objectifs politiques. Mais là encore, la définition est assez vague et la subjectivité du sentiment qu’est la terreur invite à approfondir la définition. Selon Jérôme Dunlop, agrégé en géographie, le terrorisme est une stratégie : « instaurer la peur parmi les populations civiles, dans le but de faire pression sur leurs dirigeants politiques et de les déstabiliser. ». C’est un mode opératoire qui provient de la dissymétrie entre les acteurs d’un conflit, comme par exemple entre des autorités étatiques et un groupe politique clandestin. Néanmoins, elle n’est pas l’apanage d’un seul acteur, les Etats pouvant aussi y avoir recours.
   Le terrorisme sans cause à défendre, sans message politique ou sans revendication, n’aurait pas de sens. Il ne serait qu’un crime parmi tant d’autres. Mais la multiplicité des causes défendues par les terroristes invite à dresser une typologie du terrorisme :
-Le terrorisme territorial se fonde souvent sur des idées comme l’indépendantisme, le régionalisme. Il dénote de l’échec d’un Etat à assurer l’unité de son territoire. Le groupe terroriste souhaite alors renverser et remplacer l’autorité de l’Etat sur un territoire en particulier. Les exemples sont légions, comme l’IRA en Irlande du Nord ou encore l’ETA dans le Pays basque.
-Le terrorisme global se fonde lui sur une idéologie ou une religion. Même si leur objectif n’est pas directement lié à la défense d’un territoire, d’une indépendance, ce type de terrorisme est souvent ancré dans un territoire. Il fonctionne toutefois en réseau et s’appuie sur la circulation des idées pour se répandre. Il a vocation à dénoncer un système et s’appuie sur des idées politiques ou religieuses. On peut par exemple citer les anarchistes de la fin du XIXème siècle en France et Al Qaeda, même si ces deux phénomènes n’ont pas du tout la même ampleur.
   Le terrorisme c’est aussi une organisation. En effet, les acteurs concernés se regroupent de manière plus ou moins lâche pour diffuser leurs idées et leurs moyens d’actions, tout comme leurs zones d’attaque et d’influence. Ces organisations font intervenir les acteurs qui financent, qui arment, les exécutants, la hiérarchie, les adeptes, parfois concentrés dans certains territoires, comme c’est le cas en Syrie et en Irak pour l’Etat Islamique en Irak et au Levant. Ces nombreuses organisations terroristes font l’objet d’un classement par les Etats ou organisations comme l’Union Européenne et l’ONU. Le classement peut parfois faire débat. L’UE élève au rang d’organisations terroristes des groupes tels que les FARCS, le Hamas, ou encore le Parti Communiste des Philippines.
   D’un point de vue historique, on peut dire que la méthode terroriste est ancienne. En effet, On peut remonter très loin dans l’histoire pour observer ce phénomène (les juifs zélotes au Ier siècle ou la secte des Haschischins au XIème siècle). Le première mention dans le dictionnaire français remonte à 1798 et désigne un mode de gouvernement lié à la période de la Terreur. Plus récemment, on peut dire que même si le terrorisme territorial existe toujours, l’attention se porte désormais davantage sur le terrorisme global et ce depuis la fin de la Guerre Froide. Les attaques du 11 septembre 2001 ont amplifié l’attention portée à ce phénomène du fait du grand nombre de victimes (près de 3 000). C’est aussi la « War on terrorism » de George W. Bush, ainsi que les actions géopolitiques suivantes, qui ont intégré la volonté de lutter contre le terrorisme international, sans toutefois y parvenir, comme nous le rappelle les attaques de ce 26 juin. Pour autant, on peut dire qu’Al Qaida, organisation criminelle centrale dans le terrorisme global, a été littéralement décimée avec 11 des 20 plus recherchés du réseau, neutralisés entre 2008 et 2009, et son chef abattu en 2011. Tout cela est dû au fait que le terrorisme global connaît une recomposition. C’est cette internationalisation qui a appelé à une coopération internationale dans la lutte anti-terroriste.
Un terrorisme en recomposition
Par essence même, le terrorisme est un mode d’action non conventionnel et donc changeant en fonction des circonstances, de sa position, des réactions à son encontre. La mondialisation fut un des vecteurs de la globalisation et de l’internationalisation du terrorisme qui touche de plus en plus de pays. Même si l’internationalisation des causes terroristes existait déjà avant (depuis les années 1960-70) on peut dire que cette tendance s’amplifie depuis les années 2000. Le fonctionnement d’Al Qaida s’est en particulier « mondialisé » : recrutement dans une grande partie des pays de confession musulmane, une idéologie véhiculée grâce aux NTIC, un financement multiple, des attaques visant de nombreux pays, des bases et centres d’entraînements au cœur de sanctuaires inaccessibles… Mais la dualité de cette organisation (à la fois base matérialisée sur un territoire et toile tissée dans de nombreuses régions du globe) lui permet de subsister en tant qu’idéologie et moyen d’action désormais largement connu et mis en valeur par ses défenseurs. L’action menée contre le terrorisme a certes eu pour effet de minimiser les actions et de battre en brèche l’organisation, mais elle n’a pu empêcher la persistance du discours anti-américain, anti-chiite et antisémite de l’organisation qui se repose désormais beaucoup plus sur des cellules régionales autonomes (AQMI, AQPA…) dont est d’ailleurs issu l’Etat Islamique en Irak et au Levant.
  Al Qaida fut pendant près d’une décennie l’incarnation d’un terrorisme internationalisé à la fois matérialisé et opaque, développant toujours plus l’attentat-suicide sur fond de fanatisme religieux. Sa recomposition, si elle n’a pas eu pour effet de mettre un terme aux attentats, en a toutefois redéfinit certains principes. De même, le contexte chaotique en Syrie et l’émergence de l’Etat Islamique ne fut pas sans conséquence sur les moyens employés par le terrorisme. En effet, même si l'organisation Daesh profite de la faillite des Etats pour s’implanter et imite en ce sens Al Qaida, elle va plus loin quant à l’internationalisation de son action et opère à un changement de stratégie. Son ancrage territorial n’est pas encore bien stable (même si elle possède Mossoul et Racca) et ne dépend que de la terreur infligée aux populations. Elle ne se substitue nullement aux Etats faillis, ne possédant pas de constitution et n’étant pas reconnue à l’international. Toutefois, sa base d’origine, en Irak et en Syrie, centralise beaucoup plus de pouvoir que ce fut le cas pour Al Qaida : Mossoul concentre le pouvoir de l’EIIL et devient même le centre de gravité du terrorisme international islamiste. De plus, l’innovation réside dans la déterritorialisation des zones relais classiques qui sont déplacées au plus près des ennemis, dans les banlieues des villes occidentales, sorte de « zones faillies » de nos Etats. L’appui sur ce réseau plus maillé ainsi que l’utilisation des réseaux sociaux pour recruter des Djihadistes les rend apte à coordonner plusieurs attentats en même temps à plusieurs endroits de la planète. 
Ces nouveautés et évolutions du terrorisme ne sont pas sans conséquences : elles incitent d’autres organisations à adopter le même type de stratégie et de menaces comme la secte Boko Haram au Nigéria. Cette organisation née en 2002 a ainsi également adopté le fonctionnement en califat et fait allégeance à l’Etat Islamique depuis 2015, ce qui a tendance à confirmer la position centrale de ce dernier dans le terrorisme islamiste international.

Si l’attaque de vendredi en Isère ne paraît pas refléter le terrorisme comme les attentats du 11 septembre 2001, on aurait tort de croire à un affaiblissement du terrorisme. En effet, celui-ci a connu des évolutions et recompositions depuis qu’Al Qaida a perdu en influence au profit de l’Etat Islamique en Irak et au Levant. Celui-ci reprend des recettes de son prédécesseur tout en innovant pour poursuivre une action terroriste certes moins impressionnante (notamment en Occident) mais toujours actif. Le fonctionnement réticulaire des organisations terroristes s’est considérablement accru, leur permettant d’atteindre leurs ennemis au plus proche et à leur insu le plus total. La diffusion idéologique du salafisme s’appuie sur les nouvelles technologies et sur les réseaux de communication pour se mondialiser, comme sur les problématiques de nos sociétés (inégalités, immigration, crispations identitaires) pour recruter.
Face à ce constat, il est évident que l’action ne peut plus être identique à celle du passé. Tout d’abord parce que la « Guerre contre le terrorisme » menée par George W. Bush n’a pas réussi à éradiquer ce fléau (elle a même créé des foyers de déstabilisation qui ont fait le nid du terrorisme). Ensuite parce que comme pour un virus mutant, il faut changer de vaccin. La nécessité de coordination entre les pays touchés par le terrorisme est toujours plus importante tant cette faiblesse fait la force du terrorisme et tant celui-ci réussit à coordonner son action. Cela nécessite bien sûr de dépasser les actuelles tensions géopolitiques autour de l’Ukraine et de la Syrie notamment.  Ensuite la multiplicité de l’action doit être prise en compte : une intervention comme les bombardements ayant eu lieu depuis 2014 ne peut être suffisante. L’intervention doit aussi se faire sur les « zones grises » sur lesquelles les organisations terroristes s’appuient (pour leur financement, le trafic…), ce qui passe par une restructuration des Etats de droit en Irak et en Syrie. De même, une attention particulière doit être portée sur les foyers occidentaux du terrorisme : cela doit passer par une réflexion sur les enjeux sociaux (aménagement des villes, poches de pauvreté...) et religieux (organisation du culte musulman) dans les banlieues concernées.  
Sources :
Diploweb.http://jac-cerdacc.fr/une-petite-histoire-du-terrorisme
Jerôme Dunlop, Les 100 mots de la géographie. PUF, 2009.
Amaël Cattaruzza, Atlas des guerres et conflits, Un tour du monde géopolitique, Autrement, 2014.
Philippe Boulanger, Géographie militaire et géostratégie, Enjeux et crises du monde contemporain, Armand Colin, 2011.
Vin DEX