Moussa est « mort dans un livre ». Mais il n’avait pas de nom, c’était seulement « l’Arabe », tué sur une plage, « à cause du soleil », par Meursault, dans le roman de Camus, L’Étranger. C’est de là que ça part. Kamel Daoud est Algérien. En creusant cette histoire, comme on creuse une tombe, il met en scène l’Algérie d’aujourd’hui, celle qui fera bientôt fermer les bars où l’on vend de l’alcool, comme ce bar où son personnage, Haroun, reçoit la visite d’un universitaire curieux de savoir qui Meursault a tué… Au début, on partage l’indignation du narrateur. L’Arabe n’a pas de nom, et Meursault n’est condamné que pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa propre mère. Qu’en est-il de la mère de l’Arabe tué ? Qui s’en soucie ? Haroun, le frère, va devoir porter le deuil que lui inflige cette mère. Et c’est une Algérie méconnue qui apparaît ici. Où est le père ? Dans la tombe du frère, il n’y a pas de corps… Creuse le récit dans ce passé si proche, celui de la guerre d’indépendance. Le lecteur en veut au colon, jusqu’à ce que la situation change. Le 5 juillet 1962, tuer devient un crime. Et Haroun voit son reflet dans le roman de Camus quand il n’y voyait que l’anonymat de son frère. Et intervient alors Meriem. L’amour de la lecture, l’amour de la langue, l’amour de l’histoire même, l’amour interdit mais qui donne du goût à la vie, au passé, au présent.