Toutes les études pour évaluer la toxicité des produits chimiques en général reposent sur des tests effectués sur des rats de laboratoire (pour les risques sur les mammifères et l'homme). Et c'est en comparant un groupe de rats soumis aux produits testés avec un groupe de rats témoins que les scientifiques donnent leur feu vert, ou non, pour la commercialisation des produits.
Mais que mangent ces rats de laboratoire ? Leur nourriture est-elle exempte de produits toxiques ? La réponse à cette question est bien entendu fondamentale car la composition de la nourriture de ces animaux peut influer sur les résultats des études...
Le Pr Séralini, chercheur à l'Université de Caen, aujourd'hui bien connu pour sa démarche scientifique éclairée, et qui a démontré la toxicité du RoundUp de Monsanto (que notre Ministre de l'Ecologie Ségolène Royal veut maintenant interdire), et de l'OGM NK603, a donc voulu savoir ce qu'il en était.
L'idée lui est venue en 2012 alors que l'étude à long terme menée sur les rats par son équipe, montrant la toxicité de l'OGM NK603 et du RoundUp, faisait grand bruit. Les photos de tumeurs mammaires spectaculaires développées par les rongeurs faisaient le tour du monde. Mais aussitôt, certains scientifiques et Monsanto ont condamné les conclusions de l'étude parce que les rats utilisés par le Pr Séralini auraient développé " spontanément " des tumeurs.
Une étude comparative entre les rats témoins du Pr Séralini et les rats témoins utilisés par les industriels pour leurs expérimentations montra qu'en effet les rats développaient " spontanément " des tumeurs, mais curieusement leur fréquence s'est révélée cinq fois inférieure chez les rats du Pr Séralini. Quelle pouvait en être l'explication ?
Des aliments très pollués servis aux rats de laboratoire
L'équipe du chercheur a voulu alors savoir si ces tumeurs étaient génétiques ou liées à leur alimentation. " Nous nous sommes procuré treize échantillons de nourriture provenant des cinq continents et nous avons recherché, avec des méthodes normalisées et des laboratoires accrédités, si les aliments contenaient des contaminants. Et ce que nous soupçonnions s'est révélé exact. Nous avons ainsi trouvé dans 13 échantillons des quantités relativement importantes de 6 pesticides, de 3 métaux lourds, 17 dioxines et furanes, de 15 PCB et 19 OGM", explique Gilles-Eric Séralini.
Il poursuit : "La contamination des aliments des rats de laboratoire par les pesticides est très importante. Pour l'insecticide chlopyriphos par exemple, elle peut atteindre 22 fois la dose admissible. On trouve également dans ces aliments du glyphosate et de l'AMPA, issus du RoundUp, corrélés avec les quantités d'OGM tolérants au RoundUp. Pour ce qui est des métaux lourds, les taux d'arsenic peuvent expliquer à eux seuls les maladies de certains rats."
"Les rats sont ainsi soumis à un cocktail de produits chimiques par leur nourriture. Quand on en ajoute un de plus à cette nourriture pour le tester, il est très difficile de mettre en évidence un quelconque effet spécifique de ce contaminant", constate le chercheur.
La pollution alimentaire brouille donc de façon certaine les résultats des tests réglementaires demandés pour obtenir l'autorisation de commercialiser les produits chimiques ou les OGM. C'est pourtant sur la base de ces tests que la Commission Européenne vient de donner son feu vert à la commercialisation de 19 OGM....
Mener des expérimentations avec des aliments bio
Pour le Pr Séralini, la seule solution pour connaitre l'effet précis d'un produit chimique, c'est d'utiliser des rats dont on est certain qu'ils n'ont pas ingéré le produit testé. Quant aux rats "témoins", leur nourriture devrait être exempte de tout polluant et donc bio. " En dehors de ce protocole, toutes les interprétations sont faussées ", estime-t-il.
" Si les normes censées nous protéger depuis 70 ans étaient protectrices, on n'aurait pas une telle hausse des maladies chroniques, des malformations congénitales, etc.", remarque Joël Spiroux, médecin et président du CRIIGEN (1) qui a soutenu l'étude.
" Mais qui va être suffisamment puissant pour changer les protocoles d'expérimentation ? ", demande Corinne Lepage, avocate, membre du CRIIGEN et ancienne Ministre de l'Environnement. " Il paraît pourtant normal que les populations témoins soient nourries avec des aliments totalement sains et bio. Sinon, les témoins ne sont pas des témoins. Cette problématique va bien au-delà des OGM et concerne toutes les expérimentations de toxicologie, y compris pour les autorisations de mise sur le marché des médicaments ", ajoute t-elle.
" Avant de changer les protocoles, nous exigeons la transparence au sujet des tests des industriels acceptés par les agences, qui veulent ensemble garder la confidentialité sur les données détaillées ", souligne encore le Pr Séralini, dans son nouveau livre sur la contamination de l'alimentation (2).
L'étude sera-t-elle publiée ?
La publication de l'étude était programmée pour le 18 juin 2015 dans la revue scientifique en ligne Plos One. Elle a été retardée au dernier moment pour supprimer dans le résumé une remarque des scientifiques qui pourrait avoir des conséquences réglementaires, et changer les remerciements aux Fondations qui soutiennent le bio en...conflit d'intérêts ! La date de parution reste inconnue. Il faut dire que les résultats remettent en cause toutes les expérimentations de toxicologie menées par les industriels et imposent de modifier les protocoles... Et, bien entendu, les lobbies, tant les enjeux financiers sont importants, ne veulent pas en entendre parler...
AF Roger
(1) CRIIGEN : Comité de recherche et d'information indépendante sur le génie génétique
(2) Gilles-Eric Séralini et Jérôme Douzelet, Plaisirs cuisinés ou poisons cachés, dialogue entre un chef et un scientifique, Ed Actes Sud, prix du Chapitre Nature de l'Essai 2015