Le Mari, dont le but est de briser les mythologies musicales pour en fabriquer d’autres – j’en veux pour preuve le démontage en règle de la première partie de la discographie de Led Zeppelin, à base d’accusations de plagiat –, me presse depuis un certain temps de faire un article sur l’importance de Bob Dylan dans un certain contexte de la seconde moitié du XXe siècle. Lui-même étant fan des Byrds, de Jimi Hendrix et du style country-rock, est à ce moment précis en train d’écouter du T-Rex au lieu de m’inspirer. Le fufu, le fufu, le fumier.
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Je suis mauvaise langue, le voilà qui débarque en disant : Tiens, si tu veux de l’aide sur Bob Dylan, j’ai toute la documentation sonore qu’il te faut ! Il y a ça, ça et puis ça…
Merci, mon cœur.
De toute manière, j’ai un compte personnel à régler avec Bob Dylan. Je sais que beaucoup de personnes l’auraient oublié aujourd’hui s’il n’avait pas entamé son Never Ending Tour en 1997, alors qu’il était à l’époque en proie à des réflexions sur la vieillesse et sur sa fin – il avait alors 56 ans. J’estime à titre personnel que c’est maintenir à un statut de dieu vivant un type qui n’a plus la capacité de se produire sur scène et qui n’arrive pas à raccrocher, par peur du vide et de la mort. Vous voulez une preuve ? Prenons l’une de mes chansons préférées de Dylan, Ballad Of A Thin Man (1965).
J’adore tout : le baltringue, l’orgue, le phrasé. Tout. Cette chanson est juste mon sommet de Dylan… Voyons maintenant comment il l’interprète sur scène à l’heure actuelle (par exemple, en 2014).
A part une trame sonore très blues et très à propos, on dirait que le brave Bob vient de subir une trachéotomie. Et j’ai juste envie de pleurer. Vraiment.
Une bonne partie de sa fanbase dirait que, de toute façon, Dylan, on n’y va pas pour sa voix. Il est certain qu’il n’a jamais eu une voix chantée exceptionnelle et que c’est son phrasé, ses paroles et son aura qu’on retiendra bien davantage. Mais son problème est qu’on a tous un moment où la carrière de Dylan ne nous correspond plus. En ce qui me concerne, c’est après son accident de moto en 1966, lorsqu’il a commencé à virer country. J’admets qu’il a eu des fulgurances par la suite – Knockin’On Heaven’s Door (1973), sa collaboration au sein de la belle brochette de connards qu’étaient les Traveling Wilburys entre 1988 et 1990.
Oui, ce que je vous mets en exemple, c’est une composition de George Harrison, donc ce n’est pas l’exemple le plus probant de bonne collaboration de Bob Dylan.
Mais ce qui est particulièrement époustouflant avec le répertoire général de Bob Dylan, c’est que, quand on se penche sur les reprises, une bonne partie d’entre elles sont bien meilleures que les originales. Ce qui fait penser au Mari qu’en fait, les compositions de Dylan sont en fait un excellent catalogue de chansons, destinées à être dépassées. Il y a du vrai et du faux dans cette affirmation. En cela, je vais donner trois exemples concrets de ce que j’avance, mais aussi quelques contre-exemples pour conclure.
Ce qui enfonce Bob Dylan
Le groupe-écho : The Byrds
J’en parlais en début d’article parce que le Mari est fan, mais force est de constater que le groupe mené par Gene Clark et Roger McGuinn ont été les meilleurs vulgarisateurs d’une certaine partie du répertoire, voire même les interprètes principaux. Pour vous en apporter la preuve ultime, je vais vous faire un test. Quelle est la première version de Mr Tambourine Man que vous ayez entendu de votre vie (avant de lire cet article, bande de gougnafiers) ?
Celle-ci ?
Ou bien celle-ci, qui, perso, me fout les poils parce qu’elle dit la vérité ?
Même si je trouve que la version de Bob Dylan est bien meilleure, il faut admettre que la version des Byrds est bien plus populaire. Il arrive parfois qu’une version des Byrds soit bien meilleure que la version originale, en témoigne My Back Pages, tellement bonne avec le riff de Roger McGuinn que Dylan la reprend ainsi désormais.
D’ailleurs, Columbia a carrément fait une compilation de reprises de Dylan en 1979, soit 6 ans après la fin du groupe. Mais Bob Dylan ne tient pas rigueur aux Byrds de jouer dans le même style que lui, puisqu’à un moment, il a régulièrement invité Roger McGuinn à jouer avec lui sur scène. Petit add-on du Mari : certaines versions de chansons enregistrées par les Byrds ou d’autres artistes ont atterri dans des recueils ultérieurs comme les Basement Tapes ou le coffret Biograph (1985), étant donné que les versions reprises ont pour la plupart « écrasés » des versions originales inédites.
La reprise Joe-Cockerienne : All Along The Watchtower
Sortie initialement en 1967 sur l’album John Wesley Harding, elle fait suite à son accident de moto début 1966 et son changement de vie (il vient de se marier, il a deux enfants en bas âge, etc.). Il s’isole, prend du recul par rapport à sa vie et s’intéresse à la Bible – d’où la thématique des paroles de la chanson qui semble s’être inspirée du chapitre 21 du livre d’Isaïe (et maintenant que j’ai quitté mon ancien travail, je dis bien Isaïe et non Ésaïe, comme on m’a forcée à écrire pendant 6 ans). Vous vous dites en l’écoutant : Oui, c’est une chanson folk sympa, mais il manque quelque chose. Parce qu’évidemment, vous avez entendu la reprise en premier lieu.
La version de Jimi Hendrix, enregistrée en 1968 sur Electric Ladyland, est tellement devenu le mètre-étalon de la chanson que, désormais, même Bob Dylan la réinterprète ainsi en concert. Malgré le fait qu’il a juste pulvérisé la version originale, Jimi Hendrix aurait dit de cette chanson et de Bob Dylan en général :
Parfois, je joue des chansons de Dylan et elles me ressemblent tellement que j’ai l’impression de les avoir écrites. Je perçois Watchtower comme une chanson que j’aurais pu écrire, mais je suis sûr que je ne l’aurais jamais achevée. Quand je pense à Dylan, je me dis souvent que je n’aurais jamais pu écrire les textes qu’il parvient à produire, mais j’aimerais qu’il m’aide, parce que j’ai beaucoup de chansons que je n’arrive pas à terminer. Je pose juste quelques mots sur le papier, et je ne peux pas aller plus loin.
Et il se permet d’être humble, ce connard.
Le cas d’école : Knockin’ On Heaven’s Door
Voici selon moi une chanson parfaite dans sa version originale : l’orchestration tient sur trois accords (voire quatre) et elle est très fluide. Mais surtout, Dylan qui est censé ne pas avoir une voix de fou furieux, n’a jamais aussi bien posé sa voix et son phrasé. Mais cette chanson a un problème majeur : le film dont cette chanson est la bande originale, Pat Garrett and Billy The Kid (1973), a fait un tel four que je ne connais personne qui ne l’ait découverte sous cette forme. Ceci est une énorme injustice, d’autant que les reprises sont parfois plus populaires – parfois même en français (Hugues Auffray et Eddy Mitchell), en portugais et en japonais.
La reprise d’Eric « Dieu » Claption a été enregistré dès 1974. Présente sur 461 Ocean Boulevard – comme I Shot The Sheriff, reprise joe-cockerienne de Bob Marley –, le Rico prouve par son interprétation qu’il a imposé le reggae blanc bien avant The Police (prends ça dans ta gueule, Stewart Copeland) et The Clash. Le Mari rajouterait : Mais après Led Zeppelin et House of the Holy (1973) ! Ouais. Mais House of the Holy n’est pas non plus l’album le plus populaire du groupe, alors poupoune.
La vérité, c’est que tout mon lectorat est persuadé que cette version l’originale, bien qu’elle ait été enregistrée 18 ans après la version de Bob Dylan. Incluse dans Use Your Illusion II (1991), cette version des Guns’n’Roses est la version-étalon, même si le Mari avoue qu’Axl Rose en fait beaucoup trop en termes de Hey, hey, hey, hey, hey !
Cette dernière version présentée, enregistrée par Avril Lavigne sur l’album My World en 2003, sentait déjà la perte de vitesse de la chanteuse. Quand on en vient à faire une reprise aussi cucul et insignifiante, cela veut dire qu’il est vraiment temps qu’on arrête sa carrière, et vite.
Pourquoi je parle de Knockin’ On Heaven’s Door comme d’un cas d’école ? Parce que, sans rien connaître de la version originale, la chanson fait tellement partie du patrimoine musical mondial qu’on commence à connaître une reprise – celle des Guns’n’Roses, le plus souvent – avant de se plonger dans la version originale.
Dylan über alles
Le Mari ajouterait que Bob Dylan a été beaucoup moins percutant dès lors qu’il a arrêté d’incarner le chanteur protestataire, mais surtout dès lors qu’on a arrêté de puiser dans son répertoire, soit après 1973. Mais bien avant cette période, il y a des chansons de Bob Dylan dont on sait pertinemment que leur reprise sera forcément ratée, tant le bonhomme incarne avec perfection l’esprit de la chanson. En voici quelques exemples.
Desolation Row (Highway 61 Revisited, 1965)
Alors oui, elle a été reprise par The Grateful Dead et My Chemical Romance, mais je ne connais personne qui irait imposer 11’30” tout seul avec sa gratte de cette manière – prise live de 1966 –, pas même le même bonhomme en 2015. Quand je parlais d’une manière de raconter les histoires que Dylan avait acquise dès le début de sa carrière, c’est spécifiquement à cette chanson que je pensais. T’as l’impression qu’elle pourrait durer des semaines et qu’il n’y a rien d’autre à dire pour ne pas troubler ce moment délicat.
Blowin’ in the Wind (The Freewheelin’ Bob Dylan, 1963)
Certes, cette chanson a été multireprise – et pas par n’importe quel connard, quand même : Joan Baez, Janis Joplin, Stevie Wonder, Neil Young, Johnny Cash, Elvis Presley –, mais aucun de ces interprètes, bien que beaucoup d’entre eux se positionnent bien politiquement et socialement, n’a pu rendre cette verve et cette force qu’a insufflé Dylan dans la première composition qu’on lui connaît. Si bien qu’un certain Lorre Wyatt, pendant 11 ans (de 1963 à 1974), a fait croire que Dylan lui avait acheté les paroles. C’est vrai que le bobard était juste super classe.
I Want You (Blonde on Blonde, 1966)
Reprise par Cher, The Hollies, Bruce Springsteen ou encore Francis Cabrel – très bonne reprise, d’ailleurs –, l’inspiration la plus probante que cette chanson ait eue est Partons vite du groupe Kaolin. Mais il y a une certaine légèreté dans l’orchestration, dans le phrasé – encore ! – qui, de surcroît, montre un Dylan optimiste et plaisant.
Pour reprendre donc mon questionnement de départ, je dirais qu’effectivement, Bob Dylan est un compositeur et surtout un auteur de génie dont les chansons sont facilement appropriables quand les artistes en ont le talent. Malgré tout, Bob Dylan reste quand même un formidable interprète dans les périodes où il avait la foi en ce qu’il chantait.