2716,43795 m2
Prendre comme fil rouge d'un accrochage de près de trois cents œuvres la chronologie d'un itinéraire artistique assure un processus irréfutable pour une exposition. C'est ce protocole sur les 2716,43795 m2 du Centre régional d'art contemporain de Sète qui prévaut et donne à la présentation de l’œuvre peint de Fabrice Hyber une solidité indéniable. Le commissaire d'exposition Bernard Marcadé souligne que la peinture de Fabrice Hyber reste méconnue et en cela l'exposition du C.R.A.C. constitue un inventaire inédit que l'artiste évalue lui-même pour la première fois.
Fabrice Hyber au CRAC de Sète 2015
Encore doit on préciser que Fabrice Hyber insiste sur l'affirmation selon laquelle il ne produit pas des peintures mais des tableaux. Et c'est peut-être à partir de ce concept, celui de considérer la toile comme un tableau blanc dédié à la réflexion, que s'est élaboré un cheminement dans lequel " les mots sont des déclencheurs d'images, et les images des déclencheurs de mots, sans aucune hiérarchie ni préséance des unes sur les autres".
"Un mètre carré de rouge à lèvres"
Et justement ce fil rouge commence en 1981 par : "Un mètre carré de rouge à lèvres", un tableau entièrement recouvert de rouge à lèvres, entouré d'un cadre doré. C'est le point de départ de ce jeu sans fin dans lequel la pensée se développe sans hiérarchie, en rhizome qui renvoie à la théorie philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Si bien que la prise en compte de la totalité des tableaux présentés prend alors le pas sur chacun d'eux. C'est donc alors à un travail d'enquête qu'il faut se livrer dans la durée si l'on veut tenter de relier les fils visibles ou souterrains que l'artiste tisse à l'intérieur même d'une toile ou d'une toile à la suivante pour aboutir jusqu'à aujourd'hui à cet ensemble présenté dans l' intégralité du lieu et parfois sur la hauteur entière des murs.
Toutes ces toiles s'articuleraient-elles comme une seule toile arachnéenne ? Vraisemblablement non car l'organisation structurée et centralisée de la toile d'araignée ne correspond pas à ce mode opératoire libre de toute construction préconçue. Entre langage et images, les connexions s'établissent au gré des réflexions reliant science, politique, écologie, biologie parmi d'autres préoccupations.
Il y a une vingtaine d'années, l'artiste Jean-Claude Latil, quittant l' école des Beaux-Arts de Nantes dont il avait été professeur et directeur, me parlait de celui qu'il avait eu comme étudiant et auquel il portait la plus grande attention. Puis la démarche s'est affirmée jusqu'à être consacrée par le Lion d'or à la Biennale de Venise en 1997 pour le pavillon français et son installation "Eau d’or, eau dort, ODOR".
CRAC Sète détail
Sur cette face visible ici du système Hyber, l'exploration de l'ensemble des connexions ne peut s'envisager dans le seul temps de découverte d'une exposition. Pour aider le visiteur, l'artiste a poursuivi sa tâche, cette fois sur le tableau blanc des murs du lieu, en nous livrant quelques schémas explicatifs sur l'agencement de cette somme.
Si chez Jean-Michel Alberola la peinture est aussi pensée, chez François Hyber la pensée se révèle également décisive sur les tableaux pour lesquels il réfute donc l’appellation de peinture du moins comme finalité : « Je fais toujours de la peinture, mais ce qui me porte dans la peinture, ce n’est pas le fait de faire de la peinture. C’est le comportement qui m’amène à en faire. Les glissements, les erreurs, les constructions.. ».
"De fil en aiguille"
Sur plus de trente années de travail, on ne peut donc demander à l'artiste si la question de l'abandon de la peinture aurait pu ou non se poser. Chez Fabrice Hyber, ce medium n'intervient que comme un outil parmi d'autres dans l 'interrogation permanente de l'artiste, dans cette capacité de la pensée à s'exercer en posant de façon incessante la question de sa présence au monde à travers cet enchevêtrement vivant de mots, signes, images, dessins, objets, couleurs. Une œuvre de 1998 porte comme titre "De fil en aiguille". Chaque nouveau tableau blanc mis en chantier aujourd'hui prolonge, trente quatre ans plus tard, le "Un mètre carré de rouge à lèvres" décisif de cette investigation personnelle.
Photos de l'auteur.
" 2716, 43795 M² " - Fabrice Hyber
Du 26 juin au 20 septembre .2015
Commissaire d'exposition : Bernard Marcadé, Nöelle Tissier
Centre Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon
26, Quai Aspirant Herber
34200 SÈTE
Voyage à l'invitation du C.R.A.C de Sète