La règle des trois clics
On entend encore aujourd’hui la fameuse phrase “Pour que notre site soit simple à utiliser, on veut que toutes les informations soient accessibles en trois clics !
” La “règle des trois clics” a longtemps été considérée comme une des préconisations essentielles dans l’ergonomie Web et pour l’architecture de l’information. Cette règle traduit l’idée que plus l’utilisateur passe du temps à rechercher des informations sur le site, moins il est satisfait. Le visiteur doit donc pourvoir atteindre l’information recherchée par la navigation en trois clics maximum.
Les fondements
L’idée sous-jacente semble tout à fait pertinente : un trop grand nombre de clics nécessaires pour atteindre l’information est déstabilisantpour l’utilisateur. S’il se sent perdu ou découragé, ce dernier risque d’aller sur un autre site pour réaliser son objectif initial.
L’utilisateur possédant une quantité de ressources cognitives limitée, la complexification de la navigation lui rajoute une charge mentale supplémentaire.
Apparue à l’époque où il fallait plusieurs secondes pour passer d’une page à l’autre, la limitation du nombre d’étapes apportait la garantie “illusoire” de limiter la durée de la recherche de l’information.
Pourquoi c’est un mythe?
Cette loi est trop réductrice et ne peut pas être appliquée au pied de la lettre. D’ailleurs, cette loi n’est apparentée à aucun auteur, et n’est prouvée par aucune expérimentation scientifique.
Les utilisateurs n’abandonnent pas systématiquement après 3 clics !
C’est ce que prouve l’étude réalisée par User interface Engineering, présentée dans l’article “Testing the Three-Click Rule”. Cette étude consiste en l’analyse des données comportementales issues de 44 utilisateurs lors de la réalisation de 620 tâches (soit plus de 8 000 clics analysés !).
Leur recherche met en évidence que le nombre de clics pour atteindre l’objectif est très variable d’un individu à l’autre. Toutefois, contrairement à ce que laisserait présager la règle des trois clics, on n’observe pas “d’abandon massif” de la tâche au-delà du 3ème clic !
L’analyse montre en particulier “qu’il n’y a pas plus de probabilité d’abandon d’un utilisateur après 3 clics qu’après 12 !”
L’étude montre également qu’au delà de l’atteinte de l’objectif, il n’y a pas de lien entre le nombre de clics et le taux de satisfaction de l’utilisateur.
Quand les utilisateurs trouvent l’information recherchée, ils ne se plaignent pas du nombre de clic !
L’article conclut donc que ce n’est pas le nombre de clics qui est important pour les utilisateurs, mais le succès (ou non) de leur recherche.
- Etude de Nielsen et Loranger
Cette règle des trois clics est remise en question par Jakob Nielsen et Hoa Loranger dans leur livre “Prioritizing Web Usability” (rubrique “When the “Three-Click Rule” Wreaks Havoc”, littéralement “Quand la “règle des trois clics” fait des ravages”). Leur étude a ainsi révélé une augmentation drastique (de 600%) du taux de succès des recherches d’articles sur un site e-commerce à la suite d’une modification du site entraînant un cheminement de 4 clics depuis la page d’accueil au lieu de 3.Ainsi, la nouvelle version, malgré le clic supplémentaire, permettait une navigation plus rapide et plus efficace. Les utilisateurs passaient moins de temps à réfléchir à où ils devaient cliquer.
- Architecture de l’information
Suivre la logique des trois clics implique une restriction de la profondeur de l’arborescence à trois niveaux maximum. L’utilisateur pourrait ainsi atteindre n’importe quelle page par un parcours de trois clics. Réduire ainsi la profondeur de l’arborescence entraîne une augmentation du nombre d’éléments sur un même niveau, ce qui se traduit au niveau de l’interface par une augmentation du nombre de liens visibles sur une page.
Les sites riches en contenus sont une bonne illustration de la nécessité de contourner cette règle afin de préserver la qualité de la navigation.
Prenons l’exemple du site Amazon dans le cas d’un achat du bateau des pirates Playmobil. Le parcours depuis la page d’accueil (sans utiliser le moteur de recherche) est le suivant : Page d’accueil > Parcourir les boutiques > Jeux, Enfant et Bébé > Jeux et Jouets > Catégorie de Jeux et Jouets (Jeux de construction / Poupées / Figurines / Loisirs créatifs…) > Page de résultat
La réduction de la profondeur de l’arborescence entraînerait une augmentation du nombre de catégories présentées dans le menu, qui est déjà très chargé. L’application de la règle aurait donc un effet néfaste en apportant de la confusion à l’utilisateur.
Le passage par des “sous-catégories” évite de submerger l’utilisateur avec une trop grande quantité d’articles.
Les sous-catégories permettent de préciser la recherche et de limiter l’affichage de l’ensemble des produits référencés dans cette rubrique
L’utilisation de filtres permet également de proposer une sélection de résultats plus pertinents, en étant au au plus près des attentes de l’utilisateur.
Recommandations pour la conception
Bien que la règle des trois clics ne puisse pas être systématiquement appliquée, l’extrême inverse, avec un nombre de clics “illimités” représente une expérience désastreuse. Comment peut-on alors s’assurer de concevoir une navigation efficace pour ses utilisateurs ?
- Visualisation de la progression
L’utilisateur se soucie de savoir s’il avance dans la bonne direction”. L’utilisateur est plus enclin à poursuivre sa navigation s’il constate qu’il se rapproche de son objectif. Il est donc essentiel de fournir à l’utilisateur des indicateurs sur- sa position actuelle
Ces indices (par exemple la mise en évidence d’un onglet de menu) aident l’utilisateur à se situer et à repérer s’il doit se réorienter. - le parcours effectué
Dans l’idéal, ces éléments (ex. fil d’Ariane) peuvent être réutilisés comme support de navigation et sont donc cliquables. - le parcours restant
Cette information permet à l’utilisateur d’évaluer le temps restant et est source de motivation. Un tel indicateur permet de réduire fortement le taux d’abandon. Par exemple, afficher la progression dans un tunnel d’achat, ou afficher le nombre de questions passées sur le nombre total dans un questionnaire).
- sa position actuelle
- Travailler l’architecture de l’information
La règle des trois clics est avant tout un garde fou entre une profondeur de page trop importante ou à l’inverse, une largeur de site trop grande. Un juste milieu dans l’architecture de l’information doit être trouvé. Soigner l’organisation du contenu de l’information et par conséquent la navigation générale du site est une bonne pratique pour concevoir une navigation fluide et intuitive ainsi qu’une arborescence facile à appréhender
La méthode du tri par cartes s’avère très utile pour assurer un rangement cohérent et intuitive des informations.
- Travailler les libellés
Il est également important que l’utilisateur sache où cliquer, qu’il se sente guidé. Un objet est qualifié d’affordant si son apparence suggère son utilisation. Les éléments de navigation doivent ainsi inciter l’utilisateur à cliquer en lui faisant comprendre quelle action va être déclenchée, ou vers quel endroit il va être dirigé. Chaque page correspond à un objectif. Un libellé clair et précis favorise la compréhension des étapes de la navigation.
- Les éléments impérativement accessibles en moins de trois clics
Certaines informations doivent être accessibles directement, sans aucun clic. C’est le cas pour le moteur de recherche d’un site par exemple. Son utilisation de plus en plus utilisé met en avant la volonté d’accéder le plus rapidement à l’information recherchée. D’autres éléments, comme une aide en ligne se doit d'être facile d’accès, en un clic maximum.
Conclusion
La satisfaction de l’utilisateur n’a pas de corrélation directe avec le nombre de clics. Le niveau d’engagement de l’utilisateur, la visibilité de la progression dans sa recherche, la pertinence du parcours… sont autant d’éléments qui assurent une bonne expérience utilisateur et ainsi éviter l’abandon de sa tâche. Chaque clic doit permettre à l’internaute de se rapprocher de son but, de progresser de manière fluide et efficace.
Chaque site est unique et rencontre des problématiques différentes. Lors de la conception, il ne pas se fier à la règle des 3 clics au sens strict, mais garder une certaine flexibilité. Toutefois, rester vigilant à la simplification du parcours de l’utilisateur.