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Hemley Boum : Les maquisards

Par Gangoueus @lareus
Hemley Boum : Les maquisardsQuand la fiction s'empare de la figure mythique d'un héros pas assez connu Ruben Um Nyobé, leader charismatique de l'Union des Populations Camerounaises, assassiné dans le maquis, cela donne un grand roman écrit par Hemley Boum, Les maquisards (Editions La Cheminante)...
Dans les rencontres littéraires auxquels je participe, il n’est pas rare d’entendre dans les milieux africains que la fiction est une activité ludique et que si l’on veut vraiment changer ou penser les choses, rien n'est plus structurant qu’un essai. Un argument qui me fait franchement sourire. A propos du processus de décolonisation au Cameroun, dans son essai Main basse sur le Cameroun, Mongo Beti nous donne, avec un argumentaire et une verve qui lui sont propres, de nous plonger dans la violence de la révolution camerounaise avortée. Il propose à son lecteur de toucher du doigt l’impact du dispositif répressif que Paris aura soigneusement mis en place pour neutraliser le volet bassa du maquis camerounais avec Ruben Um Nyobe puis son versant bamiléké qui a connu son épilogue avec l’exécution d’Ernest Ouandié.
Pourtant, en finissant le nouveau roman d’Hemley Boum, je mesure ô combien, quand la fiction est employée par une plume sensible, brillante et érudite pour traiter un sujet si douloureux et peu méconnue, l’impact peut être hautement plus important que le plus expert des pamphlets. Pour une raison assez simple. Le roman touche à quelque qui relève de l’émotion, de la sensibilité individuelle. 
Le roman a le pouvoir de nous mettre en connexion avec les âmes disparues et de nous faire ressentir l’ampleur d’un système répressif qui s’abat sur des individus. C’est ce que produit Les maquisards que la camerounaise, Hemley Boum vient de publier aux éditions La Cheminante.
Pour capter l’attention des lecteurs, l’écrivaine choisit de construire sa narration autour d’une saga familiale et d’une multitude de personnages qui gravitent autour du Mpodol, entendez par là, le porte parole du peuple Ruben Um Nyobe. Dans la première phase du roman, le lecteur peut être amené à penser que, à l'instar de La saison des prunes, le leader upciste est une sorte de personnage prétexte. Ce qui importe, c’est avant tout son impact sur les figures qui l’entourent, la lecture de son charisme et de sa vision pour le Cameroun. Vu de cette manière, qui sont les gens qui entourent le révolutionnaire ? 
Des hommes, des femmes du pays bassa. Avec beaucoup de dextérité, Hemley Boum décrit la plèbe autour du leader charismatique. Le lien entre ses hommes est complexe. D’ailleurs, pour vous faire une idée, vous n’avez qu’à lire le schéma très utile en entrée d’ouvrage. Dans ce monde, seules les femmes savent exactement qui détient la paternité de leur rejeton. Il règne une forme de désordre structurelle au niveau des filiations ce, de manière si cyclique, qu’on est endroit de se demander le sens du discours de la romancière camerounaise sur ces questions. Dans ce désordre, la posture des femmes décrites par Hemley Boum interpelle. Toutes contestent d’une manière ou une autre l’ordre patriarcal établi. Au risque de remettre en cause les fondements de ces communautés forestières. 

Hemley Boum : Les maquisards

copyright Ji-Elle

Tout cela n’est pas sans conséquence. Comme chez Garcia-Marquez dans Cent ans de solitude, le thème de la malédiction arpente les pages et voue les personnages transgresseurs à une tragédie certaine. Les femmes subissent le pouvoir colonial dans leur chair. On retrouve une approche déjà explorée par Hemley Boum dans Si d’aimer… à savoir, celle des rapports biaisés entre l’occidental et l’africaine. Ici, le métissage est le produit du viol et n’est absolument pas abordé sous un angle angélique. En écrivant ce texte, d’autres grilles de lecture me sont offertes. Pierre Le Gall qui incarne le colon dans ce qu’il a de plus vil illustre la férocité d’un pouvoir colonial qui plus tard s’abattra sur la rébellion. Quand cesse, par le procédé d’aller-retour récurrent dans le temps, la description des personnages, reste des hommes et des femmes gonflés à bloc, prêts à mourir pour leur idéal indépendantiste.
Au-delà de l’entremêlement des sagas, Hemley Boum rend possible, par les matériaux bien utilisés de la fiction, une mise en scène d’un héros de la lutte armée contre l’impérialisme abattu sans arme, trainé comme du gibier de brousse sur ses terres et coulé dans un bloc de béton pour que la profanation du corps se poursuive au-delà de la mort. Les similitudes avec la fin de Lumumba sont criardes. Les échos toutefois ne sont pas les mêmes. On parle encore du Mpodol à voix basse au Cameroun là où l’héroïsme de Lumumba a nourri des pans de la jeunesse africaine. Il y a là une matière intéressante à réflexion.
Hemley BoumLes maquisards
Editions La Cheminante, première parution en Mars 2015

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