Depuis le 24 Juin 2015, hier, toutes mes frêles glucides se sont concentrées sur une sortie d’hôpital jusqu’alors incertaine. Il a suffi de quelques mots pour pousser un soulagement sincère et tant attendu. Jour après jour, le compteur se stabilise à une semaine d’observation, ce qui était à la fois pénible … et finalement nécessaire.
Par parcours, qu’est-ce qu’il faut entendre ? Un bilan, une rétrospective sur une semaine, un aperçu critique et littéralement, un moyen de faire part d’une démarche qui a contribué à cette fin d’hospitalisation. S’il n’y avait pas eu un climat de confiance entre le corps médical et moi, le temps de semi-réclusion aurait pu se poursuivre, probablement.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette semaine. Encore plus depuis Septembre 2001, année où mon pancréas s’est arrêté de travailler et de fournir de l’insuline. Choc, pleurs, les discours gravés dans ma mémoire d’enfant ressemblent à des tiroirs de mots-clefs. On s’épargnera la liste pour ne retenir que l’essentiel : jusque 2009, la gestion du diabète de type 1 a été d’une violence assez désastreuse. Il a fallu faire appel aux urgences pour comprendre que l’adolescent, malgré toute son attention et sa vigilance, n’était pas suffisamment soigné. (Avec des injections uniquement lentes, il n’est pas étonnant d’atteindre des moyennes de glycémies, c’est-à-dire du taux de sucre dans le sang, entre 2,00 gr. et 3,00 gr.) Retour à l’hôpital initial, 1 semaine et demie plus tard, l’adolescent est ressorti chancelant, bien infecté, bien fatigué, avec en tête une seule et même chose : retrouver la santé, « bricoler » avec des stylos d’insuline qui n’existent plus aujourd’hui car ils sont inefficaces, en finir avec ce diabète. Inconsciemment, le discours de responsabilité de la maladie s’est implanté comme l’arbre dans son jardin, devenu trop grand et difficile à couper. Très consciemment, tout a été fait pour éviter un nouveau choc dans la vie adolescente et donc dans la vie adulte.
Toujours sous pompe à insuline … Et fier de l’être. Voilà un des cadeaux faits pour mieux affronter la maladie.
En Octobre 2010, après des démarches et une hargne de loup, ma famille a littéralement sacrifié son temps et son énergie pour un nouveau confort de vie. Un rêve qui ne tient qu’en quelques composants et au simple nom de « Pompe à insuline« . Fièrement suivi par un hôpital pionnier dans l’installation de pompes à insuline, je connaissais depuis 5 années une vie plus calme. Pour celles et ceux qui tentent de définir un bonheur, le mien était d’éviter les 3 à 4 injections par jour contre 1 seule pose de cathéter, à domicile, tranquillement. Ce bénéfice a fleuri ma vie, m’a permis de poursuivre des études plus sereinement, d’avoir un oeil sur plusieurs tableaux en ayant l’assurance d’une santé de fer. Le résultat tient à un chiffre dévoilé il y a quelques jours : la dernière hémoglobine glyquée (HbA1C) (C’est-à-dire la fameuse moyenne de glycémie sur 3 mois) communiquée était de 5,2. (Pour toute personne qui en douterait, les chiffres sont bien réels.)
Dans les épisodes difficiles, presque tous les soirs ont été entrecoupés de resucrages … (Trop d’hypoglycémies la nuit.)
Moins la maladie est évoquée, mieux l’adolescent-adulte vivait. Du moins, ce n’est pas ainsi que le corps, lui, en décide autrement. En quelques mots, cette moyenne trop basse reflète une boite de pandore où, dedans, vivent encore les mots rigueur, complications, irrégularité de la maladie, sérieux. Il n’y a pas besoin d’être un professionnel de l’esprit humain pour remettre les mots dans un ordre logique : « La rigueur permettra d’éviter les complications, le sérieux contrera les aléas de la maladie. »
3 prises de sang au total. En théorie, rien d’anormal en vue. Si ce n’est une grosse carence en vitamines D. (Celle liée à l’ensoleillement.)
En 5 années, tous les réflexes de la maladie et du régime ont été scrupuleusement respectés : les repas étaient tripartites, les tests de glycémie toujours au rendez-vous (5 à 6 par jour en général), et, ma foi, la vie se déroulait sous les objectifs glycémiques. Le basculement s’est fait inconsciemment en 5 années en éliminant petit à petit le pain de l’alimentation, en transformant le régime en 2/3 de légumes et 1/3 de féculents voire moins. (Céréales, pâtes alimentaires, et en général tous les sucres lents.) Face aux épreuves difficiles qui peuvent se produire en 5 ans, la vie alimentaire s’est adaptée à la maladie.
Réside, là, un effet vicieux du diabète. Ceci, ajouté à une peur d’un retour en hospitalisation, des complications, d’un retour forcé à une vie d’hôpital. L’explication est purement mécanique : le corps darde son alerte, cherche à tout prix du sucre (Le besoin est vital.), et même si aucun régime n’est entrepris, se charge de puiser dans le foie. Par manque, la cétone est produite en des quantités de plus en plus variables. L’origine, quant à elle, reste floue. Les moyens pour agir, sont, quant à eux, un peu plus assurés et produisent déjà des résultats grâce à une nourriture adaptée (Et donc plus forte en sucres lent.)
Un simple pain au chocolat a suffi à réduire ma peine. Un pain au chocolat à l’hôpital ! Alors que vous avez 2,50, vous êtes barbouillé, détraqué et rempli de cétone. Un pur moment d’humanité pour cette maladie quotidienne …
Contrairement aux autres expériences hospitalières, un dialogue et une réflexion se sont instaurés. Face à la situation, beaucoup ont été désolés par la situation. Toutes et tous ceux qui m’ont apporté une aidé n’ont jamais responsabilisé la situation ou sa gravité. La démarche de réflexion a suivi, de peu, les premières conclusions à mon sujet. Il a fallu relativiser – il existe pire et le reste du parcours a été bien plus dramatique -, comprendre – face à une situation d’équilibre et de respect de la maladie -, comparer – comment vivent les autres diabétiques ? -.
Il n’y a qu’un pas pour parler d’une forme de méditation non religieuse. La conséquence aujourd’hui se résume à un autre mode de vie, à une manière encore plus globale de penser la maladie. Les habitudes alimentaires faisaient l’impasse sur ce qui était inhabituel voire impossible à gérer. Aujourd’hui, au contraire, la diabétologie du monde adulte m’a prouvé qu’un résultat à 2,00 gr au réveil n’est pas dramatique : il faut corriger pour caracoler aux objectifs de bien-être. Ceci et des centaines d’aventures au quotidien, il valait mieux l’éviter pour un bien imaginé.
Il y avait des moments plus agréables que d’autres. Le constat est indéniable … Le soleil qui darde à l’hôpital, ça reste si rare !
Un caractère peut changer. Là est peut-être même la première raison qui a conduit à mieux cerner le diabétique et, derrière, le patient. Il y a peu, le monologue consistait à dire que le diabète forme la différence. Désormais, la pédagogie médicale à tendance à l’inclure de plus en plus dans le quotidien, dans un passé monochrome et à aider le patient à maitriser ce problème au quotidien.
Le problème n’est pas absolument résolu. A commencer par la cétone, qui joue encore des tours tous les matins, heureusement plus raisonnablement. Au patient de gérer ses quantités de sucres lents, j’y consens pour retrouver une vie normale. L’équilibre, quant à lui, doit retrouver son chemin : cela tiendra à quelques jours ou à une semaine de flottement pour retrouver des glycémies acceptables. Au quotidien, le corps s’est très bien fait comprendre. L’urgence s’est déclenchée par une accumulation de menus faits devenus des mastodontes : des sentiments difficiles à gérer, une charge de plus en plus importante à gérer au quotidien, un attachement à cacher le diabète.
Toutes, tous, amies, connaissances, famille, corps médical. Quelque soit votre tonalité, chaque message a été intercepté en dessillant, en me confrontant vraiment à une autre réalité. Même en résumant, tout ne peut pas être dit. Pour être complet, il faudrait un livre à la fois lapidaire, personnel, et capable d’aider d’autres patients, peut-être d’autres victimes collatérales d’une pédagogie de la terreur.
Il a bien fallu combattre le temps long. Internet, de très bonnes BD, de l’aquarelle, les livres Game of Thrones : rien n’est de trop pour une semaine …
Mes seules options pour paver l’avenir, je le dois à des centaines de personnes. Ce que certain(e)s ont pensé comme des vérités brutales, sèches et violentes à leurs yeux. Des messages. Une libération prête à faire sauter quelques verrous et quelques interdits qui passera par une démarche volontaire qui, j’en suis sûr, m’aidera à aller plus loin grâce à l’Insulino Thérapie Fonctionnelle. (I.T.F. pour les intimes.) Et des encouragements prêts à transir ma 14e année de diabète, à féliciter tout ce travail, à valoriser cette réflexion …
« Gardez vos rêves, vos idéaux. Vous le méritez. Tout le monde fait des erreurs : les reconnaitre est déjà un grand pas. » On ne peut effacer le passé, on peut faire en sorte de ne pas le reproduire et de prendre cet encouragement médical, à vous faire pleurer, pour demain. Pour cette sortie d’hôpital. Pour l’âge adulte.