En avril, mai, juin, Steven Cohen a été invité par Pôle Sud, le Frac Alsace et la Haute École des Arts du Rhin à intervenir à Strasbourg. Un workshop, trois performances et une exposition plus tard, nous sommes presque à la fin de cet événement qui s'intitule : Free Jew is Cheap at Twice the Price.
Première étape, il y a eu une première rencontre avec Steven Cohen pendant laquelle il a été expliqué les différentes étapes de son séjour strasbourgeois, le tout étant emprunt de mystère malgré tout. Par exemple, nous ne savions pas où aurait lieu, dans Strasbourg, sa performance du 23 mai ni à quelle heure... Seconde étape, le workshop puis la performance au Frac, celle à Strasbourg et l'exposition à la Chaufferie avec, là aussi, une performance.
Je n'ai pas pu tout voir, je vais donc vous parler de ce que j'ai vu...
Steven Cohen, Dancing Inside Out, Frac Alsace, 22 mai 2015. © Steven Cohen. Photo: C.R.
Le 22 mai, dans le cadre du festival Extrapôle organisé par Pôle s'est tenue La Nuit du Chasseur au Frac à Sélestat. Il s'y est déroulé plusieurs performances tout au long de la soirée. Steven Cohen y a reperformé Dancing Inside Out, précédemment montrée au Centre Pompidou en 2009 lors du Festival d'Automne. Steven Cohen est un « monstre juif, homosexuel » (comme il se présente), né en Afrique du Sud où il a fait ses premières performances qui sont de véritables actes politiques où la nudité et les mises en scène de son corps croise symboles, images du nazisme de la Seconde Guerre mondiale dans une envie de dénoncer et d'être libre. S'il est né en Afrique du Sud, c'est parce que sa famille a fui le fascisme, ce fascisme qu'il dénonce autant que faire ce peut : « Il m'est difficile d'oser parler, mais encore plus de garder le silence. » nous dit-il.
Steven Cohen, Dancing Inside Out, Frac Alsace, 22 mai 2015. © Steven Cohen. Photo: C.R.
Dans la version de Dancing Inside Out présentée au Frac Alsace, Steven Cohen était juché sur d'imposantes et lourdes chaussures à talons, imprimé Léopard, so chic... Il portait un corset noir et son sexe était caché par une étoile de David (pas très longtemps). Son visage était maquillé. Pendant le temps qu'a duré la performance (j'ai perdu toute notion du temps qui passait, l'effet de la fascination pour ce qui était raconté, dit, sans doute), il se mouvait avec ces chaussures improbables et surtout peu faites pour marcher avec, puis il s'est déshabillé et, au moyen de deux godemichés webcam, nous a projeté sur deux écrans plusieurs images, documents : à des gros plans sur certaines parties de son corps se sont succédées des images où des mots tels « Struthof », « camp de concentration », une étoile de David... Il n'a pas seulement rejoué Dancing Inside Out, il a aussi retravaillé cette performance en fonction du lieu dans lequel il se trouvait : l'Alsace où se trouve le camp du Struthof, visitable et qu'il est important de visiter pour se rendre compte...
Comment voir une autre performance après cela ? Je ne sais pas, je n'ai pas pu. Les images qui restaient en tête étaient fortes, le discours, lui aussi. D'aucuns diront que c'est du resucé mais si on ne resuce pas ces sujets-là, ne risque-t-on pas d'oublier et de refaire les mêmes erreurs : laisser émerger un monde basé sur les inégalités.
Steven Cohen, Free Jew is Cheap at Twice the Price, 28 mai 2015. © Steven Cohen. Photo: C.R.
À la Chaufferie, galerie de la Haute École des Arts du Rhin, se tient encore ce week-end l'exposition Free Jew is Cheap at Twice the Price. Elle a débuté le 28 mai et on peut y voir des projections de plusieurs performances dont celle qu'il a faite le 23 mai devant la Place des Halles à Strasbourg au niveau de l'ancienne Synagogue qui fut incendiée le 30 septembre 1940 par les jeunesses hitlériennes. On peut y voir aussi certaines des chaussures utilisées par l'artiste dans ses diverses performances et encore d'autres objets. Le temps du vernissage et pendant le premier week-end d'ouverture de l'exposition, Steven Cohen était présent à la Chaufferie et présentait une performance. Il était (et il sera, puisqu'il la performera à nouveau ce 27 juin) enfermé dans un distributeur de bonbons. Le public, ceux qui osaient, pouvaient aller demander une pièce à l'accueil de la galerie. Puis, se tenant sur l'estrade devant ce distributeur qui nous replonge en enfance, il fallait introduire la pièce dans la fente et attendre. Steven Cohen, choisissait alors quoi donner en échange. Il a donné des petites "balles" dans lesquels se trouvaient des images de lui, il a donné des extraits de performance qui étaient alors projetées sur les murs de la Chaufferie, par moments aussi il a réutilisé le gode webcam et a filmé des gros plans de ce qu'il voulait. On a ainsi pu se rendre compte que, sur le sommet de son crâne, se trouvait un véritable cimetière juif miniature, par exemple.
Steven Cohen, Free Jew is Cheap at Twice the Price, 28 mai 2015. © Steven Cohen. Photo: C.R.
Le juif est bradé... il est la cause de tous les maux, normal non ? Dans cette exposition, on fait face à une stigmatisation, à du racisme hélas bien trop ordinaire. Steven Cohen se met lui-même dans la peau du juif bradé, que l'on consomme comme n'importe quel bien, comme un buble gum que l'on va mâchouiller avant de le jeter par terre ou de le coller sous un banc. Et on entre dans ce jeu-là. Il nous met face à nous-mêmes, à cette morbide fascination que l'on a pour la performance, pour l'art qui nous dépasse, à se demander si on pense, si on réfléchit vraiment à ce que l'on a face à nous. En entrant dans la performance, en glissant cette pièce de 20 cents dans la fente, qui sommes-nous ? Un consommateur qui a envie de repartir avec un bonbon ? Ou quelqu'un qui va accepter que ce que Steven Cohen lui offre est la projection grand format de l'intérieur de sa bite ? Et en n'entrant pas dans la performance, qui sommes-nous ? Des spectateurs consommateurs ? Des personnes qui ont peur de ce que l'on pourrait recevoir et de ce que ça pourrait signifier de nous ?*
Steven Cohen sera à la Chaufferie ce samedi 27 juin et l'exposition se clôture dimanche. N'hésitez pas à aller y faire un tour.
Cécile.
* Si vous vous posez la question, oui, j'ai joué le jeu et oui, il m'a montré l'intérieur de sa bite, logique en fait.
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Infos pratiques :
Sur l'exposition à la Chaufferie: Free Jew is Cheap at Twice the Price.
Et les sites des différents protagonistes pour plus d'infos:
http://www.culture-alsace.org/art-contemporain/