Les artistes ont cette capacité de sentir avant leurs contemporains les évolutions de la société, du monde. Observer leurs œuvres contribue à pressentir le futur dans ce qu’il aura d’enthousiasmant, d’angoissant, de dérangeant, ou de décevant. Dès le début du XXe siècle, les progrès techniques, industriels et scientifiques influencèrent les créateurs dont le regard portait bien au-delà de leurs pays d’origine, vers d’autres continents, voire vers l’espace infini. Mégalopoles, voyages spatiaux, utopies futuristes, mais aussi premières guerres mécanisées de l’Histoire et risques de dérives se profilaient dans leur imaginaire.
C’est à ce voyage, en compagnie de près de 90 artistes et plus d’une centaine d’œuvres, qu’invite l’exposition « Futurs, Matisse, Miro, Calder... » qui se tient à Marseille, au Centre de la Vieille Charité, jusqu’au 27 septembre prochain.
Le parcours proposé s’articule en trois sections. La première, « Métropolis », met essentiellement l’accent sur l’urbanisation et la mécanisation. On y trouve notamment Gota 2-A (vers 1923-1927) de Kasimir Malevitch, plâtre sous vitrine qui suggère que l’immeuble du futur se conçoit dans la verticalité - ce qu’avait fort bien vu Le Corbusier - , tandis que Metropolis (1923), de Paul Citroën, offre une vision plus chaotique et stratifiée de la ville. On notera encore L’Echaffaudage (1919) de Fernand Léger, deux œuvres de Jean Gorin (1955 et 1972) rappelant la géométrie et la palette de Mondrian ou l’angoissante Cité intégrée (1959) de l’Islandais Erró. Deux huiles retiennent ici particulièrement l’attention : un saisissant portrait presque robotique du fondateur du mouvement futuriste F.T. Marinetti (1924-1925) par Enrico Prampolini et le très synthétique City Night (vers 1970) de Georgia O’Keeffe dont les grands aplats noirs figurent des gratte-ciel. Avoir choisi pour titre « Métropolis » n’a rien d’innocent car le parallèle avec le film culte de Fritz Lang, (1927) alerte sur les dévoiements vers un futur déshumanisé au profit du productivisme et d’une oligarchie.
La deuxième section, « La Guerre des mondes », par référence au roman de Wells publié en 1898, introduit la science-fiction dans l’art, avec son cortège d’hommes-robots, de super-héros, d’extraterrestres et... de cosmonautes. Une remarquable tête de cuivre de Rudolf Belling, Sculpture 23 (1923) est très représentative de la première catégorie, de même qu’une très belle toile de Victor Brauner, Prestige de l’air (1934). L’univers aux couleurs acidulées de Bernard Rancillac (La Conquête de la lune et La Fiancée de l’espace) plonge le visiteur dans une approche plus ludique, mais on retiendra surtout quatre œuvres d’Erró tout à fait surprenantes et qui témoignent de la diversité des approches esthétiques de l’artiste.