la maîtresse de l'officier

Publié le 24 juin 2015 par Dubruel

~~d'après LE LIT 29 , de Maupassant

Quand, le capitaine Orvain passait Dans la rue, les femmes se retournaient. Aussi, toujours paradait-il Et sans cesse se pavanait-il, Fier et préoccupé de sa cuisse, De sa taille et de sa moustache. Il les avait superbes, d'ailleurs, la moustache, La taille et la cuisse. La taille était élancée Comme s'il eut porté un corset. Il marchait De ce pas un peu balancé des cavaliers En tendant le jarret Et en écartant les bras et les pieds.

Bref, le capitaine Albert Orvain Multipliait les succès féminins. En 1868, son régiment Vint tenir garnison à Rouen. La belle Irma, la maitresse, disait-on, Du banquier Templier-Papon Un jour, le vit. Elle se montra et lui a souri. Le soir même, Orvain était son amant. Ils se compromirent mutuellement. Tout le monde était au courant Des amours entre Irma et l'officier. Seul Templier-Papon les ignorait. Le capitaine répétait à tout instant :

-" Irma m'a conseillé - Irma Me disait cette nuit - Hier, dinant avec Irma... "

Cet amour Dura plus d'un an Mais voilà, La guerre éclata Et le régiment d'Orvain fut envoyé Au front, parmi les tout premiers.

....................

La guerre terminée, Orvain Fut affecté de nouveau à la garnison de Rouen. Aussitôt, il demanda Des nouvelles d'Irma. D'après certains, Elle avait fait une noce effrénée Avec l'état-major prussien. Selon d'autres, elle s'était retirée Chez ses parents, Cultivateurs en bas pays normand. L'absence d'Irma causa à Orvain Un grand chagrin. Il attribua son malheur aux Prussiens : '' Ils me le paieront, les gredins ! ''

Or un matin, comme il entrait Au mess pour déjeuner, Un commissionnaire lui remit un pli. Il l'ouvrit : '' Mon chéri si affectionné, Je suis à l'hôpital, bien malade, Gravement malade. Viens me voir. J'en serais contente. Ton Irma. '' Le capitaine, remué de pitié, déclara : '' Nom de nom, elle est souffrante ! '' Il partit aussitôt à l'hôpital D'un pas énergique. Là, on lui indiqua la salle Des syphilitiques. Il entra et demanda Irma. :

''-Lit 29 ''. Il s'approcha Et murmura :

-" Irma... " Un lent mouvement se fit dans le lit Et le visage de sa maitresse surgit Mais si changé, Si maigre, si fatigué Qu'il ne le reconnaissait pas. Haletant, elle prononça :

-" Albert ! C'est toi, Albert ! Oh ! ...c'est bien... C'est bien... "

-" Qu'est-ce que tu as eu ? "

-" C'est écrit sur la porte, tu l'as pas vu ? "

-" Comment as-tu attrapé ça ? " Elle balbutia :

-" C'est ces salauds d'Allemands. Ils m'ont prise et m'ont empoisonnée. Je crois vraiment Que je ne vais pas en réchapper. "

-" Tu ne t'es donc pas soignée ? "

-" Non, j'ai voulu me venger Et je les ai tous empoisonnés. "

-" Tu as bien fait ! "

-" Ah ! Oui, j'en ai tué ! " Au bout d'un moment, Orvain, ne sachant plus que dire, Prétexta :

-" Je dois partir. Le colonel m'attend. "

-" Déjà ! Tu me quittes déjà ! Veux-tu m'embrasser Avant de me quitter ? Tu reviendras, dis, tu reviendras. Promets-moi que tu reviendras. "

-" Oui, je te le promets. "

-" Peux-tu jeudi ? "

-" Oui, jeudi. Adieu, chérie. " Et confus, Orvain partit. Le soir, un lieutenant lui demandait :

-" Alors, Irma, ta dulcinée... ? " Il répondit l'humeur faussement chagrine :

-" Elle a une fluxion de poitrine. "

-" Oh ! Pour ça, non. Tu mens. On l'appelait la femme aux Allemands ! " Trois jours après, Orvain recevait Une lettre d'Irma. Il n'y répondit pas. Deux semaines s'étaient écoulées Quand il reçut un pli cacheté De l'aumônier de l'hôpital : '' Irma Paoli est au plus mal. '' Gonflé d'orgueil humilié, Orvain se rendit à la maison de santé :

-" Qu'est-ce que tu me veux ? "

-" Il parait que je suis au plus bas. J'ai voulu te dire adieu. " Le capitaine ne la crut pas.

-" Écoute, tu me rends La risée du régiment. Ça ne peut pas continuer. "

-" Mais qu'est-ce que je t'ai fait, Dis-moi ? N'ai-je pas toujours été gentille avec toi ? " Il reprit d'un ton vibrant :

-" Je ne viendrai plus te voir dorénavant Parce que ta conduite avec les Prussiens A été une honte, ai-je appris. "

-" Ma conduite avec les Prussiens ? Mais je te l'ai dit : Ils m'ont prise, et je t'ai dit aussi Que je ne m'étais pas soignée Exprès pour les empoisonner. J'aurais pu guérir mais je voulais les tuer ! "

-" Dans tous les cas, c'est honteux. "

-" Qu'est-ce qui est honteux : Mourir pour avoir exterminé Des dizaines de salauds d'Allemands ? Tu ne parlais pas ainsi auparavant ! Et puis toi, t'en aurais pas fait autant. J'en ai tué plus que toi, des Allemands ! " Orvain restait effaré :

-" Oh ! Tais-toi... Je ne te permets pas De parler de ces choses-là. Tais-toi ! "

-" Serait-ce arrivé si, ces Allemands, Vous les aviez empêchés d'arriver à Rouen ? C'est vous qui deviez les arrêter. Moi, je leur ai fait plus de mal que toi. Je vais mourir et toi, Tu vas te balader. Tu vas faire le beau, toi ! Ah ! Tu es un joli poseur, toi ! "

Le capitaine se retira Et courut chez lui s'enfermer. Il entendait encore Irma : ''J'en ai tué plus que toi ! Oui, plus que toi !'' Le lendemain, elle décédait.