UnReal est une nouvelle série de 10 épisodes diffusée depuis le début juin sur les ondes de Lifetime aux États-Unis et au Canada. L’action se déroule sur le plateau de tournage d’Everlasting, une émission de téléréalité au concept qui nous est familier : un riche héritier, Adam Cromwell (Freddie Stroma), cherche l’amour et une dizaine de jeunes femmes ne cherchent qu’à l’épouser. Cependant, avant d’arriver à une conclusion faussement romanesque, la productrice Quinn King (Constance Zimmer) entend bien offrir son lot de drames aux téléspectateurs et c’est pourquoi elle ramène sous les projecteurs Rachel Goldberg (Shiri Appleby), une assistance ayant eu des démêlés avec la justice, mais qui a le chic pour provoquer des situations explosives; de quoi transformer une émission de téléréalité en un monumental mensonge. Série co-créé par Sarah Gertrude Shapiro qui a elle-même travaillé sur le plateau de The Bachelor, UnReal est assurément la série la plus excitante de l’été et le plus étonnant est qu’elle nous provient d’une chaîne comme Lifetime qui ne nous a jamais présenté quelque chose d’aussi corrosif. Mélange de comédie noire et de drame, on valse (c’est le cas de le dire) entre le cruel et le ridicule et la recette fonctionne à merveille. Seule ombre au portrait : l’auditoire
« This is what a feminist looks like »
À peine de retour sur le plateau que Rachel le regrette déjà. Sans tout dévoiler, l’année précédente, au bord de la dépression, elle a failli compromettre l’émission et a été condamnée à faire de la prison pour ivresse au volant. Mais la pragmatique Quinn a besoin de cette employée et réussit à négocier avec la justice des travaux communautaires au lieu d’un enfermement. Justement, la jeune femme arrive en plein tumulte puisque’Adam hésite maintenant à participer à l’émission et que la plupart des candidates sont bien trop cultivées et polies pour nous offrir un bon moment de télé. En un rien de temps après son retour, la caméra n’a qu’à filmer les dérapages et est toujours présente pour exploiter un drame personnel vécu par une candidate. Du côté de la production, tout n’est pas au beau fixe non plus. Quinn couche avec son patron cocaïnomane Chet (Craig Bierko), lequel est marié et attend un enfant alors que Rachel est toujours amoureuse de son ancien petit ami Jeremy (Josh Kelly), un caméraman avec qui elle travaille et désormais fiancé à une autre.
La qualité première qui se dégage d’UnReal est de remettre en question le concept même d’une telle émission. Et à mesure que les épisodes passent, on déconstruit petit à petit le mythe derrière l’image. En vérité, pour Adam, ça signifie un tournage ou toutes cherchent à le séduire en plus de faire de la publicité à la chaîne d’hôtels qu’il dirige pour son père. Là où le bât blesse est du côté des candidates. Mais que diable viennent-elles faire dans une téléréalité où leurs défauts seront scrutés à la loupe en plus de voir toutes leurs paroles et actions déformées au montage?
Cela nous renvoie au premier plan où l’on aperçoit Rachel une caméra à la main et portant ce chandail sur lequel il est écrit : « This is what a feminist looks like ». Ironie suprême qui caractérise à 100 % cette nouveauté de Lifetime : alors que les mœurs et les rapports entre les sexes évoluent, Everlasting est diffusée sur une chaîne nationale où l’on vend aux téléspectateurs (surtout des téléspectatrices) le prince charmant, l’amour au premier regard, le bal, la maison féérique, le meilleur ami qui vient conseiller le principal intéressé devant le dur choix qu’il a devant lui, etc. On nous sert donc un scénario à la Disney digne des années 50 où les femmes, pour se hisser au sommet, doivent surtout miser sur leur pouvoir de séduction, à l’image dans notre réalité télévisuelle avec The Bachelor (qui en est à sa 19e saison aux États-Unis) qu’UnReal parodie sans ambages.
Certes, UnReal nous montre une image de la femme pour le moins dégradante à première vue, mais la série nous le rappelle (ainsi que toutes les critiques ayant visionné quelques épisodes) : les candidates ont toute choisi d’être ici et personne ne les y a forcé et donc elles ne sont pas à blâmer. En toute connaissance de cause (?), elles ont donné leur image entière à la production, pour le meilleur et surtout pour le pire le temps du tournage. C’est justement ce qu’on apprécie avec UnReal : on est davantage en mode dénonciation que glorification, mais en même temps, on a raison de penser que cette exploitation des candidates ne durera qu’un temps. Au deuxième épisode, un employé va voir les deux candidates noires en leur recommandant de faire un « bon show » étant donné que leurs chances sont à peu près nulles. En effet, en 13 saisons d’Everlasting, seulement deux femmes avec cette couleur de peau se sont rendues en finale, sans gagner pour autant. L’une d’entre elles ravale sa fierté et se dit qu’elle est aussi bien de marquer la saison, peu importe comment, du moment qu’on se souviendra d’elle lorsqu’elle ouvrira sa propre boutique…
Le paradoxe de la téléréalité
C’est Rachel qui l’affirme sans gêne à propos de son métier: « I create conditions for things to happen, and then I actually make them happen ». Les autres employés touchent des bonus s’ils parviennent à créer des scènes de crêpage de chignon, de la nudité et c’est encore mieux si une ambulance est appelée sur les lieux. Les candidats et candidates ont tôt fait de comprendre comment ça fonctionne et se prêtent au jeu. Alors, que reste-t-il de « réel » dans la téléréalité? Pas grand-chose et pourtant, le genre perdure. Le public non plus n’est pas tout à fait dupe et se doute bien qu’il assiste à un montage et que personne n’est tout à fait sincère lorsque la lumière rouge de la caméra s’allume.
À l’opposé, le même sort n’est pas réservé aux émissions qui parodient la téléréalité ou du moins qui en reproduisent les codes. Pensons d’abord à de The Royals plus tôt cette année sur E! dans laquelle on mettait en scène une famille royale fictive en Angleterre au bord de la crise constitutionnelle. Les personnages étaient peu convaincants, on n’était jamais bien loin de la caricature grossière sans que ce ne soit véritablement l’objectif premier et la série n’a attiré pour sa première saison que 1,1 million de téléspectateurs en moyenne.
Reprendre ce concept sous forme de documenteurs avec The Comeback et The Comedians n’a pas rencontré plus de succès. 200 000 téléspectateurs pour la saison 2 d’HBO et 510 000 pour celle de FX. Le plus paradoxal, c’est le taux très bas que ces comédies récoltent sur les 18-49 ans alors que justement, on parodie l’univers télévisuel de cette cible. Malheureusement, malgré des acteurs convaincants, un scénario solide et une mise en scène flamboyante, UnReal ne connaît pas un meilleur sort. Après un démarrage décevant : 820 000 téléspectateurs, Lifetime a décidé de mettre en ligne le lendemain les trois épisodes suivants, espérant mousser sa série grâce au bouche-à-oreille. Rien n’y fait : 710 000 en auditoire pour le second épisode et seulement 570 000 la semaine suivante. Raison de plus pour ne manquer aucun épisode; une seconde saison semble impossible à ce stade.