Pauvre Laurent Gaudé. Il met en scène Alexandre le Grand mourant, qui fait le bilan de son existence et évoque un tigre bleu qu'il a vu traverser l'Euphrate.
Jusque là, pas de panique, tout va bien. Le malheur, pauvre homme, c'est que son texte est tombé dans une épreuve de français au bac. Il s'est donc trouvé aux prises, entre enclume et marteau, avec pléthore d'abrutis et ignares candidats qui n'ont toujours pas compris la différence entre une majuscule et une minuscule. Ce n'est pourtant pas compliqué. Une majuscule, nom propre, une minuscule, non commun. Les ânes en question ont donc colporté partout que le tigre bleu de Laurent Gaudé était le Tigre, autre fleuve de Mésopotamie à peu près parallèle à l'Euphrate.
Tas d'incapables. La minuscule ne laissait pas de place au doute, il s'agissait bien de l'animal, pas du fleuve. Bon, on peut encore admettre de jeunes candidats qu'ils racontent n'importe quoi, mais là où ça se gâte, c'est de réaliser que la sphère médiatique et la plupart des journalistes, faisant assaut de nullité, se sont complus à propager l'erreur. A vrai dire, ceux qui ont choisi le sujet n'ont rien trouvé de mieux que de préparer l'erreur en écrivant Tigre bleu, avec la majuscule donc, dans le paratexte. Le titre d'une oeuvre, c'est une chose, et l'un de ses acteurs/personnage, c'en est une autre, mais cela n'a pas frappé les préparateurs du sujet apparemment...
Mais le plus drôle a été atteint avec une inspectrice de lettres citant un communiqué de l'éditeur de Laurent Gaudé, Actes Sud, assurant que la double interprétation était possible.
Mon œil, tiens. On voit bien qu'ils ont essayé de calmer le bad buzz.
Quelques professeurs de lettres un peu plus sérieux que leurs supérieurs hiérarchiques ont pris le temps de vérifier la chose et ont découvert que le texte de notre malheureux écrivain ne prêtait aucunement à confusion.
Et c'est là que je le vis.
A une centaine de pas devant moi, avançant avec précaution dans les hauts roseaux du fleuve,
Un tigre bleu.
(…)
C'était le tigre bleu de l'Euphrate,
Félin majestueux au pelage de lapis-lazuli.
(…)
Je le suivis. Il me fit traverser l'Euphrate,
Et lorsque nous arrivâmes sur l'autre rive,
Lorsque Bucéphale eut posé son dernier sabot sur la terre ferme,
Il rugit comme un titan.
Ses crocs étaient comme des couteaux d'or.
(Acte V, pages 25-26)
Laurent Gaudé a d'ailleurs confirmé qu'il s'agit bien d'un animal imaginaire.
Je passe sur les zyva qui sont venus pleurnicher sur twitter en étalant autant que faire se peut leur inanité intellectuelle.
Pauvre France...