A l’opposé des espérances de ses fondateurs, la zone euro s’avance, peu à peu, vers toujours plus de divergences entre ses Etats membres. Le processus est pourtant loin d’être irrévocable, mais il trouve sa source dans la gestion calamiteuse de la grande récession de 2008.
Les ministres des finances espagnol, français et grec Crédit Reuters
Le 7 février 1992, les Etats de la Communauté européenne signaient le Traité de Maastricht avec une ambition fondamentale ; la convergence économique de ses membres. Afin de satisfaire à cette vision, la monnaie unique était alors perçue comme l’outil parfait, allant jusqu’à évoquer la notion de "férule monétaire", comme un moyen de contrainte. Dans un but d’harmonisation, les célèbres critères de convergence seront alors introduits : stabilité des prix, respect des déficits publics à un seuil de 3% du PIB, et limite d’endettement fixée à 60% de ce même PIB devront être respectés par chacun des Etats membres. Pourtant, et malgré les efforts déployés, c’est la divergence économiques des pays membres qui s’est imposée.Ainsi, Dans un rapport publié en 2012 et intitulé "convergence des économies européennes : 20 après", le Centre d’analyse stratégique auprès du Premier ministre déclarait : "La convergence réelle entre les pays membres de la zone euro ne s’est pas réalisée comme le prévoyaient les travaux qui ont précédé l’adoption du traité de Maastricht." (…) "Sans épuiser les explications de la crise que connaît la zone euro aujourd’hui, les divergences réelles y ont participé et se sont exacerbées.". A l’opposé des prévisions initiales, plusieurs facteurs ont favorisé cette grande divergence européenne.
Une zone monétaire unique fracturée par des modèles économiques divergents
Dès la mise en place de la monnaie unique, en 1999, les politiques économiques déployées par les différents membres se sont avérées contradictoires. Pendant que l’Allemagne soignait sa compétitivité en refusant de procéder à des hausses de salaire, et soutenait ainsi le développement de ses exportations, les pays du sud ont choisi une trajectoire inverse. Puisque l’Allemagne créait des excédents que la zone euro devait absorber, l’Espagne, la Grèce, le Portugal, ont pu bénéficier d’apports massifs de capitaux à bon compte, permise par une convergence cette fois-ci réelle des taux d’intérêt, pour financer leur demande intérieure, et ainsi soutenir largement leur croissance. De cette ambivalence est née une fracture au sein de la zone, entre deux modèles économiques ; entre une croissance soutenue par les exportations et une croissance soutenue par la demande intérieure. Et selon le cabinet de recherche Roland Berger, dans un rapport intitulé "la divergence des économiques européennes", cette fracture est désormais parfaitement nette :"L’analyse de l’évolution des principaux indicateurs macroéconomiques de 18 pays membres de la zone euro fait nettement apparaître deux groupe de pays, opposant le Nord de l’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, Lettonie, Luxembourg, Finlande, Pays-Bas) au Sud (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Irlande, Chypre, Malte, Slovénie, Slovaquie)."L’absence de coordination des Etats membres a pu, pendant un moment, donner l’illusion d’un cercle vertueux de prospérité, mais celui-ci s’est effondré lors de la crise de 2008. En choisissant clairement d’imposer à tous le modèle des pays du nord, c’est-à-dire basé sur un modèle voué à l’exportation, la zone euro a pris les économies du sud à contre-emploi. En tirant le tapis de la demande intérieure, la zone euro a alors contraint ces économies à subir la crise de plein fouet. A l’inverse, les pays exportateurs ont pu se reposer sur leur demande extérieure, et ainsi tirer leur épingle du jeu. Ce que le cabinet Roland Berger décrit parfaitement :"Cette divergence des politiques économiques en zone euro a produit une partie des hétérogénéités aujourd’hui observables, que l’on peut qualifier d’anormales. Au Sud, la hausse trop rapide des salaires et l’insuffisant effort d’innovation ont participé à la désindustrialisation, aux pertes de parts de marché et à la polarisation de l’activité sur des services peu sophistiqués (services aux particuliers, construction, tourisme…).Au Nord, les excédents commerciaux allemands récemment critiqués par le Fonds Monétaire International et la Commission européenne résultent d’un excès d’épargne, attribuable à la déformation du partage des revenus au détriment des salariés dans le Nord."Mais cette divergence a également produit des effets de structure sur les économies des différents pays membres ; certains se spécialisent quand d’autres se diversifient. Alors que l’objectif de la zone est de parvenir à une homogénéisation, chacun renforce sa position précédente, dans son coin, comme peut le soutenir le centre d’analyse stratégique :"Le marché unique européen pousserait les pays les moins avancés de l’Union vers davantage de spécialisation tandis que le cœur de l’Union se renforce et se diversifie. Il s’ensuit que les pays périphériques sont davantage exposés en cas de choc". Et l’absence de coordination économique n’est pas seule à avoir participé au phénomène de divergence.L’effet boomerang des fonds structurels européens
En effet, un autre facteur économique est venu surprendre les auteurs du projet européen : l’effet pervers des fonds structurels européens. Afin de minimiser les divergences de développement entre les différentes zones, régions des pays membres, d’importants fonds européens ont été versés, majoritairement pour soutenir le développement des pays du sud, notamment au travers de dépenses d’infrastructures. Or, selon le centre d’analyse stratégique, le résultat a été contreproductif:"Si influence positive il y a, il semble que ce soient les régions qui étaient déjà développées qui en tirent le plus de bénéfices. Il semble donc qu’il existe un paradoxe sur l’effet des fonds structurels si l’on se fie aux enseignements de la nouvelle économie géographique : l’amélioration des infrastructures de transport et de télécommunications dans les régions défavorisées a pu jouer contre elles, facilitant les effets d’agglomération. En effet, un meilleur accès aux régions défavorisées induit une diversification de leurs sources d’approvisionnement et peut favoriser une plus grande concentration des structures de production dans les régions développées compte tenu des rendements d’échelle".
Les fonds structurels devaient permettre de désenclaver certaines zones géographiques du continent, et si le désenclavement a bien eu lieu, il a été fait au profit des régions les plus fortes, qui ont pu y trouver de nouveaux débouchés.