Il faut sauver Serge Atlaoui !

Publié le 22 juin 2015 par Sylvainrakotoarison

" Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs enfants) fut condamné à mort à Alger. Il s'agissait d'un ouvrier agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais aggravé son cas en volant ses victimes. L'affaire eut un grand retentissement. On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil monstre. Telle fut, m'a-t-on dit, l'opinion de mon père que le meurtre des enfants, en particulier, avait indigné. L'une des rares choses que je sache de lui, en tout cas, est qu'il voulut assister à l'exécution, pour la première fois de sa vie. Il se leva dans la nuit pour se rendre sur les lieux du supplice, à l'autre bout de la ville, au milieu d'un grand concours de peuple. Ce qu'il vit, ce matin-là, il n'en a dit rien à personne. Ma mère raconte seulement qu'il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s'étendit un moment sur le lit et se mit tout d'un coup à vomir. Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu'à ce corps pantelant qu'on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou. Il faut croire que cet acte rituel est bien horrible pour arriver à vaincre l'indignation d'un homme simple et droit et pour qu'un châtiment qu'il estimait cent fois mérité n'ait eu finalement d'autre effet que de lui retourner le cœur. " (Albert Camus, 1957).

C'est tôt ce matin du lundi 22 juin 2015, à cause du décalage horaire, que fut connue la décision de la cour administrative de Jakarta concernant la situation du Français Serge Atlaoui. Son président Ujang Abdullah a annoncé : " Nous rejetons le recours du demandeur. ". Le parquet de Jakarta a par ailleurs affirmé que ce recours était la dernière voie de recours à disposition de Serge Atlaoui. Aucune date n'a été encore arrêtée pour son exécution (il avait déjà échappé de peu à l'exécution le 29 avril 2015), et il semblerait qu'il ne serait pas exécuté avant la fin du ramadan.
Il s'agissait d'un recours fait par Nancy Yuliana, l'une des avocats de Serge Atlaoui, qui avait contesté le refus de la grâce présidentielle.
La position de Serge Atlaoui est donc à ce jour, on ne peut plus effrayante. Il a été condamné à mort pour trafic de drogue. La réalité est tout autre. Il avait accepté un travail illégal (au noir) bien payé (il avait des besoins d'argent) et pensait entretenir (il est soudeur) des machines destinées à la fabrication d'acrylique. Le fait est que ses employeurs étaient des producteurs d'ecstasy. Cela fait presque dix ans qu'il a été arrêté, et après avoir été condamné en première instance puis en appel à la réclusion criminelle à perpétuité, la Cour suprême indonésienne a aggravé sa peine en prononçant contre lui la peine de mort en 29 mai 2007.

Dans cette affaire, il y a plusieurs considérations qui s'imbriquent.
La souveraineté d'un grand pays
La première, c'est que la justice de l'Indonésie est indépendante des pressions étrangères et que le pays est démocratique. Le nouveau Président de la République, élu en été dernier dans un scrutin libre, Joko Widodo, a voulu se montrer intraitable dans la lutte contre le trafic de drogue et refuse systématiquement toute grâce concernant ce sujet. Il avait pourtant fait campagne sur les droits de l'Homme.
Delphine Alles, professeur à l'Université Paris-Créteil, a expliqué cependant en février dernier, la cohérence de celui qui veut avant tout afficher un nationalisme indonésien : " Je pense qu'il n'y a pas d'incohérence entre la position de Jokowi [Joko Widodo] aujourd'hui sur la peine de mort, et la dimension souverainiste de sa campagne et de son parti. Ces exécutions relèvent selon lui de l'application de la loi indonésienne, et il estime que céder aux injonctions de gouvernements occidentaux souhaitant épargner leurs citoyens serait une abdication inacceptable de la souveraineté nationale. Par ailleurs, l'opinion publique est largement favorable à la peine de mort pour le trafic de drogue. Le fait de gracier ces condamnés aurait été perçu comme un signe de faiblesse au moment où le Président, dont la popularité est en baisse, cherche à affirmer son autorité. Leur exécution lui permet au contraire de donner l'image d'un Président fort notamment face aux pressions extérieures, raison pour laquelle sa position s'est durcie au fur et à mesure que les demandes de grâce s'intensifiaient. " ("Le Monde" du 9 février 2015).
Des réactions éloquentes de la "fachosphère"
Le deuxième point a trait justement au souverainisme et il n'y a pas loin de voir sur les sites Internet francophones des réactions assez affligeantes à propos de cette malheureuse nouvelle. Il suffit d'ailleurs de commencer une recherche sur Google en mettant uniquement le nom "Atlaoui" pour comprendre que le premier mot associé proposé est "juif" et on peut lire des commentaires ou des billets particulièrement puants et antisémites, considérant que le sort de Serge Atlaoui serait un bienfait et qu'il représenterait l'anti-France.

Au-delà de l'antisémitisme condamnable (par les tribunaux français), il y a aussi une grosse bêtise à tenir de telles réflexions. Richard Sédillot, l'un des avocats de Serge Atlaoui, déclarait ainsi en février dernier : " C'est un bon ouvrier, un bon père de famille, un bon musulman. Il n'a jamais tenu de propos désobligeant envers la justice indonésienne, en qui il garde confiance. " ("Le Monde" du 9 février 2015). D'où vient alors cet antisémitisme sans jamais larvé qui n'attend qu'une occasion supplémentaire pour se déverser en bile sur tout le Web ?
Trafiquant de drogue à 2 000 euros par semaine
Mais évidemment, la religion n'a rien à voir à l'affaire. Le troisième élément, c'est sur les faits et sa culpabilité. À l'évidence, il a fait preuve de beaucoup de légèreté avec la loi, il savait que le travail qu'on lui avait proposé aux Pays-Bas était illégal puisque payé au noir, et bien payé pour son métier d'ouvrier, mais c'est différent d'être un trafiquant de drogue : " Le type de machines sur lesquelles il travaillait est très courant, notamment dans l'industrie cosmétique. " (Richard Sédillot).
D'ailleurs, Serge Atlaoui a compris assez vite qu'il fallait s'en aller mais s'est retrouvé piégé : " Sur place, il réalise que l'ambiance est délétère et demande à rentrer. Mais il ne disposait pas de la somme nécessaire pour son billet d'avion, et ses employeurs l'ont contraint à finir son travail. " (Richard Sédillot).
Ce qui est d'ailleurs étonnant, c'est que ses employeurs (les premier responsables), indonésiens, ont été eux aussi arrêtés et condamnés, mais seulement à vingt ans de prison alors qu'ils auraient directement participé à la confection des pastilles d'ecstasy. Pourquoi une telle différence de traitement alors que Serge Atlaoui n'a eu qu'un rôle subalterne de maintenance de machines ?
En finir avec la peine de mort dans le monde
Enfin, le quatrième point, essentiel celui-ci, concerne la peine de mort. Même si la culpabilité était prouvée, même si la souveraineté de l'Indonésie est effectivement indépendante, cela resterait un scandale non seulement d'exécuter une personne à mort mais aussi, avant, de la condamner à mort.

Cette protestation contre cette condamnation à mort n'est pas là parce que c'est un Français et parce que c'est en Indonésie. Il était aussi scandaleux d'avoir procédé aux exécutions du 29 avril 2015, et c'est aussi scandaleux les exécutions nombreuses commises aux États-Unis, mais aussi en Iran, en Arabie Saoudite et en Chine, pour n'évoquer que les grands pays, tout comme est scandaleux la possibilité juridique de condamner à mort un enfant de 7 ans aux îles Maldives (réfléchissez bien avant de choisir vos vacances) et de prononcer des condamnations à mort collectives sans étudier la responsabilité individuelle de chacune des personnes mises en cause en Égypte.
Que faire pour sauver Serge Atlaoui ?
Il ne s'agit pas de glorifier Serge Atlaoui, il n'est pas un héros, il a commis des fautes graves, mais il s'agit de sauver sa vie, et avec sa vie, de sauver aussi la vie de tous les condamnés à mort partout dans le monde.

Malheureusement, je crains que de nouveaux recours judiciaires soient désormais impossibles. Alors, même si, intellectuellement, c'est peu satisfaisant de l'envisager, il me semble que la dernière et seule voie de recours capable encore de sauver Serge Atlaoui est la voie diplomatique.
Je ne suis pas sûr que ceux aujourd'hui en charge de la diplomatie française soient suffisamment habiles et discrets pour éviter de renforcer l'inflexibilité d'un Président démocratiquement élu d'une grande puissance économique et politique de l'Asie.
Cela fait pourtant trente-six ans qu'aucun citoyen français n'a été exécuté dans un pays étranger. "Le Figrao" avait recensé le 22 avril 2015 les Français qui étaient condamnés à mort à l'étranger par une juridiction souveraine. Il y en aurait actuellement huit : Serge Atlaoui, très médiatisé ; mais aussi Chan Thao Phoumy, condamné à mort le 7 août 2010 par le tribunal intermédiaire de Canton pour trafic de drogue en Chine ; Jean-Marc Thivind, condamné à mort en 2009 pour meurtre en Thaïlande, puis acquitté en 2011 et en attente d'un troisième procès à Bangkok (il clame son innocence) ; Michaël Legrand, condamné à mort en 2001 pour meurtre aux États-Unis ; Adil Al-Atman et Hakim Dah, condamnés à mort le 9 mars 2012 pour l'attentat meurtrier de Marrakech du 28 avril 2011 (dix-sept morts) au Maroc, mais le Maroc n'exécute plus de condamnés à mort depuis 1993 ; le nom des autres condamnés à mort français n'aurait pas été communiqué par le Quai d'Orsay.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les droits de l'Homme.
Encore la peine de mort.
Chaque vie humaine compte.
Rapport d'Amnesty International "Condamnation à mort et exécutions en 2014" (à télécharger).
Il n'y a pas d'effet dissuasif de la peine de mort (rapport à télécharger).
Serge Atlaoui.
Peshawar, rajouter de l'horreur à l'horreur.
Hommage à George Stinney.
Pourquoi parler des Maldives ?
Maldives : la peine de mort pour les enfants de 7 ans.
Pour ou contre la peine de mort ?
La peine de mort selon François Mitterrand.
La peine de mort selon Barack Obama.
La peine de mort selon Kim III.
La peine de mort selon Ali le Chimique.
Troy Davis.
Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
Flou blues.
Pas seulement otage.
Pas seulement joggeuse.
Nouveau monde.
Le 11 septembre 2001.
Chaos vs complot.

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150622-atlaoui.html
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/il-faut-sauver-serge-atlaoui-168844
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/22/32255788.html