C’est un bestseller qui a atteint la tête du palmarès du New York Times quelques mois après sa sortie, l’autobiographie d’une auteure déjà amplement reconnue et la source d’une récente adaptation cinématographique par l’actrice oscarisée Reese Witherspoon. Et pourtant, nous parcourons les lignes de ‘Wild’ comme une confession que nous serions les premiers à recueillir, et à laquelle nous nous retrouvons de ce fait profondément, viscéralement attachés.
Jeune femme durement éprouvée par la vie, Cheryl a traversé à l’âge de vingt-six ans plus d’épreuves que de printemps : les coups de son père alcoolique, la mort de sa mère qui occupait le centre de son univers, l’éloignement de son mari qu’elle chérissait mais ne parvenait pas à aimer comme cela se devait… Brisée, désabusée, elle va aller jusqu’à changer son nom de jeune fille pour « Strayed », signifiant « errant » en anglais. Un épithète si juste dans son cas, un mot parfait pour désigner ce qu’elle était devenue.
Cheryl Strayed I wrote repeatedly down a whole page of my journal, like a girl with a crush on a boy she hoped to marry. Only the boy didn’t exist. I was my own boy, planting a root in the very center of my rootlessness. //
Cheryl Strayed j’écrivais sans relâche sur une page entière de mon journal, comme une fille qui aurait un coup de cœur pour un garçon qu’elle espérait épouser. Seulement le garçon n’existait pas, j’étais mon propre garçon, plantant une racine au beau milieu de mon manque de repères.
Après l’héroïne, l’adultère, l’avortement, l’abandon de ses études, marcher se présente à elle comme le chemin vers la rédemption, pour redevenir enfin « la fille de sa mère ». Elle décide alors de partir seule trois mois parcourir une portion du Pacific Crest Trail (un parcours de randonnée s’étendant du Mexique au Canada et traversant neuf chaînes de montagnes). Complètement inexpérimentée, la blonde orpheline part armée d’un sac à dos si lourd qu’elle ne parvient pas à le soulever à bout de bras – elle finira par lui attribuer le sobriquet de « Monster » –, se jettant à corps perdu dans cette aventure qui lui coûtera six ongles de pied, l’épiderme de ses épaules et bien plus encore. Des blessures superficielles pour panser des plaies bien plus profondément ancrées.
Ce livre n’est pas qu’un simple récit de voyage ; pas question d’un quelconque « Mange, prie, aime » doucereux vantant les vertus des pâtes italiennes et de la bicyclette indonésienne. Non, c’est une autobiographie semée de brûlures, de pieds décharnés et d’une faim insatiable. Aussi de rencontres, plus souvent bonnes que mauvaises, mais finalement rarement décisives. Ici, tout se fait seule.
Il est très déconcertant de découvrir l’isolement complet et la férocité de la nature qu’a pu affronter la narratrice. Et c’est en cela que cette autobiographie est différente : elle ne fait pas l’apologie de la « révélation » qui apparait après avoir côtoyé des êtres dans le besoin. Elle ne prône pas l’exotisme, elle n’édulcore en rien le trajet ni ses dangers. C’est finalement un livre très pragmatique, qui ne prétend pas prendre du recul sur une expérience hors du commun, sinon la retranscrire dans toute sa vérité.
I’d set out to hike the trail so that I could reflect upon my life, to think about everything that had broken me and make myself whole again. But the truth was, at least so far, I was consumed only with my most immediate and physical suffering. //
J’étais partie faire le trail afin de pouvoir réfléchir sur ma vie, penser à tout ce qui m’avait brisée et me refaire à neuf. Mais la réalité était que, du moins jusqu’à ce moment-là, j’étais uniquement préoccupée par ma souffrance la plus immédiate et physique.
A l’heure où le voyage est standardisé, surexploité, fruit d’un narcissisme sans pareil, il est bon de participer à une aventure réalisée pour elle-même, dans la poussière et la sueur, sans spectateur. La jeune femme s’engage dans un périple foncièrement intime, en l’honneur de sa mère et pour elle-même, sans plus.
Cette mère présente à chaque paragraphe, clairement évoquée ou seulement décelable, qui semble flotter en permanence dans la conscience de l’auteure. Cette mère unique, irremplaçable, aimante et forte, qui en mourant a détruit les fondations sur lesquelles s’était ancrée sa fille. Tout au long du récit, nous observons comment Cheryl Strayed parvient, non sans heurts, a accepter le départ de cet être si fondamental pour elle. Et à retrouver un terrain propice où plonger ses racines.
Grief doesn’t have a face. //
Le chagrin n’a pas de visage.
Classé dans:Livres Tagged: cheryl strayed, livre, marche, pacific crest trail, pct, randonnée, reese witherspoon, wild