Elle faisait le vide. Je faisais le plein. Nous avions tout pour nous rencontrer. Je ne me souviens plus qui avait apprivoisé l'autre en premier. Nous nous étions donnés le choix du prénom. Elle avait choisi Bob. J'avais opté pour Martha. Elle trouvait que ça m'allait bien, Bob. Je l'imaginais facilement en Martha, quoi que ce prénom me fut parfaitement inconnu. Elle était sur l'île depuis plus longtemps que moi. C'est au café du village que nous sommes d'abord croisés, ensuite aperçus. Deux silencieux qui boivent leur café en lisant les nouvelles du jour. Vous faites la paire, tous les deux ! m'avait glissé Pierrot, le patron du voilier à l'harmonica. Un drôle de nom pour ce troquet tout crado et plein de vieux machins où se rassemblaient les gens du coin et les touristes. Commander autre chose que de la bière était un peu louche mais les euros facilitent la compréhension.
C'est toute ma vie, le voilier et l'harmonica, m'avait un jour annoncé Pierrot. C'est là que j'ai appris qu'il était marin avant de se faire arracher un bras par un vorace mammifère marin. Je n'avais pas cillé quand il m'avait dit ça. Pas rien, un bras. Mais j'avais continué à l'écouter. C'est là que j'ai appris qu'il passait des nuits et des nuits sur le pont, avec son instrument. Par tous les temps. Question d'honneur. Car ce n'était pas n'importe quel instrument. Il l'avait toujours en poche il semblait usé de toutes parts, il produisait un son unique et personne n'avait jamais eu le droit de le toucher. Personne. Jamais.
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