L’obscolescence programmée, c’est une notion que l’on entend de plus en plus souvent depuis ces 5 dernières années. Dans l’imaginaire collectif elle représenterait le vilain industriel qui se ligue avec ses partenaires contre le gentil consommateur, en lui vendant des produits dont la date butoir serait déjà plus ou moins définie. C’est à cause de cette vision que beaucoup d’industriels crient au complot des écolos pour leur ruiner leur business.
Alors quid de c’est allégations? La réponse avec l’Écolo.com!
Pour commencer, cette jolie infographie du Courrier International
Obsolescence programmée : qu’est-ce que c’est?
Avant d’aller plus loin, donnons une première définition de ce concept. C’est l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Énergie) en 2012 qui en donne une définition parmi les plus reprises depuis:
« La notion d’« obsolescence programmée » dénonce un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique. »
Étude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques, Juillet 2012
On peut distinguer deux grands types d’obsolescence:
- Obsolescence fonctionelle, c’est à dire technique
- Obsolescence psychologique, liée aux effets de mode
Du côté de l’obsolescence fonctionnelle, on peut à nouveau différencier 4 types:
- Obsolescence de fonctionnement : c’est le coup de la panne, l’appareil arrête de fonctionner parce qu’un composant est défectueux. L’exemple le plus flagrant : une ampoule, des piles, non destinés à être réparés.
- Obsolescence indirecte : liée à un accessoire. Par exemple votre station d’accueil iPhone qui ne marche plus avec le 5 à cause de la connectique.
- Obsolescence d’incompatibilité : Quand vous voulez installer Windows 8 sur votre vieille bécanne et que ça ne marche pas.
- Obsolescence de service aprés-vente : si le service après-vente est inexistant et que vous ne trouvez pas de pièces de rechange ou que c’est aussi cher que d’en racheter un neuf.
Histoire de l’obsolescence programmée
Le concept d’obsolescence programmée est finalement inhérent à la société de consommation post révolution industrielle dans laquelle nous vivons.
Elle concerne aujourd’hui majoritairement les appareils électriques ou électroniques, même si on parle parfois d’obsolescence pour des vêtements par exemple. Avant l’avènement de notre société capitaliste, la consommation de biens n’était pas si présente. Beaucoup de choses étaient encore faites soi-même ou acheter à des fabricants qui avaient finalement peu de concurrence et donc aucune nécessité de forcer le consommateur à renouveller ses achats.
Le cartel Phoebus
La premiére initiative d’obsolescence programmée connue à un niveau industriel émane de ce que l’on appelle aujourd’hui le « Cartel Phoebus ».
Au début du XXème siécle, la lampe à bulbe, invention de Thomas Eddison quelques décennies plus tôt, possède une durée de vie de près de 2300h. On est alors au début de l’ère électrique et les ménages se dotent de plus en plus d’ampoules pour éclairer leur intérieur. C’est alors qu’en 1924, les industriels de l’ampoule (General Electric, Osram, Phillips…) décident de se réunir pour former un groupe d’échange d’initiative et de brevets, appelé Phoebus.
En lieu et place des échanges de brevets, ils préfèrent créer le « comité des 1000h », visant à travailler ensemble à la réduction de la durée de vie du produit. Le but affiché étant de favoriser la consommation sans porter préjudice aux collègues. Pour être sur que tout le monde joue le jeu, le comité met en place un système d’amende pour celui qui déciderait de commercialiser des ampoules de meilleure qualité.
L’ampoule reste aujourd’hui le seul produit où il est obligatoire d’inscrire la durée de vie sur l’emballage.
Crise économique et obsolescence légale
En 1932, un promoteur immobilier New-Yorkais, Bernard London, publie un manifeste d’une vingtaine de page appelé « Ending The Depression Through Planned Obsolescence« . Il est par la même occasion le premier à nommer le concept.
Nous sommes seulement 3 ans après le krach boursieur de 1929, l’économie américaine et mondiale est au plus mal. Bernard London propose ainsi de doper la croissance et la consommation en légalisant l’obsolescence programmée. Les industriels pourraient alors réduire la durée de vie des produits pour inciter les consommateurs à en racheter plus souvent.
À la même époque, Lewis Mumford, un historien américain sécialiste des technologies, va être le premier à dénoncer l’obsolescence programmée comme allant à l’encontre de « la perfection technique, de la durabilité, de l’efficacité sociale et, globalement, de la satisfaction humaine »
Obsolescence et courants économiques
De nombreux points de vue ont émergés par la suite, on retiendra notamment celui de deux géants de l’économie, Joseph Schumpeter et Kenneth Galbraith.
Galbraith dans son livre « L’Ère de l’Opulence » publié en 1958, va élaborer la notion de filiére inversée, à savoir que ce sont les entreprises qui imposent leur produits aux clients et non l’inverse. Il écrira beaucoup par la suite sur la technostructure, ou technocratie économique, cette poignée d’hommes à la tête des grandes entreprises technologiques qui peut se permettre d’imposer ses choix et par extension l’obsolescence programmée de ses produits.
Vous pouvez également regarder le film Prêt à jeter de Cosima Dannoritzer sur le sujet
Obsolescence programmée : pourquoi c’est mal?
Le premier point et peut-être le plus ennuyeux, c’est que nos appareils tombent en panne plus rapidement et qu’on en rachète plus souvent. C’est donc un cout monétaire d’une part mais aussi psychologique avec l’impression de s’être fait roulé dans la farine en achetant ce produit. L’impact que peut avoir un produit de mauvaise qualité sur l’image d’une marque est pourtant énorme.
Outre cette frustration du côté du client, si l’obsolescence programmée est vu d’un si mauvais oeil au niveau mondial, c’est surtout à cause de son impact environnemental. La preuve en chiffre:
- En 2014, le monde entier a produit 41,8M de tonnes de « e-déchets ».
- Les États-Unis et la Chine représentent à eux deux 32% des ces déchets.
- 60% sont des déchets éléctroménagers (frigo, lave-linge, lave vaisselle, petit électroménager)
- 7% sont des téléphones, ordinateurs, calculatrices etc.
- La France a produits 22,2kg de e-déchets par habitant en 2014
- Les déchets contiennent des ressources précieuses valorisées à 48 milliards d’€
- 2,2M de tonnes sont en revanche des composés toxiques (plomb, mercure, etc.)
- On estime que 2/3 des produits électroniques fabriqués ne rejoignent jamais un réseau de recyclage agréé dans l’OCDE.
La Convention internationale de Bâle sur le traitement des déchets dangereux interdit d’exporter des déchets vers des pays non-équipés pour les traiter de maniére écologique. Pourtant ces déchets profitent largement à l’économie souterraine (blanchiement d’argent, récupération de métaux précieux à bas cout) qui polluent largement, soit en se débarassant des cargaisons acquises en pleine mer, soit en traitant les déchets sans précaution environnemental, dans de grands hubs ou dans des décharges à ciel ouvert, sans aucune considération pour les travailleurs. Voici une carte pour vous donner une idée des flux
Le dernier élément problématique lié á cette obsolescence programée, c’est la consommation de ressources. La consommation mondiale ne cesse d’augmenter, or, comme nous venons de le voir, peu de ressources, précieuses ou non, sont recyclées. C’est donc une quantité phénoménale qui est gâchée chaque seconde pour produire l’ensemble de ces biens de consommations.
Parmi ces ressources, les terres rares sont les plus statégiques. Beaucoup d’appareils électroniques contiennent de ces métaux et autres composés minéraux que l’on ne trouvent qu’en quantité infime dans certaines endroits du monde. Aujourd’hui, la Chine est le premier producteur (95%), créant ainsi une énorme dépendance économique vis à vis des autres pays. Les zones d’Afrique, où l’on peut trouver des terres rares, sont quant à elle soumises à différents conflits armés qui rendent impossible une exploitation convenable. Les terres rares ont par ailleurs un taux de recyclabilité très faible, ce qui n’arrangent rien. Dans une étude du PNUE, sur 60 métaux étudiés (rares ou non), 34 ont un taux de recyclage inférieur à 1%.
Obsolecence programmée : la faute à qui?
On en revient ici à la fameuse théorie du complot. Dans l’imaginaire collectif, les méchants industriels seraient donc à la base d’un vaste complot visant à faire consommer plus les pauvres citoyens honnêtes que nous sommes. Vous vous doutez bien que si je le présente comme ça c’est que je ne suis pas tout à fait d’accord.
Si l’on réfléchie deux minutes à la problématique, qu’est-ce qui a incité les industriels à nous proposer des produits qui durent moins longtemps? Formulons le problème différemment, quel est le dernier appareil que vous ayez acheté et à quel prix, et quel est le dernier appareil qui vous ai lâché et quel en était le prix?
On commence à apercevoir ici le fond du problème. Prenons l’exemple d’une bouilloire (c’est le dernier en date qui m’a lâché). Si vous allez sur n’importe quel site de vente en ligne, vous trouverez des bouilloires pour la modique somme de 9,90€. C’est le prix d’un Mc Do! Qu’est-ce que vous voulez avoir pour ce prix là? Une bouilloire en plastique qui fonctionne le temps qu’elle pourra. Et puis quand elle tombe en panne, à ce prix là, vous ne réparerez pas.
Eh bien peut-être qu’il est là le problème. Pour vendre un produit à 9,90€ TVA incluse, vous pensez vraiment que l’industriel aura la marge de mettre des matériaux de grande qualité, résistant au temps? Si vous en doutiez, la réponse est non. À ce prix là, votre industriel se demande comment affiner encore plus le plastique et comment réduire le nombre de composant, la longueur du fil, la hauteur, la part de matériaux cher, etc. etc.
Dans la même veine, lorsque vous achetez des produits fabriqués en Chine ou plus généralement en Asie, où le coup de la main d’oeuvre est au raz des paquerettes, comment voulez vous espérer le réparer pour pas cher en France? Rien que le coup d’une heure de travail d’un réparateur couvrirait le coup du produit original. Dans ces cas là, moi je n’appelle pas ça de l’obsolescence programmée, j’appelle ça des choix de consommation.
Sachez tout de même, parce que je suis sympa, qe peu importe le produit, si vous l’achetez dans l’Union Européenne, vous bénéficiez d’une garantie légale automatique et gratuite de 2 ans, peu importe ce que le fabricant vous communique. Donc si vous pensez que votre garantie n’est plus valable, reportez vous à la date d’achat et comptez deux ans. Le fabricant ne sera pas forcément tenu de réparer votre produit mais au moins de le replacer grauitement (ce qui ne change rien au problème)
Quelles sont les solutions?
Du côté des particuliers
Parce qu’il faut que je reste tout de même positive, il existe plusieurs solutions pour lutter à son échelle contre l’obsolescence programmée et le gâchis de déchets qu’elle entraine.
La premiére des choses c’est bien de revoir ses choix de consommation. Acheter peut-être plus cher mais plus robuste, réparer quand c’est possible, sinon pensez à recycler au maximum. De plus en plus d’ateliers indépendants et collaboratifs ouvrent leur porte pour inciter les consommateurs lambdas à réparer leurs produits. C’est notamment vrai pour le vélo et les voitures. Pour les petits et gros électroménagers, les initiatives commencent à poindre le bout de leur nez avec par exemples deux ateliers de réparation ouverts respectivement il y a deux mois et 15 jours, en Dordogne et à Limoges. L’avantage est double, vous réparez votre produit et ça vous coute moins cher.
Du côté du recyclage, les industriels sont maintenant tenus de récupérer vos petits électroménagers gratuitement. Pour les plus gros, cette obligation chez un distributeur ne vaut que si vous rachetez un appareil neuf. C’est tout de même un pas important. par ailleurs, de plus en plus de réseaux se créent, comme le réseau Eco-Système gouvernés par les fabricants et distributeurs et qui collecte les déchets électriques et électroniques à travers 10 500 points de collecte.
Du côté des industriels
Du côté des professionnel, on commence à développer les concepts d’écoconception et d’économie circulaire aussi représentée par la notion de « cradle to cradle » autrement dit « du berceau au berceau ». Explication en image:
Le principe majeur de ces concepts réside dans l’analyse du cycle de vie du produit pour en réduire au maximum l’empreinte et permettre de lui redonner une deuxième vie. Plusieurs produits sont certifiés cradle to cradle, par exemple les produits d’entretien de la marque Method. Les composés sont entièrement biodégradable, les emballages conçus à partir de plastique recyclé et recyclable et beaucoup d’entre eux proposent des recharges. Vous allez me dire « rien à voir avec l’éléctronique! », certes mais source de déchets quand même et puis quand votre flacon est vide et non rechargeable, c’est aussi une forme d’obsolescence.
Du côté des produits électronique ou électroménagers, je voudrais vous présenter deux initiatives:
La premiére concerne la téléphonie mobile. Il s’agit du Fairphone
Fairphone est une entreprise néerlandaise qui développe un smartphone alternatif axé sur la transparence et la lutte contre l’obsolescence programmée. Leur nouvelle génération est conçue pour être facilement réparable. Les pièces de rechanges de la première génération sont disponibles en ligne sur l’e-shop, accompagnées de tutoriels avec images pas à pas, pour réparer soit même sont téléphone et en prolonger la durée de vie.
Le dernier axe de progrès en date réside dans un OS libre de droit pour faciliter le développement et l’accès aux applications. Par ailleurs la plupart des terres rares qui entre dans la composition du téléphone, sont issues de source « sans conflits ».
La deuxième initiative concerne le petit électroménager et notamment l’univers du café. La société Malongo a développé la machine à café Ek’oh, une machine réparable à l’infini avec sa construction en modules clipsables. Elle est fabriquée en France, ne perd pas de chaleur et ne consomme de l’électricité que quand elle fait un café. Pour finir, les capsules Malongo sont à 100% en fibre naturelle biodégradables, ce qui est bien différent des capsules en aluminium Nespresso dont l’impact environnemental n’est plus à prouver…
Du côté des legislateurs
En France, le projet de loi sur la transition énergétique comporte un volet sur l’obsolescence programmée. En octobre 2014, L’Assemblée Nationale avait validé un certain nombre de point en première lecture. Le Sénat a cependant modifié l’article concerné qui doit être relu par l’Assemblée. L’entrée envigueur n’est donc pas pour demain.
En gros cette loi prévoit 2 ans d’emprisonnement et 300 000€ d’amende maximum pour une entreprise qui réduirait sciemment la durée de vie de son produit par un stratagème (fragilité, défaut, puce électronique, etc.)
Or, tout le problème de ce projet de loi c’est son application, et ce pour deux raisons:
- Comment prouver que la durée de vie a été raccourcie? : il faudrait pouvoir définir une durée de vie « normale », ce qui parait compliqué étant donné la variété de gammes qui existe pour chaque produit
- Comment prouver que l’entreprise a SCIEMMENT réduit cette durée de vie? Il parait compliqué aujourd’hui de trouver des preuves matérielles d’un sabotage du produit. Beaucoup de pannes s’expliquent par le choix de matières bon marché, pour réduire le prix, et non par une manigance des industriels pour sciemment réduire la durée de vie
Par ailleurs, le fait de punir les industriels, c’est ignorer la responsabilité des consommateurs dans le choix de produits à bas prix. On en revient à toute l’hypothèse de Galbraith, est-ce l’industriel qui répond aux besoins du consommateurs ou qui impose ses produits? Si les consommateurs n’achetaient plus de produits bon marché et préféraient des produits avec une garantie de qualité plus importante, nous n’en serions peut-être pas là. À l’inverse, il est vrai que peu d’entreprises proposent ce genre de produits, ne laissant aucun choix au consommateur, c’est le serpent qui se mord la queue…
Je vous laisse méditer sur le sujet avec la vidéo de l’épisode de Cash investigation consacrée à ce thème.