➜ Selon la rumeur, Guillaume Pepy souhaite quitter la direction de la SNCF. Est-ce un bon président ?
Comme dans toute mandature, il y a du pour et du contre, mais globalement je pense que oui. Sous son égide, la SNCF s’est transformée sur un plan commercial et tarifaire. Évidemment, il y aura toujours des nostalgiques qui regretteront les prix au kilomètre. Mais, il y a aussi des consommateurs qui plébiscitent un choix tarifaire assez large avec des écarts de prix spectaculaires. L’initiative d’une stratégie low cost avec OUIGO est incontestablement une bonne idée pour mettre le train à la portée de toutes les bourses. La flexibilité tarifaire est souvent associée à des activités dans lesquelles la production ne se stocke pas. Il faut absolument réduire le risque du siège vide. En résumé, la SNCF a fait preuve de modernité et d’imagination sous la présidence de Guillaume Pepy. En revanche, ce que le président de la SNCF n’a pas fait, c’est engager le chantier essentiel des gains de productivité. De ce point de vue, l’échec est radical. Rien de significatif n’a été fait. En matière de productivité, la SNCF reste à des années-lumière du secteur marchand.
➜ La dette de SNCF Réseau (ex-Réseau Ferré de France), frôlait les 37 milliards d’euros en 2014. Que vous inspire le montant de cette ardoise ?
Pour redresser ses comptes, la SNCF a deux options : augmenter les tarifs ou réaliser des gains de productivité. C’est évidemment la seconde option qu’il faut privilégier : 35 % de productivité sont à gagner si l’on veut que la SNCF reste sur les rails. Pour atteindre cet objectif, il faudra trancher dans les effectifs de l’encadrement. La bedaine de la SNCF, ce sont ses cols blancs. Les cadres représentent 40 % de l’effectif de l’entreprise. On en recense près de 120 000. C’est beaucoup trop ! De même, la gestion du temps de travail doit être repensée. Les salariés de la SNCF ne travaillent pas assez. Il faut abolir les 35 heures. On estime que, confiés à une société de maintenance privée, les coûts d’entretien du réseau seraient abaissés de 30 à 40 %. C’est tout dire. La marge de progrès est phénoménale.
Je pense qu’il s’agit d’une opération cosmétique. En 1997, l’Europe a demandé à la France de séparer le gestionnaire des infrastructures et l’opérateur de service pour favoriser la concurrence. Réseau Ferré de France (RFF) a été créé avec pour charge de gérer ces infrastructures.
Ces deux entités ont été séparées dans des conditions peu sincères. RFF, à qui incombe la planification des investissements et l’attribution des horaires, a surtout servi à recycler une partie de la dette SNCF. Près de 20 milliards d’euros ont été transférés. Tout a été fait pour désendetter la SNCF.
Elle était, par exemple, propriétaire des gares et de leur activité commerciale, quand RFF s’occupait de la gestion des verrières et des quais, des activités peu lucratives… RFF a aussi été chargé du financement partiel de plusieurs lignes de TGV, ce qui a achevé de le plomber. Il n’est donc pas étonnant que sa dette se soit creusée à toute vitesse.
En 2014, avec la réforme ferroviaire, les pouvoirs publics ont décidé de rapprocher les deux entités en créant une nouvelle usine à gaz. A sa tête, on trouve un EPIC* (la SNCF) qui en chapeaute deux autres : SNCF Réseau qui réunit les agents de RFF, ceux de la branche infrastructures de la SNCF et ceux de la circulation, et SNCF Mobilités, qui agrège les autres salariés du groupe. Il aurait été plus simple de réunir tout ce petit monde au sein de la même structure.
« Structurellement déficitaire, la SNCF préfère augmenter ses tarifs plutôt que de réduire ses coûts. Elle a fait le second choix pour que ses salariés conservent des privilèges sociaux indécents. »
➜ Pourquoi l’État a-t-il dessiné une structure aussi complexe ?
Notamment parce qu’une structure plus simple aurait mis en évidence des chiffres que l’État veut masquer, comme la gestion des effectifs et la productivité au travail. Pire : cette réforme ne permet pas de réduire les coûts sociaux puisque les salariés qui sont transférés d’une coquille juridique à l’autre conservent leur statut et leurs avantages.
➜ Les hausses constantes des tarifs de la SNCF sont-elles justifiées ?
Non. Proportionnellement, l’avion coûte aujourd’hui moins cher que le train, car les compagnies aériennes ont su se réformer pour dégager des gains de productivité, une révolution copernicienne que la SNCF n’a pas encore engagée. Résultat, on en est arrivé à une situation ubuesque, car, sur un Paris – Marseille par exemple, un billet d’avion coûte aujourd’hui souvent moins cher qu’un billet de train !
Structurellement déficitaire, la SNCF à deux moyens pour faire payer ses billets à leur juste prix : réduire ses coûts ou augmenter ses tarifs. Elle a fait le second choix pour que ses salariés conservent des privilèges sociaux indécents. Leurs retraites, par exemple, sont abondées par le régime général à hauteur de 3 milliards d’euros par an. On se fiche du monde.
La liste est longue. Interminable. Je citerai notamment un temps de travail inférieur au privé, des conditions de départ à la retraite et d’indemnisation plus favorables que dans le secteur marchand, une grille d’avancement sur mesure, et une grille hiérarchique multipliant les petits chefs à l’infini sans souci de productivité.
➜ Quelles sont les conséquences de cette inflation de petits chefs ?
Une complexité croissante, énorme, dévorante. La division entre SNCF et RFF a entraîné des doublons en matière d’emplois et de structures de décision. Le regroupement des personnels sous la coiffe de trois EPIC ne simplifiera pas la donne. Cette complexité est une sorte de poison. Souvenez-vous de l’affaire des quais trop étroits pour accueillir les nouveaux TER. Même si cette affaire a été montée en épingle, il y a eu un dysfonctionnement, un manque de coordination entre les différentes entités du groupe. Cette complexité organisationnelle, accrue par le management parasite dont je parlais plus haut est devenue un boulet pour la SNCF. Elle doit impérativement simplifier son système de gouvernance. On considère généralement que plus une entreprise est grosse, plus elle devient efficace. Ce n’est pas le cas de la SNCF dont le modèle est trop complexe pour profiter des effets de synergie liés à sa taille.
« Les syndicats usent et abusent de leur pouvoir de nuisance extraordinaire »
➜ La SNCF est-elle réformable ?
La SNCF c’est le paradigme d’une entreprise qui vit en situation de cogestion. En sortir sera très difficile. Prenez l’exemple de Radio France. C’est aussi une entreprise engluée dans la cogestion. Elle n’arrive pas à changer de modèle. Les syndicats se comportent comme une instance de gouvernance. La SNCF est dans une situation comparable. Dès qu’elle tente de se moderniser, les syndicats déclenchent une grève et ce sont les voyageurs qui trinquent. Il suffit que 10% d’entre eux cessent le travail pour que des millions de salariés restent à quai. C’est un pouvoir de nuisance extraordinaire, dont les syndicats usent et abusent lors d’interminables mouvements de revendication coûtant des milliards d’euros à la collectivité et aux contribuables.
Cette emprise syndicale est le résultat des méthodes de recrutement qui ont prévalu à la Libération. A cette époque la CGT a, en quelque sorte, joué le rôle du DRH de la SNCF. Elle était associée au processus de recrutement des candidats en justifiant cette influence par son action dans la résistance.
➜ Que faut-il réformer ?
Ce qui est nécessaire, c’est-à-dire revenir sur les 35 heures pour obtenir des gains de productivité, revoir la gouvernance, faire tomber les privilèges… tout en sachant que ces réformes provoqueront un conflit social dont il sera impossible de faire l’économie.
➜ Que pensez-vous de la gestion du RER ?
➜ Les collectivités publiques doivent aujourd’hui 1,35 milliard d’euros de créances non payées à SNCF Réseau. Quel est votre commentaire ?
Il faut garder en mémoire qu’environ 50% du coût de développement des lignes à grande vitesse est financé par de l’argent public, dont une bonne partie à la charge des collectivités locales. En contrepartie de ce financement, elles ont obtenu que les TGV renoncent à ce qui était leur mission initiale : relier des zones de chalandise de plus d’un million de personnes, le plus rapidement possible et sans escales.
Aujourd’hui, les TGV s’arrêtent un peu partout et la SNCF souhaite diminuer le nombre de ces arrêts. Du coup, certaines collectivités regimbent à verser ce qu’elles doivent. C’est notamment le cas sur la ligne Paris- Bordeaux où certaines collectivités attendent de voir comment elles seront desservies avant de mettre la main à la poche.
Ce n’est pas le seul problème : c’est aux régions qu’incombe de gérer les TER. Le coût au kilomètre est en France presque le double de celui constaté en Allemagne. Avec la baisse des dotations aux collectivités locales, certaines risquent d’avoir de plus en plus de mal à tenir leurs engagements, la gestion des TER étant, par ailleurs, catastrophique, dans certaines régions. La facture risque donc de s’allonger, les retards de paiement étant aussi un moyen de pression politique des collectivités locales contre l’État.
➜ Quelles seraient vos premières mesures si vous étiez nommé PDG de la SNCF ?
Je m’emploierais à renégocier l’ensemble des accords sociaux autour d’un accord d’intelligence économique. Par ailleurs, je développerais le yield management (ou tarification en temps réel, NDLR) afin d’optimiser la gestion des places disponibles tout en pratiquant une politique de prix encore plus radicale. Je pense que la SNCF aurait intérêt à faire une offre spécifique pour le monde des affaires. Elle inclurait notamment un service de porte-à-porte, une première classe permettant de travailler sans être dérangé par le va-et-vient continu des voyageurs, des salles de réunion, des bureaux… Il faut que la SNCF développe une option Business comme l’on déjà fait la plupart des compagnies aériennes.
Propos recueillis par Didier Laurens
« SNCF : un scandale français » de Pascal Perri, éditions Eyrolles, avril 2009 – 113 pages, 15,20 €.
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