Zadie Smith est née dans le nord-ouest de Londres, donc ceux du nord-ouest, elle les connait bien et elle va nous les faire découvrir à travers quatre personnages principaux, Leah et Natalie principalement, Felix et Nathan qui se sont plus ou moins connus durant leur enfance et qui sont aujourd’hui des adultes ayant connu des destinées diverses. Leah, une rousse d’origine irlandaise sans enfants, travaille pour la mairie, Natalie – d’origine jamaïcaine - quand elle était une gamine et s’appelait encore Keisha (même démarche de changement de prénom que l’écrivaine ?), était la meilleure amie de Leah, aujourd’hui elle est mariée avec deux enfants et elle a un bon job d’avocate. Leurs voies ont divergé et même si géographiquement elles ne sont pas éloignées, elles vivent dans des mondes désormais séparés. Felix et Nathan eux, connaissent des destins plus tragiques, les drogues, la rue et pire encore pour l’un d’eux…
Le roman est terriblement dense et aborde à peu près tous les problèmes sociétaux de notre époque dont une longue liste n’épuiserait pas toutes les pistes : la mixité raciale et la place des minorités de couleur dans la société anglaise, les riches et les pauvres, la toxicomanie et ses corollaires, arnaques et déchéance, le conflit des générations complexifié dans le cas des enfants de parents d’immigrés, ceux qui se battent pour évoluer dans la vie et d’autres non, le sexe et ses dérivés, la pornographie et le désir – ou non – d’enfant chez les femmes, etc. Avec une sorte de moralité finale « Parce qu’on a travaillé plus dur (…) qu’on ne voulait pas se retrouver à frapper chez les autres pour faire la manche. On voulait s’en sortir. (…) Les gens ont généralement ce qu’ils méritent. »
Il ne s’agit pas d’un roman avec un début et une fin mais de tranches de vie(s), reliées les unes aux autres avec une maîtrise impressionnante par Zadie Smith. La narration est touffue, le plan du bouquin déroutant, les personnages secondaires nombreux, les repères chronologiques ne s’expriment que par des détails (une chanson à la mode, un volcan en éruption qui bloque le trafic aérien…) et le style de l’écrivain – ou les styles ? – varie selon les chapitres. Parfois récit, souvenirs, pensées des héros, bribes de dialogues se mêlent et s’enchaînent sans ponctuation distincte, parfois le texte est très classique dans sa forme mais des explications de situations ne viennent qu’à postériori. Le lecteur est bousculé, sorti de sa routine de lecture habituelle et doit toujours rester vigilant pour ne pas être largué. Et c’est bon.
J’entendais dire beaucoup de bien de Zadie Smith depuis longtemps mais je ne l’avais jamais lue ; aujourd’hui je comprends ces louanges, il s’agit d’un grand écrivain de vraie littérature !