quand un pêcheur de morues rentre du grand Nord

Publié le 21 juin 2015 par Dubruel

~~d'après LE RETOUR , de Maupassant

Jeanne avait épousé en premières noces Quentin Desbrosses, Un pêcheur de morue, Qui, du Grand Nord, n'est jamais revenu. De lui, elle avait trois enfants.

La sachant travailleuse et docile, Un pêcheur de Lorient, Jean Louvet, veuf avec un fils, La prit pour femme en 1866.

Un beau jour d'avril, Une fille de Jeanne, âgée de neuf ans, Appela sa mère soudain :

-" M'man ! "

-" Qué qu' t' as ? "

-" Le r'voilà ! " Elles étaient inquiètes depuis le matin Parce qu'un vieux miséreux Rôdait autour de leur habitation, Fixant les yeux Sur Jeanne et sa maison. La fillette reprit :

-" On dirait Qu'i' nous connait. " Jeanne saisit une pelle et sortit :

-" Qué que vous faites ici ? " Demanda-t-elle au vagabond. Celui-ci répondit d'une voix enrouée : -" J' vous fais-ti du tort, oui ou non ? "

-" Pourqué qu' vous êtes quasiment en espion D'vant not' maison ? " L'homme lui répondit :

-" C'est-i point permis ? " L'homme s'en alla lentement Mais revint dans la soirée. Quand Louvet fut rentré, On lui dit la chose. Il répondit :

-" C'est quéque fouineur Ou quéque malicieux. " Jeanne, elle, craignait ce rôdeur Aux yeux curieux. Le lendemain, la fille aînée Qui revenait De la boulangerie Cria en arrivant :

-" Le r'voilà, m'man ! " La mère demanda à son mari :

-" Va li parler, Louvet. " Il y est allé.

-" Vous v'nez d'où, d'abord ? "

-" De Terre-Neuve, du Nord. "

-" Ousque vous allez ainsi ? "

-" J'allais t'ici. "

-" Vous y connaissez quéqu'un ? "

-" Ça s'peut ben. "

-" Êtes-vous d'ici ? "

-" J' suis d'ici. "

-" Comment qu' vous vous nommez ? " Il répondit sans lever le nez :

-" J' me nomme Quentin. " Les filles et leur mère S'approchèrent Alors du vagabond. Et Jeanne, secouée soudain D'un étrange frisson, Prononça d'une voix troublée :

-" C'est-y té mon homme ? "

-" C'est mé. "

-" Mon homme, te v'là ! " Considérant les deux filles, Quentin demanda :

-" C'est-i' les miennes ? "

-" C'est les tiennes. "

-" Qu'a sont grandes, Bon Dié ! " Et il ajouta : " Je n' veux pas T' faire tort, Louvet. Mais tout d' même, c'est contrariant, Vu la maison et mes trois éfants. "

Jeanne embrassa Quentin sur son bonnet. Et dit à ses enfants :

" Baisez vot' pé. " Et lui, instinctivement Les embrassa d'un gros bécot paysan.