Non, je ne suis pas retourné en l'Alsace depuis mai dernier. C'est juste que je n'ai toujours pas fini de raconter les visites effectuées là-bas. Pour pas mal de mes lecteurs plutôt portés sur la cuisine, ce ne serait pas bien grave si je n'en parlais pas. Mais ce ne serait pas très correct pour les vignerons qui ont pris le temps de me recevoir chez eux.
Depuis deux ans, je suis avec intérêt les aventures viti-vinicoles de Florian Beck-Hartweg à travers ses récits sur LPV. Si le domaine familial a commencé la conversion en bio avant qu'il ne reprenne les rênes, on sent que le jeune homme veut aller beaucoup plus loin que la simple exclusion des produits chimiques. Il y a une démarche plus globale, prenant compte du fonctionnement de la vigne et de son environnemmment.
Cela démarre déjà par la taille. Depuis deux ans, il s'est formé et converti à la méthode "Poussard" qui permet à la sève de mieux circuler dans le pied, limitant ainsi les maladies du bois. Florian a déjà pu constater qu'il avait moins d'Esca auparavant. Par ailleurs, la taille de chaque pied est raisonnée en fonction de sa vigueur. Cela demande plus d'attention, mais le résultat en vaut la peine.
La vigueur de la vigne est aussi maîtrisée par un travail du sol très pointu. Evidemment, le désherbage, chimique ou non, est exclu. Mais aussi le labour car il bouleverses les différents horizons. L'aération des sols se pratique donc avec des disques métalliques verticaux qui les scarifient sans les retourner. Quant aux herbes, elles ne sont ni tondues, ni fauchées, mais écrasées lorsqu'elles ont produit leurs graines par un rolofaca.
Un paillage naturel est ainsi créé, avec de multiples avantages : maintien de l'humidité et de la fraîcheur, plus de diversité végétale, meilleure décomposition (et donc plus d'humus). Et non repousse de l'herbe car elle est allé jusqu'au bout de son cycle et n'a pas été stimulée par une coupe. Le résultat : une terre moelleuse, riche en matière décomposée, favorisant une meilleure gestion hydrique. C'est un plaisir de marcher dessus ... et il sent bon !
Aussi Florian n'a pas besoin d'apporter le moindre fertilisant. La Nature s'en charge ;-)
Alors qu'à quelques mètres de là, les sols en "conventionnel" semblent bien peu vivants...
J'ai omis de le préciser jusqu'à maintenant, mais nous sommes sur le Frankstein qui domine Dambach-la-Ville. Ce Grand Cru (55 ha) est composé de quatre coteaux granitiques successifs, exposés sud-est. Comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, ce granit rose à deux micas est friable, formant un sable grossier (= arène granitique) qui se réchauffe facilement, facilitant une maturité précoce des raisins.
Voilà une carte qui situe les différentes parcelles du domaine
Le chai/cuvier est en sous-sol, ce qui permet d'entonner les fûts et les foudres par gravité (selon le volume de chaque parcelle). Pas de sulfitage ni de levurage. La fermentation se fait à son rythme (entre deux mois et ... un an pour les blancs secs). Il n'y a pas vraiment raison de s'inquiéter puisque le gaz carbonique qui se forme protège les moûts. Après, il ne faudrait pas que tout traîne un an ... car il deviendrait difficile de vinifier la vendange suivante. En fait, une bonne partie des vins est embouteillable dès la fin du printemps. Florian teste préalabement la résistance à l'air de ses vins afin de décider de la dose (ou de l'absence) de sulfites. Pour l'instant, les vins sans sulfites ajoutés sont encore minoritaires dans sa gamme. Mais Florian s'enhardit de plus en plus sur le sujet, avec des résultats très convaincants.
Un robinet de dégustation traditionnel
Avec Mathilde, sa compagne, muse et collaboratrice
Nous avons dégusté les vins encore en foudres, puis en bouteilles. Pour une fois, pris par l'ambiance, plus amicale que professionnelle, je n'ai point pris aucune note. Je me suis contenté de les apprécier, l'un après l'autre. Que dire, tout de même ?
Que tout est au minimum bon, souvent très bon, voire très très bon. Ce qui m'a le plus marqué, c'est cette empreinte du Frankstein sur l'ensemble des vins du domaine, quels que soient les cépages (rouge ou blancs). Tous ont une belle "verticalité" sans que l'on tombe dans la rigidité, avec des acidités enrobées qui montent crescendo pour aboutir à des finales salines et salivantes. Cela les prolonge délicieusement, tout en donnant envie de se resservir direct.
Ses vins sans soufre sont d'une gourmandise irrésistible, et je comprends l'amour que Florian porte à ses "rouges sur granit". Ce terroir leur apporte une personnalité vraiment attachante, particulièrement le Pinot F qui possède cette énergie du Frankstein alliée à fruit vibrant. Superbe !
J'ai passé la soirée avec des amis du couple, presque tous issus du monde du vin. Tous les vins que nous avons bus étaient servis à l'aveugle. S'il y avait bien sûr des vins de la région, beaucoup venaient d'ailleurs, ce qui montre une belle ouverture d'esprit. Il y a même eu un Baco 2011 de Mondon que j'ai trouvé super chouette. Marrant. J'avais écrit il y a deux ans ICI : "servez-le à l'aveugle : vous risquez d'épater vos invités avec ce Baco".
Merci à Mathilde et Florian pour leur bel accueil !