" Aujourd'hui, nous souffrons, nous les anciens. Le déshonneur deviendra-t-il notre vêtement ?
Où sont donc les Touareg ? "
Moussa Konaté
" Meurtre à Tombouctou ", le polar posthume de Moussa Konaté
Quelques mois avant sa disparition en novembre dernier, l'écrivain malien remettait à son éditrice cette nouvelle aventure du commissaire Habib chez les Touaregs.
Article paru dans Le Point
Il faut oser ce titre ! Celui que Moussa Konaté avait choisi à l'origine pour son roman policier, Meurtre chez les Touaregs, n'aurait pas eu moins d'écho dans le contexte de son pays natal... Mais Tombouctou la fascinante l'a emporté en couverture. Il parle d'ailleurs aussi bien de la ville, où l'intrigue se déroule, que des Touaregs, comme il a toujours su le faire de chaque ethnie de son Mali, avec compréhension et distance critique mêlées. Son principal souci : les mieux faire connaître aux lecteurs étrangers au fil des enquêtes de terrain son héros récurrent, le commissaire Habib.
photo RFI
Peu d'écrivains savent comme lui doser le local et l'universel, de telle sorte que sa prose et ses personnages parlent à tout le monde, mais en profondeur. Moussa Konaté est mort brutalement en novembre dernier à Limoges, où il vivait. Ce roman posthume, travaillé avec sa nouvelle éditrice Anne-Marie Métailié jusqu'en juillet dernier, raconte le nord de son pays avant la crise. Et il montre tous les ferments de celle-ci. Meurtre à Tombouctou est un pur régal. D'abord parce qu'il est fait d'ambiances presque palpables, qui invitent le lecteur dans un campement touareg, son temps, sa culture, les rapports entre les familles et les membres de celle-ci. L'apparente harmonie qui règne au sein de la famille Aghaly va être bouleversée par la mort de l'un d'entre eux : Ibrahim a été trouvé sans vie sur le chemin vers Tombouctou, où il se rendait pour saluer un ami en partance pour Bamako, la capitale du Mali. Assassiné, le jeune et cordial Ibrahim ? Mais, par qui ? Et dans la même journée, à Tombouctou, voici qu'on tire sur la fenêtre de la chambre d'hôtel occupée par un Français aux cris de "mécréant"... Quels liens établir entre les deux affaires ? Les autorités décident de dépêcher à Tombouctou le célèbre commissaire Habib de Bamako, redoutant que les terroristes d'Aqmi soient derrière la mort d'Ibrahim. C'est son petit frère qui l'a découvert, au pied d'un figuier (le Figuier est le nom de la maison d'édition que Moussa Konaté a fondée à Bamako, c'est tout dire), et a apporté son cadavre jusqu'au commissariat de Tombouctou en désignant d'emblée comme coupable une famille touareg rivale. Le corps d'Ibrahim est gardé par le commissaire de Tombouctou pour autopsie, et la famille de la victime vit très mal cet arrachement, même temporaire, de la dépouille aux siens. Là se joue l'un des thèmes les mieux traités par l'auteur, celui du tiraillement entre les lois d'un clan touareg et celles des institutions modernes d'un pays. Son livre en aborde bien d'autres : la description fine d'une société qui a ses codes autonomes et sa fierté, celle d'une région où le terrorisme menace à tout instant et auquel le Touareg est souvent trop vite associé, et où l'étranger est souvent vu comme le corrompu. Un aréopage de personnages solidement présents nuance le tableau : Gérard, un Français venu écrire un livre sur Tombouctou (mais pas seulement...), le joyeux Guillaume, agent du renseignement français qui accompagne Habib dans son enquête. Il faut voir comment ce dernier doit rester placide quand son collègue local le supplie de laisser le marabout-devin mener l'enquête, comme la famille le demande ! Que de pièges tendus dans ce roman, que de fausses pistes qu'Habib le chevronné, accompagné de l'inénarrable Sosso, saura déjouer, bien sûr.
N'a-t-il pas remarqué à quel point le silence des femmes était éloquent ? Il y a le suspens, il y a l'humour, et puis toute cette culture, que sans folklore, mais avec la précision de son regard et de ses phrases, Moussa Konaté nous fait découvrir. Avant de quitter ce monde, l'écrivain a remis aux éditions Métailié un autre manuscrit qui se déroule dans sa ville natale, Kita. C'est dire qu'on n'a pas fini de le lire, et de découvrir dans ses archives d'autres aventures du commissaire, dont il avait fait le plus original des passeurs de son Mali si loin et si proche. En attendant, l'association pour la promotion et la perpétuation de ses oeuvres (APPOM) propose le 26 avril, à Pantin, une rencontre autour de l'auteur de Meurtre à Tombouctou. Ce sera une belle occasion de revenir sur son parcours puisque l'éditeur Patrick Raynal, qui a publié dès 2002 en "Série noire" (Gallimard) le premier polar de Moussa Konaté, sera présent aux côtés de sa nouvelle éditrice et d'autres amis, sans oublier l'hommage du griot malien Baba Sacko.