La représentation argentine à l'ONU organise ce 24 juin en fin de journée un grand concert pour célébrer le demi-siècle de la résolution n° 2065, votée le 16 décembre 1965, qui ordonne à la Grande-Bretagne et à l'Argentine d'entamer un dialogue sur la souveraineté des Malouines.
On sait ce qu'il en a été : refus absolu du Royaume-Uni, qui tient à ces îles qui lui donnent une base stratégique dans l'Atlantique Sud et un droit sur le continent antarctique, attaque armée de l'archipel en avril 1982 ordonnée par la Junte militaire au pouvoir en Argentine, soutenue par la plupart des Etats sud-américains mais condamnée très rapidement par l'ONU (alors dirigée par un secrétaire général péruvien) puis la sanguinaire guerre des Malouines au cours de laquelle Margaret Thatcher prit des poses à la Churchill en avril-mai et enfin le retour de la Grande-Bretagne au statu quo ante, un refus crispé, souvent arrogant et la plupart du temps très discourtois (1), d'entamer le moindre dialogue sur la question, très crispé sous tous les gouvernements tories (conservateurs) et à peine plus détendu avec des Premiers ministres travaillistes.
Rappelons l'histoire car les Malouines étaient bel et bien argentines au moment où l'indépendance du pays s'est jouée sur le continent (entre 1810 et 1816).
Ces îles ont été découvertes par les Européens en 1520, par Esteban Gómez, à la tête d'une expédition financée par la Couronne espagnole. Cependant, en 1690, un marin anglais, John Strong, passe par le détroit qui sépare les deux îles principales et baptise ce détroit du nom de Falkland, en l'honneur du second vicomte Falkland. En 1764, Bougainville et son équipage malouin atteignent l'archipel et lui donnent le nom de leur ville : ce seront désormais en français les îles Malouines. Des tractations entre la France et l'Espagne permettent à cette dernière de prendre possession du port San Luis (pour mieux amadouer Louis XV, on lui donne le nom d'un roi de France qui plus est saint patron du roi régnant). Par courtoisie pour les Français, l'Espagne rebaptise aussitôt les îles Malvinas mais l'année suivante, une expédition de la Royal Navy arrive sur zone. Les hommes s'emparent des îles et les rebaptisent aussitôt du nom de Falkland. C'est l'époque troublée où la France, l'Angleterre, l'Espagne et le Portugal se disputent la maîtrise des mers et les accès au détroit de Magellan. En 1770, forte de l'accord obtenu six ans plus tôt avec la France, l'Espagne déloge les Britanniques par la force et fait légitimer ensuite entre Etats européens sa prise de possession par la voie diplomatique. En 1776, alors que George Washington déclare l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique, Carlos III, arrière-petit-fils de Louis XIV, crée le vice-royaume du Río de la Plata en scindant le vice-royaume du Pérou et place les îles dans le nouveau district. C'est ainsi que l'archipel appartiendra à la future Argentine, qui va naître entre 1810 et 1816.
En 1820, le nouveau pays, qui est en train de sombrer pour soixante ans dans une guerre civile acharnée, parvient néanmoins à envoyer une frégate pour prendre officiellement le contrôle de ces terres inhospitalières dont il a besoin ne serait-ce que pour offrir une escale à ses navires qui doivent doubler le Cap Horn pour atteindre le Chili de Bernardo O'Higgins, voisin et officiellement allié grâce à sa collaboration avec José de San Martín qui prépare l'expédition libératrice du Pérou.
En 1824, à Londres, à la demande de la corporation des marchands, la Chambre des Communes vote la reconnaissance de l'indépendance de l'Argentine, du Chili et de la Colombie (celle de Simón Bolívar, qui réunit les actuels Colombie et et Venezuela). Le Gouvernement britannique envoie dès l'année suivante une légation officielle à Buenos Aires, qui n'accueillait jusqu'alors que des observateurs diplomatiques faisant office de consuls pour le Royaume-Uni et les Etats-Unis. La Grande-Bretagne est ainsi le premier pays du monde à reconnaître l'Argentine, avant même les Etats-Unis. Il faudra attendre 1830 et la Monarchie de Juillet pour que la France fasse de même. Et en 1828, l'Argentine peut distraire de ses maigres ressources un représentant officiel pour l'archipel : le Gouverneur de la Province de Buenos Aires, Manuel Dorrego, choisit un commerçant avisé et audacieux d'origine allemande, Luis Vernet.
De très lointaine ascendance française (2), Luis Vernet était né à Hambourg, en 1792 (3). Il s'était installé à Buenos Aires en 1817 pour fonder une maison de commerce, comme de nombreux Européens aventureux après que la traversée des Andes et l'éclatante victoire de Chacabuco due à San Martín (12 février 1817) eut mis la région et son potentiel politico-économique en pleine lumière grâce à la presse, qui répandit l'admiration pour l'exploit militaire. Dix ans plus tard, à la tête d'une belle fortune, Luis Vernet achète des terres dans l'archipel et obtient en réponse la concession de Puerto Soledad avec mission d'y implanter un comptoir agricole en vue d'approvisionner les convois sur la route du Chili. Il s'embarque avec une centaine de gauchos, blancs et indiens, et du bétail. Il réussit si bien dans sa mission que l'année suivante, Juan Manuel de Rosas, qui a succédé à Lavalle lui-même successeur de Dorrego, le nomme gouverneur des Malvinas avec tous les pouvoirs, civils et militaires, et une minuscule garnison qui ne pourra soutenir l'attaque navale de 1833, malgré le courage de plusieurs des gauchos qui ont tenté de participer à la lutte aux côtés des soldats. En effet, en 1833, neuf ans après la reconnaissance de l'Argentine, la Royal Navy reprend par la force l'archipel tandis que dans les chancelleries européennes, le gouvernement britannique en Europe fait soutenir par ses ambassadeurs l'antériorité de la découverte (par ailleurs contestable) pour justifier ses revendications territoriales (4). Que pèse alors l'Argentine, perdue dans le chaos de la guerre civile, contre la volonté de puissance de l'Empire britannique ? Luis Vernet est bien parti aussi vite qu'il a pu pour alerter Buenos Aires. La capitale, fortement déstabilisée par les manœuvres du clan Rosas, qui travaille à son retour au pouvoir, n'avait aucun moyen de s'opposer à cette agression, que la diplomatie européenne valide sans barguigner selon le principe bien connu : La loi du plus fort est toujours la meilleure.
Et depuis plus de cent-quatre-vingts ans, l'Argentine maintient ses réclamations : Las Malvinas es Argentina (les Malouines, c'est l'Argentine) ou Las Malvinas son argentinas (Les Malouines sont argentines).
En 1965, l'ONU a donc fait un tout petit geste pour réparer ce que la loi du plus fort a d'injuste dans les relations entre Etats mais la Grande-Bretagne a toujours pour elle d'être membre du Conseil de Sécurité. Il y a donc fort à parier que la loi du plus fort continuera de s'appliquer encore un bon moment. D'autant que David Cameron n'est pas homme à se laisser impressionner dans cette affaire surtout après la découverte, il y a quelques années, d'importants gisements de pétrole dans les eaux territoriales autour de l'archipel et devant le risque de perdre le pétrole trouvé au large d'Aberdeen si jamais le référendum écossais...
Ce statu quo est ce à quoi l'Argentine ne se résigne pas, surtout depuis que la reprise économique dans le pays a permis à Néstor et Cristina Kirchner d'agiter à nouveau ce serpent de mer de la fierté patriotique de leurs électeurs. Et ce n'est pas l'entame d'un dialogue qui est réclamée à travers les dessins de Rep agrémentés des cachets officiels, c'est une souveraineté indiscutée et incontestée sur les îles.
Quel succès rencontrera la délégation argentine à l'ONU le 24 juin prochain, à New York, avec ce concert de rock, animé par Gustavo Sanaolalla, et l'intervention graphique du dessinateur de presse et peintre, Miguel Rep ?
L'Argentine avait préparé le terrain en offrant à l'artiste plastique une belle exposition dans cette même ville, dans les locaux du consulat général argentin. Cela suffira-t-il à faire pencher la balance de l'opinion publique internationale, il est permis d'en douter et de voir dans la manœuvre une démarche à l'intention des seuls Argentins car, à n'en pas douter, le concert sera retransmis en direct par la TV Pública comme cela avait déjà été le cas, il y a quelques temps d'un concert donné à l'UNESCO par la délégation argentine...
Quoi qu'il en soit, Miguel Rep n'est pas peu fier de participer à l'événement comme vous pourrez le constater dans son blog personnel.
(1) On a vu des Premiers ministres britanniques tourner ostensiblement le dos au représentant argentin lors de rencontres internationales officielles, quitter, tout aussi ostensiblement la salle, lorsque ce même représentant y entrait, ou refuser de serrer une main (de femme) qui se tendait...
(2) Nombreux sont les Français protestants qui se sont installés en Hollande ou sur la côte aujourd'hui allemande lorsqu'il a fallu fuir devant les dragonnades de Louis XVI après la Révocation de l'Edit de Nantes. D'où le grand nombre de noms à consonnance française que l'on trouve dans ces régions.
(3) Luis Vernet est mort à Buenos Aires, en 1871.
(4) C'est très contestable mais en 1833, l'Espagne n'est pas en état de soutenir la paternité d'une découverte de 1520 et de toute manière, elle n'en a que faire, puisqu'elle n'a plus aucun pouvoir de ce côté-là du monde. Elle est tombée dans une décadence sans fonds à laquelle, cinq ans plus tard, Victor Hugo pense toujours en écrivant la fameuse tirade de Ruy Blas :
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
- Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
L'Espagne et sa vertu, l'Espagne et sa grandeur,
Mais voyez. - du ponant jusques à l'orient,
L'Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
Comme si votre roi n'était plus qu'un fantôme,
La Hollande et l'Anglais partagent ce royaume ;
Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu'à demi
Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
La Savoie et son duc sont pleins de précipices.
La France pour vous prendre attend des jours propices.
L'Autriche aussi vous guette. Et l'infant bavarois
Se meurt, vous le savez. [...]