Les retombées de l’activité céréalière du port de commerce irritent les professionnels du port de pêche de Chef-de-Baie
Des nuages de poussière comme celui-ci, pris en photo mercredi, s’élèvent dans l’air lors des chargements de céréales au port de commerce.©Pascal CouillaudDes tâches rouges, semblables à des brûlures. Partout sur les jambes. Angelica Durand a pris soin d'en faire une photo, de peur de ne pas être prise au sérieux. « Même quand il fait chaud, je suis obligée de mettre des chaussures et des chaussettes. Une fois, je suis même allée chez le médecin tellement j'étouffais. Maintenant, quand je n'en peux plus, je rentre à la maison. »Depuis près de quinze ans, cette femme de pêcheur recoud des filets, installée dans l'une des cabanes colorées du port de Chef-de-Baie. Son « bureau », à l'air libre, offre une vue imprenable sur la flotte de bateaux. Un avantage et un inconvénient lorsque souffle le Noroît (vent de nord-est) et qu'un cargo s'emplit de céréales, de l'autre côté de la clôture qui enceint le domaine du Grand Port maritime. « Ça fait un nuage blanc qui nous tombe dessus. L'autre jour, j'ai enlevé quatre pelles d'orge ! Ça arrive au minimum une fois par semaine, quelquefois deux ou trois fois. »
Les opérateurs y travaillentDifficile de joindre hier les dirigeants des entreprises céréalières qui travaillent au port de commerce de La Rochelle. Pour une bonne raison : le Grand Port maritime accueille durant deux jours, jusqu’à ce vendredi, la deuxième Bourse maritime agricole La Rochelle - la Pallice, qui réunit les acteurs des filières céréales, engrais et nutrition animale.Des opérateurs se sont toutefois penchés depuis longtemps sur le problème des poussières, à l’image du groupe Sica Atlantique, qui a investi ces dernières années plusieurs millions d’euros pour moderniser le quai Lombard et, donc, le chargement des céréales sur les cargos. D’autres solutions sont actuellement à l’étude en vue, non plus seulement de diminuer les retombées, mais aussi de les récupérer pour les retraiter. Le projet de nouveau silo de Soufflet, assure Bernad Plisson, s’inscrit dans la même démarche. « Situé bord à quai, il déversera directement les céréales dans les navires, grâce à un système nouveau et performant. La limitation de l’impact sur l’environnement était l’un des critères principaux de l’appel à projet, il représentait 20 % de la note finale », souligne le responsable de l’environnement du Grand Port maritime.Sur l’utilisation de pesticides, pour le stockage des céréales, les réponses sont plus évasives. « Les fumigations ont lieu dans les bateaux, cales fermées, durant le trajet », précise Bernard Plisson.Bateaux et voitures couverts de poussières, pompes de cale bouchées, sans parler des effets sur la peau… Le sujet irrite aussi les pêcheurs et mytiliculteurs rochelais. L'image des blés qui poussent le long des gouttières et au bord des pontons ne les amuse plus depuis longtemps.« En été, on a des plaques rouges partout sur les bras et les jambes. Faut pas être allergique ici. » « L'autre jour, des bateaux espagnols déchargeaient leur pêche sous un gros nuage de poussière. Ça faisait bien… »
Enquête sanitaire
Le ressentiment est le même chez les professionnels qui travaillent au port de pêche. « Ça devient catastrophique. Si les vents sont portants, la poussière entre partout. On doit fermer les fenêtres. Quand on pense qu'il y a un projet de port à sec juste à côté, les propriétaires vont être contents de retrouver leur bateau tout blanc. »En 2013, un procès-verbal de constat, signé du surveillant des ports départementaux Laurent Garnier, alertait déjà les autorités sur les conséquences des retombées de poussières en provenance du Grand Port maritime, non seulement sur la santé des travailleurs du port de pêche mais aussi « au niveau des machines du port, telle que la tour à glace et autres installations ventilées ».« Je pense que nous devons déclencher une enquête sanitaire (1), pour savoir si ce sont bien des poussières qui provoquent cette maladie », indiquait le responsable dans un autre courriel, suggérant également « d'alerter la DDASS [ex-Direction départementale des affaires sanitaires et sociales] et la médecine du travail des gens de mer. Il faut savoir qu'avant que le quai céréalier ne soit déplacé à proximité du port de pêche, il n'y avait pas, selon les différentes personnes que j'ai pu rencontrer, de plaintes particulières sur le port de pêche. Peut-être que ces nuisances étaient ressenties sur les bâtiments du port de commerce. »« C'est comme ça depuis que les chargements ont lieu sur le nouveau quai de Chef-de-Baie (lire ci-dessous). Avant, quand ça se passait au quai Lombard, il y avait moins de retombées », remarque un entrepreneur de Chef-de-Baie, plus inquiet encore, comme les pêcheurs, à l'idée que le groupe Soufflet souhaite construire un nouveau silo de 45 mètres à proximité (« Sud Ouest » du 4 juin).
« Une question légitime »
Du kaolin d'autrefois aux céréales d'aujourd'hui, les habitants de la Pallice et Laleu ont longtemps subi les désagréments des particules fines. « On se demande surtout quelle est la composition exacte de ces poussières. Nous n'avons toujours pas de réponse », regrette Raymond Bozier, de l'association Respire, dont le combat pour le recul des cuves d'hydrocarbures a monopolisé l'attention ces dernières années, mais qui compte « s'intéresser de près à ce sujet ». « Le port n'est pas responsable de tout, ce sont les opérateurs. Le groupe Sica Atlantique, avec qui nous avons de bonnes relations, fait des efforts. Soufflet, par contre, est plus discret. »Étudier la qualité de l'air, c'est le travail d'ATMO Poitou-Charentes, qui travaille depuis 2009 avec le port de commerce, les collectivités, les industriels et les associations de riverains. « Des campagnes de mesures sont effectuées chaque année pour le port. Nous avons installé une station de mesure permanente. Tous les résultats sont publics. À la demande des élus, nous préparons même un bulletin explicatif, à partir de la rentrée, plus détaillé sur les pics de poussières », indique Fabrice Caïni, responsable d'ATMO Poitou-Charentes, qui note une amélioration ces dernières années. Le dernier bilan indique qu'« en 2014, l'activité de Port Atlantique La Rochelle a conduit à dégrader significativement la qualité de l'air à la Pallice pendant 13 jours contre 14 jours en 2013 et 18 jours en 2012. »Mais l'air de la Pallice présente-t-il des traces de pesticides ? « C'est une question légitime. Il n'y a jamais eu d'études dans ce domaine. Aujourd'hui, on sait mesurer la présence de ces molécules dans l'air. Le problème est que les études coûtent cher. Il faut que le port et les industriels soient d'accord pour les financer. »Angelica, elle, n'en peut plus d'attendre. « Ce n'est pas vivable. Ils ont voulu fermer le port, ben qu'ils se gardent leur poussière. Je suis pas obligée de la bouffer ! »(1) Interrogée à ce sujet, l'Agence régionale de santé (ARS) n'a pas répondu.« Un sujet important de préoccupation »Sur et sous l’eau, comme dans les airs, le Grand Port maritime a entrepris depuis plusieurs années de mesurer l’impact de l’activité industrielle sur l’environnement. En témoigne le partenariat avec ATMO Poitou-Charentes, dont il finance avec les opérateurs industriels les études de la qualité de l’air depuis 2009.« C’est un sujet important de préoccupation pour nous », assure Michel Puyrazat, le président du directoire du deuxième port céréalier de France, qui a procédé ces dernières années à une profonde restructuration, visant notamment à déplacer cette activité du nord au sud du domaine portuaire, au plus loin des habitations.Celle-ci est positionnée aujourd’hui au môle d’escale, à l’anse Saint-Marc et au quai de Chef-de-Baie. Ajoutée à diverses mesures, comme le nettoyage des quais et l’arrivée de nouveaux dispositifs « en entonnoir » pour le chargement des navires, la restructuration a permis, selon les relevés d’ATMO, de diminuer sensiblement les retombées de poussières de céréales dans le quartier de la Pallice de 2011 à 2014. Mais l’activité s’est rapprochée du port de pêche.Priorité aux habitants« L’urgence était de traiter ce problème d’abord pour les gens qui vivent à la Pallice. On ne peut pas le régler d’un coup de baguette magique, c’est un travail à long terme », convient Bernard Plisson, en charge de l’environnement au Grand Port maritime, lequel a signé en 2011 une charte du développement durable.« Elle comprenait 64 actions, concernant l’environnement mais aussi la sécurité, le social, l’économie… Tous les engagements ont été tenus. Une nouvelle charte du développement durable de la place portuaire est en cours d’élaboration avec l’Union maritime. L’idée est de s’engager collectivement, avec chaque entreprise, sur une cinquantaine d’actions. Elle sera mise en route à la rentrée », annoncent Michel Puyrazat et Bernard Plisson.La question des pesticides y sera sûrement abordée. Pour l’instant, l’autorité portuaire estime qu’il n’y a pas « d’inquiétude sanitaire ».« Il y a une norme internationale pour l’usage de ces produits dans l’alimentation. La concentration est de toute façon plus faible qu’en amont, où les céréales ont été cultivées », conclut Bernard Plisson.F. Z.
Publié le 19/06/2015
par Frédéric Zabalzahttp://www.sudouest.fr/2015/06/19/deux-ports-et-des-pou-ssieresles-operateurs-y-travaillent-1956425-1391.php