Toutes ces nouvelles n’ont qu’un objectif : décrire l’angoisse, la solitude, l’absurdité des existences. Chaque portrait d’enfant, d’homme, de femme, de prêtre, de chien, de couple, de famille, de lépreux et autres fous ou naïfs est l’occasion de saisir un moment de vie quotidienne de la société russe, qu’elle soit bourgeoise ou miséreuse. Tous sont égaux devant leurs gouffres : absence, deuil, haine intériorisée, vide inommable, abandon, et autres néants. Et pourtant, le génie d’Andreïev réside dans sa capacité à illuminer ces noirceurs par de tendres détails. Chaque nouvelle est l’occasion de craquer une allumette, fragile, persistante, de suite étouffée, ou vivement embrasée, cassée ou vivifiante, et toujours trop vite éteinte. Seule Le gouffre, situé parmi les derniers récits du recueil, inverse la tendance. Il ne s’agit plus d’une douleur latente dont les protagonistes seraient un instant sauvés, le bonheur idéal est offert gratuitement jusqu’à ce qu’une main de fer sombre et froide s’en saisisse et l’étrangle sans faiblir.
Cette lecture riche et massive sous ses faux airs de douce simplicité m’atteint intimement et me conforte dans ma volonté de découvrir d’avantage la littérature russe, trop rapidement abordée l’an dernier avec les vers de Marina Tsvetaïeva, Anna Akmatova ou les Carnets du sous-sol de Dostoïevski.
Pour les adeptes de lecture audio, A Sabourovo est une nouvelle appartenant au recueil Le gouffre (et autres récits) : http://www.litteratureaudio.org/Andreiev_Leonid_-_A_Sabourovo.mp3
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Le gouffre (et autres récits) – Leonid Andreïev, traduit du russe par Sophie Benech
Editions José Corti, 1998, 490 p.
Première publication de la nouvelle Le gouffre : 1902
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