Colette journaliste. Chroniques et reportages, 1893-1955, Texte établi, présenté et annoté par Gérard Bonal et Frédéric Maget, Paris, Editions du Seuil, 2010, 438 p., 11,8 €
Le journalisme occupa une grande part de l'activité littéraire de Colette (1873-1954), à côté de ses romans ( Claudine, Gigi, Chéri, Le blé en herbe, La vagabonde, L'ingénue libertine, etc.) et de sa carrière d'actrice au music-hall.
Œuvre parallèle ?
L'articulation presse / littérature, articulation de talents différents. La presse comme gagne-pain régulier tandis que l'œuvre se construit : en cela, Colette suit la voie tracée par Honoré de Balzac, Victor Hugo, Théophile Gauthier, Charles Baudelaire, Emile Zola... Plus tard, Albert Camus. Mais la relation à la presse n'est pas seulement alimentaire. La presse est aussi pourvoyeuse de contenus, de matière première littéraire : faits divers, événements, représentations théâtrales, procès, conseils imposent leurs sujets, leur genre, leur vérité ("l'imagination, c'est la perte du reporter")... Surtout, le travail de journaliste ne laisse que peu de choix, il impose son calendrier, son format (longueur imposée), ses délais de bouclage (la presse est un "ogre qui se repaît à heures fixes"). D'une certaine manière, c'est un genre à formes fixes.
Colette dira combien elle a aimé l'ambiance et la vie des journaux et même l'exigence quotidienne du quotidien : "Tous les jours, tous les jours, je courrai l'aventure d'écrire. Tous les jours un souci s'éveillera en même temps que moi, m'accompagnera en voyage, nagera l'été à mon flanc et s'insinuera dans songes [...] La passion ne m'en a pas quittée." (1933, La République).
Le journalisme permet à Colette de d'enrichir l'écriture de ses romans, il lui impose aussi progressivement l'habitude du décentrement, de l'observation minutieuse, la simplicité et la clarté. Le talent de la romancière affecte en retour le journalisme : " Colette a créé une forme de journalisme absolument nouvelle, un journalisme lyrique - lyrique n'est pas enthousiaste -, fondée sur les rencontres quotidiennes d'une vie de femme". Bouclant la boucle, son travail de journaliste sera repris et publié en recueils ( Les vrilles de la vigne, Les heures longues, Paris de ma fenêtre, etc).
Les éditeurs ont réuni 130 articles écrits par Colette, la plupart inédits en librairie, précédés d'une préface de 35 pages. Articles disséminés parmi de nombreux titres ( Vogue, Gil Blas, Le Petit Parisien, Le Figaro, Marie Claire, le Mercure de France, Le Petit niçois, La Revue Nantaise, Le Matin, Le Film, etc.). Bien sûr, réunis dans un livre, ces articles sont dépouillés de leur contexte, de leur format, de la titraille, et c'est dommage : l'article de journal est indissociable de son environnement rédactionnel et de la charte graphique, dont relève aussi la publicité.
Colette a fait tous les métiers du journalisme : chroniqueuse, critique et reporter. Du métier de reporter, elle dira : "Il n'y a qu'une consigne qui est : "Débrouillez-vous". Avec le reportage, il ne s'agit pas seulement d'écrire, tranquille à son bureau, nous sommes loin d'un journalisme de la chaire et de la réécriture de dépêches d'agences ou de communiqués de presse. Le reporter doit conquérir son information avant d'écrire son article.
Colette, féministe, ouvre dans Paris-Soir, que dirige Pierre Lazareff (novembre 1938), la rubrique "une femme parmi les autres" : " Chaque semaine, notre grande Colette examinera ici le cas d'une femme prise parmi les femmes [...] Colette s'efforcera de déchiffrer, à travers les lignes multiples de ces destins, l'énigme des femmes d'aujourd'hui".
L'ouvrage contribue autant à l'histoire de la presse et du journalisme qu'à celle de la littérature, et de leurs échanges. Livre d'histoire et d'histoires.