Ces sacs de supermarché en plastique vides qui garderaient encore l’empreinte des produits qu’ils ont contenus -et que l’artiste relie au spectacle d’un clochard à Stalingrad revendant les produits alimentaires qu’on venait de lui donner - paraissent trop réels sur leur estrade, trop proches du vécu. Leur vide intérieur semble trop présent, trop évident, et ils ne forment, au fond, que des sculptures dérisoires. C’est leur dessin, dans la salle du fond de la galerie Anne de Villepoix (jusqu’au 28 juin), leur présentation démultipliée 36 fois sur les murs, qui leur donne le souffle dont ils manquaient. Leur représentation au crayon ou à l’encre les rend plus réels que leur présence propre. Dessinés ainsi, ces sacs élémentaires se chargent de poèmes, d’évocations, de légèretés; ce sont des formes envolées, fripées, froissées, pleines de plis et d’ombres, de rondeurs onctueuses et d’empreintes. Ce ne sont plus des paquets de riz fantômes qui les habitent et leur donnent forme, mais les corps indistincts d’une armée d’anges, peut-être; n’y voit-on pas des robes, des bretelles, des cuissardes, pour peu qu’on se perde en eux ? La magie du dessin de Kader Attia s’est rendue maître de la représentation, bien mieux que ne le faisait la simple transplantation du réel.
Entre les deux, sacs objets et sacs dessins, une armée de parpaings émerge du sol, comme des vagues de brise-lames. On ne peut y pénétrer, au risque de se briser la cheville. Cet ondoiement évoque les fidèles en prière, nuques baissées des catholiques pendant l’Elévation ou dos courbés des musulmans prosternés face au mihrab.
Il y a aussi une vieille carte scolaire comme je les adore (le monde arabe), une colonne sans fin de mégaphones et deux photos côte à côte, toutes deux de Jérusalem, l’une ouverte sur la mosquée al-Aqsa, l’autre fermée sur le mur de séparation. Ouverture et fermeture, vide et plein, mythes et poésie.
Photos courtoisie Galerie Anne de Villepoix, excepté la photo n°3, de l’auteur.