Quand j’étais gamin, j’adorais un livre dans la bibliothèque de mes parents. C’était une anthologie de Jacques Stenberg consacrée aux récits d’épouvante: Les Chefs d’Oeuvres de l’Epouvante. Plus que les nouvelles qui composent ce recueil, c’est d’abord par ses illustrations que ce livre m’a fasciné. La couverture signée JP Gourmelen m’a déjà durablement marqué, mais des années plus tard, je me rappelle encore très distinctement de certaines pages.Ce livre fut pour moi la porte d’entrée pour de nombreux auteurs. C’est dans ses pages que j’ai croisé pour la première fois Philip K Dick, Guy de Maupassant, Ray Bradbury, Jean Ray, Robert Bloch… et cet auteur au mystérieux pseudonyme: Saki.
En général n’excédant pas une quinzaine de pages. Elles allient l’efficacité d’un Maupassant à l’esprit “so british” d’un Oscar Wilde. Elles regorgent d’aphorismes et de piques .
“Ne soyez jamais un précurseur : c'est toujours au premier chrétien qu'échoit le plus gros lion.”
“Ne vous attendez pas à ce qu’un garçon soit dépravé tant qu’il n’a pas été envoyé dans une bonne école.”
“Les jeunes ont des aspirations qui ne se concrétisent jamais, les vieux ont des souvenirs de ce qui n’est jamais arrivé.”
“L’art de la vie publique, c’est de savoir exactement où il faut s’arrêter, et d’aller un peu plus loin.”
"Tous les gens bien vivent au-dessus de leurs revenus aujourd'hui, et ceux qui ne sont pas respectables vivent au-dessus du revenu des autres. Quelques individus particulièrement doués réussissent à faire les deux à la fois."
Les sujets de prédilections sont l’enfance et l’aristocratie anglaise. De nombreuses nouvelles mettent en scène la bonne société tournée en ridicule par ses enfants. Pour Saki, l’enfance semble malgré tout se continuer jusqu’à l’âge adulte. Ainsi, deux personnages récurrent, Clovis et Reginald, sont de jeunes hommes qui observent leurs aînés avec une ironie mordante. Ils sont sur le point de faire leur entrée dans la société des adultes, mais se complaisent dans cette période charnière où ils profitent de leur statut de jeunes hommes pas encore introduits dans la vie active tout en étant complètement conscient de l’hypocrisie qui les entourent. L’antichambre de la vraie vie, pourrait-on dire. Leur oisiveté leur laisse tout loisir pour tirer profit de la situation, déjouant les conventions avec une Plaisir évident.On pourra lui reprocher d’être parfois misogyne, mais c’est aussi un héritage de son époque. Saki est surtout terriblement drôle, s’amusant des contradictions et de l’hypocrise de le “bonne société”. On sent qu’il règle volontiers ses comptes avec ses tantes, qui ne sont jamais, par définition en bonne santé. Il ne ménage pas ces mères respectables qui tentent de marier leur boulet de fils à tout prix, ces hommes stupides engoncés dans les conventions…