On commémore beaucoup en ce moment.
J’en profite, au lendemain de l’évocation de l’Appel du Général De Gaulle, pour parler de la première femme diplomate, Suzanne Borel.
Non seulement parce qu’elle fut toute sa vie une battante – et en particulier dans la Résistance – mais parce qu’elle incarne un « cas » dans l’histoire de l’Administration française, une nouvelle brèche dans le long chemin de l’égalité professionnelle. Femme diplomate, femme de diplomate, femme de ministre, Ministre plénipotentiaire (le plus haut grade dans la carrière diplomatique) enfin … Mais à quel prix !
J’ajoute que ma mère la connaissait puisqu’elle travaillait elle aussi – comme assistante de René Massigli, le Directeur Afrique-Levant, d’abord à Alger puis à Paris, au ministère des Affaires Etrangères, jusqu’à ma naissance. Elle m’en avait beaucoup parlé car le personnage ne laissait personne indifférent …
Fille de polytechnicien militaire, ayant vécu une grande part de sa jeunesse aux Colonies et en particulier en Indochine, Suzanne Borel fait de brillantes études car elle veut se rendre indépendante (un point commun avec le début de carrière de Ségolène Royal). Licenciée en philosophie, diplômée de l’Institut des langues orientales en chinois, élève de l’Ecole Libre des Sciences Politiques, elle réussit le grand concours d’entrée dans le Corps diplomatique en 1930, puisqu’il a été ouvert aux femmes en 1928. Elle fut ainsi la première femme Attachée d’Ambassade, malgré un recours contre sa nomination déposé devant le Conseil d’Etat par les fonctionnaires (masculins) du Quai d’Orsay. La réglementation n’aurait pas prévu l’engagement de femmes … Autre argument : comme les femmes n’ont pas le droit de vote, elles ne peuvent exercer la fonction de consul à l’étranger qui doivent y exercer la mission d’officier d’Etat civil … Elle sera donc cantonnée à l’administration centrale, ce qui la pénalise au niveau du traitement et de l’avancement, bien entendu.
La jeune femme est donc une diplomate contrainte de travailler à Paris, au service des œuvres françaises à l’étranger – à ce titre elle participe à la création du Festival de Cannes en 1939. Vient la guerre, elle sera résistante. C’est une femme de caractère (mauvais !), compétente, influente, franche et directe, brusque voire tyrannique … Son portrait-charge, sous les traits de Mademoiselle Crapote est brossé par l’écrivain, diplomate lui aussi, Roger Peyrefitte, figure dans les ouvrages « La fin des Ambassades » et « Propos secrets ». Il faut dire que les engagements personnels et politiques de l’écrivain sont à l’opposé des convictions de la collaboratrice de Georges Bidault, Compagnon de la Libération, Président du CNR (Conseil National de la Résistance) en 1943, fondateur du MRP et neuf fois ministre des Affaires étrangères de 1944 à 1958.
Changement de décor : en décembre 1945, Suzy Borel épouse Georges Bidault. Même si elle se fait mettre en disponibilité sans traitement – et donc en interrompant ses cotisations à la retraite - elle continue à seconder son mari, l’accompagne dans les réunions internationales – dont elle disait qu’elles consistaient en « un grand gaspillage de temps, d’argent et de salive ». Les mauvaises langues disent qu’elle influence en mal son époux. Mais elle connaît si bien et le ministère et les relations internationales ! En 1947, elle accompagne Georges Bidault à Moscou au Conseil des ministres des affaires étrangères. Elle se promène en ville, dans le métro, sans escorte puisqu’elle parle le russe, visite des quartiers que l’on ne montre pas aux officiels …
Les tâches de représentation d’une épouse de ministre, puis de parlementaire l’ennuient. Elle reprend du service en 1952 à l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (déjà !). Elle est réintégrée avec un « gap » important par rapport à ses collègues masculins … Mais finira par obtenir le grade de ministre plénipotentiaire.
Une femme de caractère, donc, volontaire et compétente, forcée de se battre pour exister, malgré son mari ou grâce à lui, pour sa juste reconnaissance. On voit que depuis 70 ans, des progrès ont tout de même été accomplis …. Même s’il reste beaucoup à faire, nous savons ce que nous devons à ces pionnières !
Un dernier détail : pas moyen de trouver sur la Toile une photo de cette femme si ce n'est en compagnie de son mari !!!! Sauf ici à gauche (AHhhhh, cette manie à l'époque de ne nommer les femmes que par le prénom et le nom de leur mari ... Merci Manuela (source : Le Monde Diplomatique)