Directrice de recherche à l’École supérieure d’informatique électronique automatique (ESIEA), Evelyne Klinger nous détaille les nouveaux enjeux de la réalité virtuelle dans le monde médical à l’heure où de plus en plus de projets naissent.
À l’occasion des Laval Virtual Days organisé par Laval Virtual, Cap Digital et L’Atelier, entretien avec Evelyne Klinger de l’ESIEA qui travaille depuis plusieurs années sur des projets associant technologies de réalité virtuelle et thérapies médicales.
L’Atelier : Depuis que vous travaillez sur la réalité virtuelle pour les thérapies, avez-vous constaté des évolutions sensibles ?
Evelyne Klinger : Ce travail date en réalité d’il y a 20 ans. Cela étant, en France, ce n’est que maintenant que les industriels commencent à s’y intéresser. Côté recherche, cela a démarré dans trois domaines : les troubles psychiatriques, la neuropsychologie et les troubles moteurs. De mon côté, je travaille à utiliser les technologies pour permettre aux personnes soit de récupérer des capacités soit de faire face à des problèmes. Globalement, cela correspond à la prise en charge du handicap. Il peut s’agir d’une jambe cassée, d’un accident de voiture avec un cerveau lésé, ou de problèmes de phobies. Mais il y a aussi un autre volet : la formation des médecins avec des simulations.
Tout ce travail se base sur ces univers qui ont montré qu’ils étaient viables pour apprendre à des personnes saines. Toute la question est donc désormais de savoir si cela peut être utilisé pour des personnes qui ont différents problèmes de handicap notamment. Ainsi, dans le domaine psychiatrique, on va traiter majoritairement des troubles de l’anxiété avec des thérapies cognitives et comportementales. Tout cela s’est construit sans la réalité virtuelle mais cette dernière peut apporter un plus.
Vous parliez d’un retard des industriels dans le domaine, est-ce que cela a évolué ?
J’ai commencé dans les années 2000. Lorsque nous présentions nos travaux en France, ils n’avaient aucun écho. Nous recevions des mails de patients qui voulaient bénéficier des projets que nous lancions. Mais un problème demeurait : nos projets aboutissaient à des prototypes de recherche, sauf qu’il était nécessaire qu’ensuite un industriel s’y intéresse et estime que cela soit rentable. À cette époque, il n’y en avait pas. Nous avions dans les années 2007-2008 énormément de mal à trouver des industriels pour nous accompagner.
Maintenant, cela a changé parce que les résultats scientifiques ont montré que ces thérapies marchaient. De plus, les technologies se sont démocratisées. De nombreux outils sont devenus accessibles : au niveau des ordinateurs, des connexions Internet, des cartes graphiques, des logiciels, etc.
« Il y a des interconnexions fortes entre technologies de réalité virtuelle et thérapies médicales. »
La réalité virtuelle sert la médecine, on l’a vu. À l’inverse, la médecine peut-elle faire progresser la réalité virtuelle ?
En effet, nos travaux soulèvent de nouvelles questions qui nécessitent des interfaces adaptées. Par exemple, nous avons lancé un projet avec Dassault System. Dans ce projet, il y avait des problématiques logicielles qui ont permis à l’entreprise de faire avancer ses propres solutions. Il y a donc des interconnexions fortes. D’autant que les industriels doivent s’adapter aux contraintes médicales s’ils veulent accéder à ce marché.
Qu’en est-il de l’accès à ces solutions ? Le prix peut-il être un frein au développement de la réalité virtuelle ?
Il y a un juste prix, c’est évident. Cela fait partie du travail des industriels mais il est clair que toutes ces technologies arriveront dans les foyers. En réalité, l’accès soulève d’autres questions. Il y a d’abord le problème de l’usage en autonomie. Il faut bien vérifier que ce qui est fourni ne va pas nuire. Sans oublier les questions d’usages de données : Où vont-elles ? Sont-elles sécurisées ? Qui les utilisent ? etc. Ce sont des questions sur lesquelles nous travaillons.
« Le risque majeur est que quelqu’un qui ne connaisse rien à la thérapie manipule ces objets et se promeuve thérapeute. »
Le risque majeur est que quelqu’un qui ne connaisse rien à la thérapie manipule ces objets et se promeuve thérapeute. De même, un patient qui irait voir sur Internet risquerait de se dire « j’ai telle pathologie » et donc « je prends tel dispositif ». C’est le risque de s’autogérer. Il est clair que ces technologies ne s’adressent pas à tout le monde. Si c’est structuré avec des protocoles, cela peut fonctionner. Un peu comme pour les médicaments finalement.