ATTENTION : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toutes ressemblances avec des personnes existantes ne seraient que coïncidence fortuite …
T’as déjà vécu une conversation entre « gens de la musique » (enfin, ceux qui s’autoproclame faire partie du cercle très fermé de la musique) ? Ça te marque à vie. Ça frôle le grotesque voire le très grotesque. Quand tu rencontres la Hype de la musique, en trente secondes, top chrono, tu arrives à te sentir tellement mal à l’aise que tu ne souhaites qu’une chose : disparaître de la surface de la Terre où devenir une fourmi. Au choix.
Ce soir-là, tu as eu envie de sortir, écouter un groupe chouette. Justement il y a une soirée qui a l’air pas mal. Tu débarques là-bas, une rue obscure du 18ème arrondissement de Paris… sans savoir que toute la Hype parisienne est là. Tu sais, cette Hype qui s’habille en fringue vintage, qui ne jure que par The Kooples et Urban Outfitters. Celle qui a le poil long pour les hommes et les cheveux longs pour les femmes. Celle qui arbore beaucoup de tatouages sur le corps et qui porte des Ray Ban de vue sur le nez (enfin qui le fait croire). Celle qui te rappelle à quel point tu as no style avec tes vêtements H&M et Asos… Toi, tes cheveux font leur vie et comme tu arrives du boulot, t’as pas trop eu le temps de passer par la case appart’ pour te refaire une beauté voire juste te coiffer. Alors que la Hype est parfaitement présentée jusqu’au bout des ongles, toi tu ressembles à une serpillère dégueulasse… et en plus ton vernis s’écaille, putain.
Arrivée à THE soirée, tu vas te chercher ton Perrier Citron. Au bar, tu croises l’une de ses hypeuses que tu aimes tant, Antoinette. Embrassade chaleureuse et bruyante ; « Oh la la ! JE SUIS TEEEEEEELLEMENT CONTENTE DE TE VOIR ! ». On se fait des câlins et on se congratule (« t’es tellement belle ce soir, t’as fait un truc à tes cheveux ? »), on parle de ses vacances (« Tu vois, la Corse c’est teeeeeeeeellement cool »…Ouai, la Hype va toujours en vacances en Corse, c’est écrit dans le HypeCode), on se parle du taf et on promet de se faire une bouffe (« Ouai, on s’appelle, on se fait une bouffe, hein? ») De fil en aiguille, tu parles du groupe qui va jouer ce soir : « oh non, tu rigoles je ne peux plus les écouter, je les ai vus 4 fois, c’est so 2011. je viens juste pour les copains et boire des coups». Ah d’accord. « Et puis, Jean-Ed’ passe des disques après, ça va être FA-TAL ». Parce que quand t’es Hype tu passes des disques dans des endroits cools de Paris. Passer des disques hein, pas mixer comme un vrai DJ. Tu mets juste un vinyle sur une platine. Tu lèves tes bras, et tu fais comme David Guetto (David Guetta mais version bad-boy-hype). Et là, tu passes des vieux groupes, des groupes obscurs « qui vont buzzer », et des groupes des années 80/90, tout ça dans l’unique but d’exposer ta culture musicale so extended et parce que le Ministère du cool a décrété que les années 90 c’est enfin devenu trendy.
La Hype parle le franglish. Ca, c’est pour montrer au monde que tu speak so well en anglais. Ca donne des trucs comme « tu vois la rue Faubourg du temple, c’est trop ma rue favorite ever de tout le quartier ». « Cet album-là c’est vraiment trop what the fuck quoi», « T’aime pas [choisir un groupe que la Hype aime], oh please, t’as juste tellement rien compris ». « Comment ça tu ne connais pas ChoseMachinChouette, mais c’est trop génial comme groupe, ce sont trop mes buddys. On s’boit souvent des bières ensemble ».
La Hype se la raconte à mort aussi, et elle te fait comprendre que le monde entier est son buddy, oui elle connaît tout le monde, musiciens, attaché de presse, directeur artistique, programmateur, tourneur, ingé son, manager bref EVERYONE dans l’industrie, tu vois ? Elle te racontera ses soirées de beuveries (la hype est alcoolo), elle s’amusera à faire du name-dropping, et t’expliquera qu’elle aura bientôt plus de 4 000 followers sur Twitter, et d’ailleurs au moment où elle te dit ça, la Hype est en train de tweeter « I’m at XXX (Paris, Île-de-France) w/ 15 others ». Puis : « Putain, trop bon », « putain mais c’te soirée », « je suis trop bourrée putain », « je vous aime tous tellement…putain ». C’est beau l’amour, tellement vrai, tellement sincère !
Toi, tu caches ton air consterné, tu fourres tes mains dans tes poches pour cacher tes ongles moches et te sentant comme un alien perdue dans une étrange faille spatio-temporelle, tu avales ton Perrier Citron aussi rapidement qu’un cowboy descend son verre de whisky, tu dis au revoir poliment et tu te tires le plus loin possible de cette galaxie. Ça tombe bien, ce soir, il rediffuse La Fureur de Vivre sur Arte…