Guy est un mari et un père moderne : il suit sa femme Nadège, expatriée pour le compte de Médecins sans Frontières dans ce petit pays frontalier de l’Inde et de la Thaïlande, encore dominé par une junte militaire (jusqu’en 2011) et célèbre par le Prix Nobel de la Paix remporté par sa « Dame » Aung San Suu Kyi, alors assignée à résidence (jusqu’en 2012).
C’est sa deuxième dictature, après la Corée du Nord (brrr).
Mais l’auteur ne cherche pas à dresser un réquisitoire contre la dictature. Il part à la découverte de la Birmanie et des Birmans en poussant la poussette de son fils Louis dans les rues de Rangoun, doté d’un regard naïf qui fait mouche : des saynètes cocasses épinglent l’architecture des maisons mêlant chinoiseries et colonnes grecques, les coupures de courant régulières sauf dans le quartier des riches gradés militaires (et le monopole des « fils de » sur la vie économique), les particularités de l’approvisionnement local, les mails piratés par le régime, les nouvelles filtrées (pour savoir ce qui se passe à Rangoun, achetez le journal de Bangkok), les difficultés des ONG à obtenir des autorisations pour se rendre dans certaines régions, mais aussi les moines bouddhistes quémandant du riz, la curieuse mode des jeunes branchés, les éclaboussantes fêtes de l’eau, la délicate hospitalité birmane (malgré la surveillance policière), le petit cercle fermé des expatriés, les cours de dessin animé donnés à des dessinateurs birmans, la chaleur écrasante combattue par la clim entre deux coupures d’électricité…
Ces Chroniques birmanes sont un bain d’anecdotes et de scènes saillantes, touchantes ou plus graves. On aime suivre le personnage de Guy, bedonnant, ne se prenant nullement au sérieux mais apte à saisir au vol les situations drôlesques et attendrissantes. Celles-ci sont accentuées par le sentiment d’étrangeté que provoque une culture très différente de la sienne, peu uniformisée par les traces de pop culture mondialisée qui traverse le rideau de fer de la dictature. Karen Carpenter a beau tourner en boucle dans la supérette locale, Guy est effaré de voir des jeunes arborer sur leurs T.shirt aussi bien le Che Guevara que la swastika (qui est néanmoins un symbole bouddhiste ou hindou à l’origine, non ?).
Le dessin est assez sommaire : en quelques traits, l’auteur campe un décor, une expression. Cela donne un côté « pris sur le vif » assez frais au récit. Mention spéciale aux séries de petites cases sans bulles qui racontent un voyage entier en un minimum de formes.
On aurait pu s’attendre à une peinture plus en profondeur du pays (ce qu’il a fait d’ailleurs, dans ses Chroniques de Jérusalem qui sont postérieures) mais on rit à de nombreuses reprises des situations les plus loufoques. Mon personnage préféré est définitivement leur jardinier-homme-à-tout-faire-nounou, Maung Aye, le contact le plus répété de Guy avec un Birman pur jus : sa technique pour venir à bout des crapauds indiscrets est dantesque ! :-D
Une chouette lecture donc, dans ce format du récit graphique que j’apprécie de plus en plus.