Contes animaliers d'Argentine : de l'oral à l'écrit [Disques & Livres]

Publié le 17 juin 2015 par Jyj9icx6
Depuis le début mai et jusqu'au 20 juin 2015 (1), mon prochain livre, Contes animaliers d'Argentine, est en souscription chez son éditeur, les Editions du Jasmin, au prix de 12 € frais de port compris.

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Il s'agit d'un recueil de 126 pages présentant dix-huit contes traditionnels, d'origine orale, repris en français pour être mis à la portée des francophones, tout à la fois les adultes et les enfants (à partir de 9 ans en lecture autonome). Le livre a été illustré depuis Buenos Aires par l'illustratrice argentine Jimena Tello.
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Après une présentation générale du livre (fin avril) puis trois autres articles, où j'ai successivement abordé le monde animal argentin etses enjeux d'hier et d'aujourd'hui, les apports des peuples originaires à l'imaginaire national du pays et enfin les apports du Vieux Continent (l'ensemble de ces articles étant accessible sous le mot-clé Contes A Arg dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search), je vous parlerai ici de la façon dont je m'y suis prise pour faire passer, dans un livre qui réponde aux attentes de lecteurs européens, des récits oraux qui se développent au milieu de la collectivité rurale locale qui se réunit régulièrement pour entretenir les liens sociaux en dépit de la dispersion de l'habitat dans un pays grand comme cinq fois la France continentale et peuplé de 40 millions d'habitants en tout et pour tout (dont 11 millions vivent à Buenos Aires et dans sa grande banlieue).
Les contes originaux ne sont donc pas particulièrement destinés aux enfants mais à une communauté locale qui se rassemble régulièrement dans un patio, sur une place de village ou un terrain vague autour d'un feu, le fameux fogón argentin qui réunit souvent les adultes tandis que les enfants jouent parfois entre eux, les garçons au foot au clair de lune ou à la lumière des phares d'une ou deux voitures, tandis que les filles bercent leurs poupées, sautent à la corde ou jouent à cache-cache.
Or pour répondre aux exigences de la collection Contes d'Orient et d'Occident et parce qu'en Europe le public réserve -à tort- les contes au public juvénile, il m'a fallu dans cet ouvrage épurer un peu le vocabulaire des conteurs. Pas question de glisser dans le recueil le moindre gros mot. Exit donc les hijos de p... et autres ¡C...! (2) dont le locuteur argentin raffole dès qu'un personnage est mécontent de ce qui lui arrive. J'ai pris exemple sur le langage plus châtié des nombreux conteurs instituteurs qu'avait enregistrés Berta Elena Vidal de Battini pour trouver des expressions plus convenables qui ne trahiraient pas l'esprit argentin, fondamentalement frondeur et irrévérencieux. Je suis donc passée à des formules atténuées comme "enfant de cochon" ou "espèce d'andouille". C'est plus digeste.
Dans le même ordre d'idées, j'ai dû faire face à un véritable dilemme en adaptant un conte de la Province de Santa Fe, que Berta Elena Vidal de Battini avait baptisé El premio al mejor vuelo et que j'ai intitulé Haute voltige (p 73) : il y est en effet question d'oiseaux qui roulent leurs cigarettes dans des feuilles de maïs comme c'était et c'est encore la coutume dans les régions productrices de tabac. C'est le cigarro de hoja, très apprécié des connaisseurs. Bien évidemment, à l'heure où les cigarettiers ne manquent pas de ressources pour faire consommer leurs produits à une clientèle de plus en plus jeune et où cette pratique mortifère creuse les comptes de la Sécurité Sociale, pas question de raconter ça comme on parlerait d'un concours de pêche à la ligne. Il a donc fallu faire quelques acrobaties d'écriture pour insérer sans lourdeur moralisatrice (franchement barbant !) un petit mot d'avertissement santé. J'aime bien les défis littéraires !
Mais la plus grosse difficulté d'écriture n'était pas dans ces détails ni même dans la prise en compte des jeux de mots qui émaillent certains contes dans la langue originale. La plus importante difficulté consistait à conserver le caractère rural et simple de ces contes sans traduire puisqu'ils sont intraduisibles et en passant des conventions de l'oralité à celles du livre qui ne propose pas d'interaction en dehors de celle que voudra bien se créer le lecteur dans son imagination.

Don Juan de Molière, dans une édition de 1818
La scène entre les deux amoureux paysans du second acte


Lorsque la professeur Vidal de Battini a retranscrit ses enregistrements, elle a reproduit très exactement les accents et les particularismes grammaticaux et syntaxiques des locuteurs. Il en résulte une langue qui nous rappelle aussitôt le parler des paysans de Molière. Et cette coïncidence me fait imaginer que si notre grand dramaturge a fait parler ses paysans comme il s'y est pris, ce n'est peut-être pas tant pour appliquer une convention dramatique (qui faisait rire grassement les citadins) que parce que, peut-être, c'est bien ainsi qu'il les avait entendu parler lorsque l'Illustre Théâtre parcourait le royaume de long en large, avant que la faveur de Monsieur ne fixât la troupe à Paris. Aujourd'hui, il aurait été absurde de vouloir transcrire en français ces phénomènes linguistiques qui ne valent que dans un travail de philologie comme celui de cette universitaire argentine (voir ci-dessous). En outre, une telle écriture paraîtrait aujourd'hui artificielle, non dénuée d'un certaine outrecuidance de classe de la citadine (que je suis) contre les paysans et elle aurait définitivement éloigné les lecteurs, de quelque âge qu'ils soient, pour qui cela aurait été on ne peut plus indigeste. Il fallait donc basculer le matériel en un français fluide tout en développant le récit pour retenir l'attention d'un lecteur individuel à travers l'écrit autant que le conteur tient en haleine son auditoire (collectif) par sa présence, sa gestuelle, ses intonations, le son de sa voix et les expressions de son visage.

Début d'un des premiers contes transcrits par Berta Elena Vidal de Battini
(Tome 1)
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Je suis donc souvent passée d'un conte original très court (deux fois plus long que l'extrait servant d'exemple), une sorte de sketch minute, à un récit structuré en trois ou quatre étapes, avec une relance tous les deux à quatre paragraphes : au résultat, on obtient un récit de 5 à 7 pages pour le plus grand nombre d'entre eux. Le plus bref, L'exécution du crapaud (Province de Buenos Aires), tient tout entier en une page.
Ce format est très adapté à la lecture pour les enfants, dont le jeune âge exige qu'ils passent plus vite que les adultes d'un centre d'intérêt à un autre. Il est aussi adapté à la lecture dans les transports en commun sur les petites distances quotidiennes. Il est enfin adapté aux personnes qui, du fait de leur état de santé, ont une mémoire défaillante, ce qui les empêche d'apprécier la lecture d'un roman.
Comme pour mes autres ouvrages sur la culture populaire argentine, je voulais aussi pouvoir toucher un public adulte, celui des lecteurs ouverts aux cultures du monde, l'un des deux axes de développement des Editions du Jasmin. Il fallait donc choisir des contes qui avaient la potentialité d'une lecture à plusieurs degrés. A côté de quelques contes-plaisanteries (comme L'exécution du crapaud ou Le baptême du perroquet, de Santiago del Estero), j'ai choisi une majorité de contes à dimension politique, des petites histoires sans prétentions qui cachent la trace de faits historiques fondateurs pour le pays :
  • confrontation entre les Amérindiens et les colons européens (qui n'ont pas vraiment cessé à ce jour, même si cela ne prend plus la forme d'un conflit armé),
  • guerre d'indépendance et guerre civile qui suivit,
  • Conquête du Désert,
  • sédentarisation des gauchos contrainte par la République Conservatrice qui voulait les mettre à la merci de pouvoir arbitraire d'un patron unique, seul fixateur des salaires, et éviter la dissémination des idées subversives dont ils étaient censés être porteurs (3). Il en résulta une paupérisation extraordinaire des journaliers ruraux qui perdirent la marge de négociation qu'ils avaient auprès des grands propriétaires agraires, lorsque, suivant les saisons d'élevage et de récolte d'une région à une autre, ils pouvaient obtenir de meilleurs salaires lorsque les patrons voulaient les fidéliser d'année en année.

C'est l'autre facette de cette vaste élaboration de l'identité nationale que j'explore depuis une dizaine d'années, dont bientôt huit avec ce blog : la première que j'ai abordée aura été le tango qui, avec le rock mais dans une moindre mesure, est le socle de la culture des grands centres urbains. Le conte et la chanson dite folklorique, quant à eux, constituent celui de la culture des vastes zones rurales, qu'il s'agisse des plaines herbeuses des pampas ou pelées de la Patagonie, de zones humides et des forêts du Litoral ou des reliefs du Nord-Ouest ou de Cuyo. Les deux cultures, celle de la ville et celle des champs, commencent à s'interpénétrer. Le phénomène est récent, il a à peine quinze ans mais il est de plus en plus sensible dans la musique et le cinéma. Aujourd'hui, les contes traditionnels argentins sont encore peu connus en ville, mais il va sans dire qu'ils vont trouver peu à peu leur place et contribuer à façonner cet imaginaire populaire commun dont un pays a besoin pour lire son passé et se projeter dans l'avenir.
Clip tourné fin mai aux Editions du Jasmin
La sélection effectuée dans Contes animaliers d'Argentine permettra, je l'espère du moins, à un lecteur francophone adulte d'aborder la manière dont fonctionne ce pays, de comprendre un peu sur quelles expériences historiques ce peuple est fondé. Or ces expériences conditionnent la manière dont il construit aujourd'hui la démocratie, dont il veut se tailler une place dans le monde et dont il bâtit des revendications sociales. Bien souvent, tout cela, nous l'interprétons, non sans arrogance, comme une disposition immature qui serait propre aux Argentins à tomber entre les griffes de ce que nous appelons des populistes (4), en oubliant que nous regardons tout cela du haut de notre vieille industrialisation dont nous avons toujours gardé les bénéfices pour nous. Et quand les Argentins (ou les autres Sud-Américains) veulent toucher les dividendes de leurs efforts, exploiter leurs ressources pour leur propre compte, lorsque leurs dirigeants (qui ne sont ni meilleurs ni pires que les nôtres) s'efforcent de donner de la fierté à leurs compatriotes comme l'a fait Louis XIV en son temps, qu'ils arrachent aux pays dominants de quoi garantir leur souveraineté (5), ils le font contre nos intérêts, ce qui ne fait que renforcer nos préventions à leur égard et nos préjugés (cf. les nationalisations de secteurs économiques comme le pétrole ou le transport aérien, jusqu'alors contrôlés par des capitaux espagnols). Eh oui, le vin argentin taille des croupières aux nôtres ! Mais pourquoi n'auraient-ils pas eux aussi leur part du gros gâteau dont nous nous bâfrons depuis plus longtemps qu'eux...
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Contes animaliers d'Argentine est en souscription jusqu'au 20 juin 2015, avant sa sortie prévue le 25 (le livre pourra être en librairie dès le 29 ou le 30 juin, compte tenu des délais de transport entre la maison d'édition et le point de vente). Prix : 12 € frais de port compris, en offre de lancement. Télécharger le bon de souscription.
Vous pouvez entendre parler de cet ouvrage dans l'émission animée par Serge Davy C'est pas à moi que tu vas faire écouter ça, qui est disponible en ligne sur le site Internet de Tempo Tango, l'association de tango de Caen. L'entretien est également accessible à partir des pages Radio de mon site Internet.
ATTENTION : la présentation de ce livre le 23 juin 2015 au Café de la Mairie (à Paris) a été annulée par l'organisateur, malgré sa confirmation en avril de la date qu'il nous avait attribuée en décembre. La première présentation informelle du livre devrait donc avoir lieu à Toulouse lors d'une séance de dédicaces à la librairie Ombres Blanches, au Festival Tangopostale, le 4 juillet 2015 à partir de 14h. Une seconde signature se tiendra à la librairie du musée du quai Branly à Paris, le 4 août à partir de 14h également. J'en parlerai un peu plus tard, à mon retour de Toulouse.
Pour aller plus loin : découvrez la collection Contes d'Orient et d'Occident sur le site des Editions du Jasmin lisez les pages consacrées à ce sixième ouvrage sur mon site Internet lisez les autres articles de Barrio de Tango, rassemblés sous le mot-clé Contes A Arg. Les articles concernant les peuples originaires ont pour mot-clé PO dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
(1) A chaque campagne de souscription, nous faisons choix, l'éditeur et moi, d'un délai très serré pour éviter toute mauvaise surprise aux souscripteurs. Au fur et à mesure qu'évolue le plan de charge de la maison d'édition, qui travaille simultanément sur plusieurs livres, avec plusieurs auteurs et illustrateurs, sans compter l'agenda des imprimeries consultées, le calendrier initial bouge. C'est pourquoi le 10 juin avait été fixé comme première date-butoir et qu'elle est maintenant portée, définitivement cette fois, au 20 juin, en tenant compte des délais d'acheminement du courrier jusqu'à la maison d'édition (à Clichy, 92). Un éditeur n'a plus le droit d'accepter des souscriptions à partir du jour où le livre est paru et ce jour coïncide avec la livraison en sortie d'imprimerie, prévue pour le 25 juin dans la journée. Le lendemain, le livre est à la disposition des libraires qui voudraient le commander (à la demande de leurs clients). Les commerciaux feront, quant à eux, leurs tournées de présentation à la rentrée de septembre. (2) L'insulte et le juron sont un art du langage en Argentine. Cela tourne très souvent autour de la sexualité, des prostituées, du corps et des mauvaises mœurs. Il était hors de question de traduire cette langue verte qui ne peut que tourner vulgaire au regard de l'histoire du français et de ses règles littéraires. Les enfants apprennent trop bien cette partie du langage dans les cours de récréation et à la télévision pour qu'on s'abstienne de le leur servir dans les livres que le Jasmin édite avec tant de soin. (3) Les gauchos passaient pour être des asociaux, des anarchistes, des voleurs, dont la liberté et la capacité à se vendre au meilleur prix ne plaisaient pas à l'oligarchie des grands propriétaires fonciers. En Argentine, le prestige social se fonde sur la propriété de la terre agricole. Même un capitaine d'industrie ou un grand financier ne pourra se faire respecter dans la bonne société qu'autant qu'il aura constitué une propriété dans le secteur agraire et pourra s'inscrire à la Sociedad Rural. (4) Comme si nous n'étions jamais nous-mêmes sensibles aux sirènes des démagogues les plus éhontés. (5) Comme c'est le cas actuellement avec ce que nos médias désignent comme le default argentin, default qui n'existe pas. On prend pour une incapacité de l'Argentine à rembourser sa dette le fait que la justice de New York l'en empêche en interdisant aux banques de droit nord-américain de régler aux créanciers qui ont accepté la restructuration de la dette ce que l'Argentine a viré sur leurs comptes.