« Tu en as fait du trajet jusqu’ici ! » Je viens de renseigner mon code postal sur la fiche d’adhésion au pub ADK de Roissy en Brie. Un 75019 du nord de Paris qui se greffe aux nombreux 77 de Seine et Marne et qui attise la curiosité de l’équipe de ce « débit de culture » retranché. Je partagerais un bout de mon trajet avec ces personnes chaleureuses si je n’étais pas angoissé à l’idée que le concert ait déjà commencé. Il est effectivement long, le parcours qui m’a mené aux Mary Bell. Comment le leur expliquer sans passer d’abord par ce bout de chemin capital de ma ville provinciale, entre le tabac-presse et la maison de mes parents. Ce chemin sur lequel je cache avec soin un paquet de cigarettes et la couverture d’un magazine sur laquelle une fille courbée dévoile d’abord son porte-jarretelle et très vite mon obsession des filles. Les Euro ont rejoint les Francs dans la poche de mes jeans, j’ai 17 ans. Le soir, sous la couette, je dois baisser le son du lecteur pour qu’on n’entende pas les « Oh, Baby ! » répétés d’une tigresse. Mais si ma main fait des va-et-vient toujours plus rapides, elle simule un jeu de guitare et ce qui se dresse ici, ce sont bien mes oreilles. Les cris sont ceux de Kathleen Hannah, symbole féministe et chanteuse du groupe électro-punk Le Tigre. Sur une compilation qui accompagne le hors-série spécial filles du magazine Rock Sound en ce début 2000, elle crache le morceau The The Empty, peut-être plus violent encore que tous les manifestes réunis de son précédent groupe Bikini Kill. Kathleen Hannah sonne comme les prémices de solides relations. Delta Five, Liliput, Bratmobile, Babes in Toyland, etc… et récemment Priests : dès que le chanteur est une chanteuse, je brandis la perche. Je suis persuadé que le Rock de ces filles est unique et qu’il n’aurait pas pu être fait par des garçons.
Je pourrais débroussailler le terrain et amener l’équipe du pub ADK directement sur le chemin qui l’intéresse mais voilà, je ne veux pas rater le début du concert. Qu’elle ne compte donc pas sur moi pour lui parler de ce 1er mars 2015 où ma pote me dit qu’elle me trouve sexy mais qu’elle ne couchera pas avec moi. Ce soir décisif où je quitte son appartement parisien et remonte la rue avec peine. La pluie vient enfoncer le clou sur un dimanche déjà maussade. Les bottes trouées et la canette de bière prennent l’eau. Je me réfugie dans la cave de la Cantine de Belleville, j’ai entendu parler de concerts. Là, de jeunes gens modernes assemblent du matériel de scène avec une décontraction presque insolente. Ils enchaînent les concerts et moi les pintes, chacun est à sa place. Jusqu’à ce qu’un croisement de Kathleen Hannah et Kat Bjelland quitte la scène et s’aventure dans la fosse pour venir m’asséner des paroles féroces. Derrière elle, deux filles et un garçon la cravachent à coups de punk rock. Le morceau Fire Fire est aussi violent qu’expéditif, les Mary Bell ont pris possession de moi en moins d’une minute. Le reste est à la fois terrifiant et fascinant, comme l’histoire de cette fillette accusée à 11 ans du meurtre de deux gamins et dont les Mary Bell tiennent leur nom. Les rêveries se mêlent à la paranoïa, les Mary Bell me glacent le sang. Je les suivrai jusqu’en enfer, jusqu’à Roissy en Brie, donc.
Après le concert de Roissy en Brie, je remercie les personnes du pub et je fais un bout de chemin avec les quatre membres de Mary Bell. « Attention à ce qu’on dit, y’a un mec d’Hartzine ! Qu’est ce qu’il va écrire ? » Eh bien… Que ce n’est pas le hasard qui l’a mené à eux. On tombe sur les Mary Bell parce qu’ils sont à la croisée de tous ces chemins boueux qu’on emprunte : le grunge, le rock alternatif des 90’s, le Riot Grrrl, le Hardcore, le punk et le post punk. Il dira aussi que loin de s’enliser, les Mary Bell tracent même une nouvelle voie avec les quatre titres de leur EP et les autres qu’on peut entendre en concert. Il écrira que si là aussi il est persuadé que la musique des Mary Bell n’aurait pas pu être faite seulement par des garçons, il lui semble important de préciser que ce n’est pas un groupe exclusivement féminin. La basse crasseuse est tenue pas un garçon. Il ajoutera pour sa défense qu’il est difficile pour une chronique de tenir la route quand les sentiments vont à mille à l’heure. Enfin, il invitera tout le monde à le retrouver sur le chemin qui le mènera ce vendredi 19 juin au Point Ephémère pour les deux ans du label Danger Records. Soyez à l’heure car il est déjà angoissé à l’idée que le concert des Mary Bell commence sans vous.
Le concours pour l’anniversaire Danger Records, c’est par ici.