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Si on pourrait facilement ne voir en The Kyvu Tapes Vol.I (1990 – 1998) (déjà évoqué ici) qu’une simple collection d’influences, c’est avant tout la construction d’une identité artistique dont témoigne ce disque. On sait Demian Castellanos très attaché aux voyages mystiques chers à la philosophie psychédélique et chaque morceau des Kyvu Tapes s’emploie à entraîner l’auditeur vers un ailleurs introspectif.
Quand as-tu commencé à faire de la musique de manière sérieuse ?
J’ai commencé par jouer de la clarinette quand j’avais 8 ou 9 ans, puis j’ai continué avec le saxophone pendant quelques années. Je ne pense pas avoir sérieusement envisagé de devenir musicien avant de me saisir, à 16 ans, d’une guitare pendant un été, à la fois par ennui et par curiosité. Elle trônait dans la maison depuis des années mais je me contentais de la regarder en pensant que c’était trop compliqué pour moi. Mais dès que j’ai commencé à en jouer, je ne l’ai plus lâchée pendant des années. Ça semblait être la solution parfaite à beaucoup de choses, comme le fait de ne pas être trop intéressé par les sorties, et pour se perdre dans des mondes imaginaires.
Pourquoi as-tu voulu sortir le disque Kyvu Tapes Vol. I aujourd’hui ?
J’avais ce sentiment qui me tarraudait depuis des années qu’il y avait peut-être quelque chose de bien perdu au milieu de toutes ces cassettes que je gardais dans une boîte depuis toujours. Je ne m’attendais pas vraiment à ce qu’il y ait quelque chose d’intéressant pour une sortie, j’étais plutôt curieux de voir ce que je faisais à l’époque et à quel point je me me faisais des idées. Je sais que je faisais ça très sérieusement et que je passais beaucoup de temps à enregistrer et expérimenter, mais dans mon esprit, il s’agissait uniquement d’une phase de préparation avant d’aller dans un studio d’enregistrement digne de ce nom, ce qui n’est jamais arrivé ! J’ai aussi envoyé pas mal de démos mais je n’avais aucun retour, ce qui a fini par me décourager. Clairement, je n’ai pas complètement abandonné la musique mais j’ai laissé cette période derrière moi, et quand je me la remémorais, c’était avec une certaine gêne parce que je m’étais fait une idée assez négative de la personne que j’étais alors. Comme je le disais, j’avais surtout besoin de m’y confronter.
J’étais assez surpris de voir que certaines choses étaient plus cohérentes que dans mes souvenirs et après avoir mixé environ 15 morceaux, je les ai envoyé à deux labels en lesquels j’ai confiance (Cardinal Fuzz et Hands In The Dark), simplement pour avoir leur avis et puis on a fini par parler de les sortir. Je m’inquiétais de savoir s’ils ne faisaient pas ça par politesse donc je n’arrêtais pas de leur demander s’ils étaient sûrs de vouloir les sortir. C’est assez incroyable de voir ces morceaux exister sur un vrai disque après autant de temps passé dans une boîte.
Les morceaux ont été enregistrés sur une période de huit ans, comment les as-tu sélectionnés ?
J’ai acheté un 4-pistes d’occasion sur eBay il y a deux ans afin de tout passer en revue. Ce fut assez facile de sélectionner les morceaux en vérité. S’ils n’étaient pas complètement merdiques alors je les notais comme “bon” et s’ils étaient nuls alors ils allaient dans la pile “ne plus jamais réécouter ou laisser quiconque entendre ça”. Hormis la mauvaise musique, ç’a aussi été assez simple d’écarter les idées qui étaient soit incomplètes, soit pas très intéressantes ou très mal enregistrées (environ 80% des cassettes).
La biographie parle de nombreuses expérimentations avec la guitare, peux-tu en décrire quelques unes ? Essayais-tu d’imiter des sons que tu entendais ou était-ce de la pure recherche “scientifique” ?
J’essayais toujours de trouver des moyens d’obtenir des sons plus intéressants avec les guitares. Je me souviens que je m’étais fixé une sorte de mission à un moment pour prouver qu’il était possible de faire sonner une guitare comme un clavier, ou n’importe quoi d’autre d’ailleurs, je crois que c’était devenu une légère obsession. Des trucs comme faire rebondir une fourchette sur les cordes pour imiter un santour ou tordre les cordes avec un tuyau en métal afin de créer des harmonies bizarres. Rien de très original j’imagine mais à l’époque, ça me fascinait vraiment.
De quels instruments jouais-tu sur les cassettes ?
Principalement de la guitare, de la basse, de la boîte à rythme et quelques percussions. Parfois un peu de clarinette, de flûte à bec et de claviers…
Les influences sont assez évidentes (de la fin des années 60-début des années 70 au shoegaze des années 90) mais il y a aussi une atmosphère indienne sur certains titres (Lizard Raga par exemple). T’intéressais-tu à la musique indienne autrement que par le biais de la scène psychédélique ?
J’écoutais beaucoup de musique indienne à l’époque et j’ai passé pas mal de temps à jouer de la guitare sur Ravi Shankar et Ali Akbar Khan, à essayer d’imiter les gammes et la technique de jeu du sitar, non pas que j’y sois arrivé mais il faut bien essayer ! J’aimais beaucoup le santour aussi. J’écoutais beaucoup Tangerine Dream mais je n’avais pas vraiment entendu parler de trucs comme Popol Vuh à ce moment-là.
Une autre chose qui m’intéressait était l’idée de jouer dans certaines tonalités en fonction de l’effet que cela pouvait avoir sur les différents chakras. Je m’étais mis en tête de composer une sorte de musique thérapeutique moderne qui intéresserait un autre public que celui de la scène “new age”.
Tu n’enregistrais que de la musique instrumentale à cette époque ?
J’alternais entre de la musique instrumentale et d’autres trucs plus violents avec du chant, un peu dans le genre de The God Machine, Spacemen 3 et Loop (surprise). Il y a deux ou trois morceaux de ce style qui étaient ok, mais la plupart sont assez mauvais rétrospectivement, et ce ne sont pas des paroles en l’air, j’en suis maintenant certain ! J’ai aussi traversé une phase de morceaux avec beaucoup de guitare acoustique, dont la plupart sont inécoutables à part pour quelques instrumentaux. Ce n’est pas qu’ils étaient tous complètement mauvais, c’est surtout qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver ce qui correspondait à ma voix et comment chanter d’une manière supportable et je n’y étais pas encore complètement arrivé à cette époque.
Joueras-tu ces morceaux en concert ?
Oui, j’ai l’intention de les jouer en concert, mais pas avant la fin de l’année. Au début, je pensais que je n’en avais pas envie, mais je regretterais de ne pas essayer.
Puisque le titre précise Vol. I, doit-on s’attendre à une suite ?
Eh bien, j’espère sincèrement qu’il y aura une suite. J’étais très heureux de recevoir quelques bonnes critiques étant donné que je ne savais pas comment le disque serait reçu. Je m’étais préparé au pire pour être honnête. Je pense qu’il y a assez de matière de cette période pour deux autres albums, mais je vais devoir rester réaliste. Ce serait génial de faire Kyvu Tapes Vol. 3 si on le pouvait ! Après ça, j’aimerais sortir des titres ambient que j’ai faits plus récemment. À vrai dire, l’album CD Dead Cell Memory qui est sorti avec Veils était dans cette veine il me semble.